Le Spleen de Paris: Spleen et idéal

Le Spleen de Paris
ou Petits Poèmes en prose

Travail proposé par Sabrina, Pauline  et Amélie

Charles Baudelaire (1821-1867), célèbre poète français du XIXe siècle, est connu mondialement pour ses poèmes en prose qui permettent la rupture avec l’esthétique classique en poésie. Baudelaire a consacré les dernières années de sa vie au recueil posthume de poèmes en prose Le Spleen de Paris. Cette œuvre est composée de 50 écrits, rédigés entre 1855 et 1864, et publié pour la première dois en 1869. Baudelaire y aborde différents thèmes, comme le mal, la beauté, le bonheur, l’idéal inaccessible, la violence, ou encore la mélancolie Cette œuvre présente un monde atroce où les apparences et les inégalités règnent en maîtres et c’est cette vision d’horreur qui inspire Baudelaire pour écrire Le Spleen de Paris.
Après avoir parcouru cette œuvre, nous nous sommes penchées sur le thème spleen et idéal.
Le terme « Spleen » en anglais signifie rate. Dans l’Antiquité, la rate était l’organe responsable de la mélancolie. Le spleen est le grand mal qui préoccupe les Romantiques. Il renvoie au mal-être causé par la condition humaine, par sa médiocrité. L’homme est alors étouffé par le monde qui l’entoure, qui semble alors clos, fermé sur lui-même, sans aucune échappatoire, comme si l’être humain y était destiné et qu’il ne pouvait rien faire contre. Cette notion est en contradiction avec l’idéal qui représente le bonheur suprême, la joie de vivre, sans avoir à se poser des milliers de questions. C’est l’idéal dont Baudelaire rêve et qu’il voudrait atteindre.

Nous nous intéresserons donc à la manière dont Baudelaire évoque ici le Spleen et l’Idéal, et le lien qui existe entre eux. Dans un premier temps nous étudierons l’idéal, la perfection du point de vue de Baudelaire, puis nous montrerons que le poète présente l’idéal comme quelque chose d’inaccessible. Dans un dernier temps nous verrons que tout cela implique le mal-être, c’est-à-dire le Spleen.

Dans cette première partie nous verrons que l’idéal est associé à la beauté et à la perfection.
Tout d’abord, on note une forte présence du vocabulaire de la beauté, comme le soulignent les mots et expressions «délicieuse » (l.17) ; « volupté » (répété deux fois l.6/28) ; « subtiles » (l.30) (« La Chambre double ») ; « beauté » (l.21) (« Le Gâteau ») ; « superbe » (l.1) ; « tout est beau, riche, tranquille, honnête » (l.8/9) (« L’Invitation au voyage ») et la répétition de « délice », d’abord mentionné avec « délicieuses » (l.3), qui devient ensuite « délice » (l.6) (« Le Confiteor de l’artiste »). L’Idéal est également associé à la jeunesse, comme le montre le mot « jeunesse » (l.2) (« Le Fou et la Vénus »).

Par ailleurs, on remarque que cette beauté est appuyée dans les poèmes par des procédés, avec l’utilisation de superlatifs (« il n’est pas de pointe plus acérée que celle de l’Infini » (l.4/5) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « la plus heureuse » (l.38) ; « le plus exquis » (l.19) (« La Chambre double »)), d’exagérations (« incomparable » (l.8) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « senteur infinitésimale » (l.19) ; « l’Idole, la souveraine des rêves » (l.25) ; « éternité de délices » (l.44) (« La Chambre double ») ; « supérieur aux autres » (l.53) ; « incomparable » (l.62) (« L’Invitation au voyage ») ; « une grandeur et une noblesse irrésistible » (l.2) (« Le Gâteau »)), d’adjectifs qui suggèrent la totalité, l’infini (« grand » (l.6) ; « immensité » (l.7) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « tout » (l.16) ; « abondamment » (l.23) ; « vie suprême » (l.39) (« La Chambre double ») ; « infini » (l.84/88) ; « tout » (répété deux fois l.8/18/47) (« L’Invitation au voyage ») ; « vaste » (l.9) ; « immense » (l.15) ; « géant » (l.17) (« Le Gâteau ») ; « universelle » (répété deux fois l.4/14) ; « vaste » (l.1) ; «toujours croissante » (l.8) ; « de plus en plus » (l.9) (« Le Fou et la Vénus »).

De plus, l’Idéal est également associé au calme, à la douceur et s’oppose fortement à la violence qui suit et qui caractérise la mélancolie. En effet, on relève de nombreux mots et expressions qui suggèrent cette impression, tels que « silence » et « solitude » (l.7) (« Le Confiteor de l’artiste »); « atmosphère stagnante » (l.2/3) ; « bain de paresse » (l.4) ; « somnambulique » (l.10) ; « silence » (l.36) ; « paix » (l.36) (« La Chambre double »); « aucun bruit » (l.5) ; « endormies » (l.5) ; « orgie silencieuse » (l.7) (« Le Fou et la Vénus »); «délicates » (l.7) ; « silence » (l.12) (« L’Invitation au voyage ») ; « pure » (l.9) ; « solennelle » (l.18) ; « silencieux » (l.19) ; « paix » (l.22); « béatitude » (l.23) (« Le Gâteau »).

Cette perfection, cette beauté provoque chez le poète un apaisement, un bien-être infini que Baudelaire montre par l’utilisation des expressions « sensations délicieuses » (l.3) ; « pénétrantes » (répété deux fois l.1 et 2) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « je savoure » (l.40) (« La Chambre double ») ; « extase » (l.4) ; « jouissance » (l.14) (« Le Fou et la Vénus ») ; « bonheur » (l.12) (« L’Invitation au voyage ») ; « sensation solennelle et rare » (l.18) ; « joie » (l.20) (« Le Gâteau »). Elle suscite également l’admiration (« admiration » (l.34) ; «attirent » (l.31) ; « subjuguent » (l.32) (« La Chambre double »); « enthousiasmante » (l.21) (« Le Gâteau ») ; « admirable » (l.1) ; «extase » (l.4) (« Le Fou et la Vénus »), et celle-ci est appuyée par des exclamations et des interjections, qui permettent de mettre en scène et de montrer concrètement au lecteur le bonheur infini que provoque l’idéal chez l’Homme. En effet, on note les phrases suivantes « que les fins de journées d’automne sont pénétrantes ! » (l.1/2) ; « Ah ! » (l.2) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « Ô béatitude !» (l.37) ; « une Eternité de délices ! » (l.44) (« La Chambre double ») ; « c’est là qu’il faut aller mourir!» (l.22) (« L’Invitation au voyage ») ; « Quelle admirable journée ! » (l.1) (« Le Fou et la Vénus »).

Par ailleurs, on peut aussi dire que dans la plupart de ces poèmes, l’idéal est assimilé à une figure féminine. Ainsi, on note une personnification de la nature, qui est suggérée par « se pâme » (l.1) ; « l’œil brûlant » (l.2) ; « endormies » (l.5/6) ; « excitées » (l.9) (« Le Fou et la Vénus ») ; « passait » (l.15) (« Le Gâteau ») et « ces fleurs miraculeuses, c’est toi » (l.79)(« L’Invitation au voyage »).

Dans « Le Joueur Généreux », l’accent est mis sur la beauté presque irréelle des démons, appuyée par les expressions « visages étranges » (l.24) et « beauté fatale » (l.25). Et dans « Le Vieux Saltimbanque », on note un net contraste entre l’univers de fête de la ville, marqué par l’expression « Tout n’était que lumière, poussière, cris, joie, tumulte » (l.36), et l’attitude du saltimbanque, qui inspire la pauvreté et la tristesse (« misère absolue » (l.55) ; « douleur » (l.80)).

On peut donc dire que dans ces quatre poèmes, qui traitent de manière assez explicite la question de l’Idéal, la présence de celui-ci est très marquée et qu’elle représente la beauté, la douceur et la retraite que chaque homme désire dans ce monde. Néanmoins, nous allons voir que ce monde magique nous reste lointain et impénétrable.

Dans cette seconde partie, nous expliquerons comment le poète rompt avec le début de ces poèmes, qui évoque l’Idéal dans toute sa splendeur, en évoquant son caractère inaccessible.
Pour commencer, on note que le passage de l’Idéal à quelque chose de beaucoup plus violent et triste est marqué par un connecteur, qui appuie de façon brutale le retour à la réalité. En effet, on note les expressions suivantes : « toutefois » (l.16) qui marque une rupture entre l’idéal et le mal-être qui va suivre, appuyé par une opposition temporelle avec « et maintenant » (l.21) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « Mais un coup terrible » (l.45) accentué par la violence de l’image utilisée (« terrible » et « lourd » l.45) et par l’utilisation du passésimple qui suit « retenti » (l.45) (« La Chambre double ») ; « Cependant » (l.14) (« Le Fou et la Vénus ») ; « quand » (l.34) et utilisation du passé simple avec « me fit » (l.35) (« Le Gâteau »).
L’idéal est présenté comme étant inaccessible à l’homme avec les mots « trop intenses » (l.17/ 18) ; « trop tendus » (l.19) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « colossale » (l.16) (« Le Fou et la Vénus ») ; « toute cette magie a disparue » (l.55/56) (« La Chambre double ») ; « rare » (l.18) (« Le Gâteau »), et les négations et préfixes privatifs « incomparable » (l.8) ; « ne donnent plus que » (l.19/20) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; «implacable »(l.29) ; « immortelle »(répété deux fois l.21/27) (« Le Fou et la Vénus »). Ce caractère inaccessible est également marqué par le fait que l’idéal fait parti des rêveries du poète, comme le confirment les citations suivantes « rêveries » (l.13) («Le Confiteor de l’artiste ») ; « rêver » (l.9) ; « rêverie » (l.1/27) ; « rêve » (l.15) (« La Chambre double ») ; « total oubli de tout lemal terrestre» (l.24) ; « le souvenir des choses terrestres n’arrivait à mon cœur qu’affaibli » (l.11) (« Le Gâteau»).

Par ailleurs, cette perfection est présentée comme mauvaise et sans cœur. En effet, la « Nature » est désignée comme une «enchanteresse sans pitié » (l.25) et une « rivale toujours victorieuse» (l.25/26) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; mention du « minéral » (l.11) qui renvoie à la beauté, mais aussi à la froideur, donc à l’insensibilité de l’idéal ; et les mots et expressions « souveraine » (l.25) ; « terribles mirettes » (l.30) ; « dévorent le regard de l’imprudent » (l.32) ; « effrayante malice (l.31) (« La Chambre double ») ; «implacable » (l.29) ; « marbre» (l.30) ; « Venus » (répété deux fois l.16/ 29) ; « Déesse » (répété deux fois l.22/27) (« Le Fou et la Vénus ») vont également dans le même sens.

Le retour à la réalité est marqué par un retour à la violence et à la médiocrité, qui s’oppose fortement à la douceur et à la perfection qui précédaient. En effet, on note les citations suivantes : « malaise » (l.18) ; « vibrations criardes et douloureuses » (l.20) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « sauvage » (l.48) ; « guerre » et « fratricide » (l.79) (« Le Gâteau ») ; « terrible » et « lourd » (l.45) ; « rêves infernaux » (46) (« La Chambre double ») ; « affligé » (l.15) ; « affublé » (l.19) (« Le Fou et la Vénus »). De plus, dans «La Corde», « Portraits de maîtresses» et «Laquelle est la vraie», on note que la beauté, la perfection notamment est éphémère et qu’elle est voué à la mort. En effet, dans le premier de ces poèmes, le joli petit garçon se suicide, dans le deuxième, l’homme tue sa femme, trop parfaite (« Que vouliez-vous que je fisse d’elle, puisqu’elle était parfaite ? » l.156) et dans le dernier la belle et magnifique Bénédicta meurt (et Baudelaire dit même « Mais cette fille miraculeuse était trop belle pour vivre longtemps » (l.5/6)). « Le Joueur généreux va dans le même sens : l’idéal n’est accessible que par l’intermédiaire de la mort : en vendant son âme au diable (« j’avais joué et perdu mon âme » (l.42)).

Cette seconde partie nous a donc permis de montrer que chez Baudelaire, l’Idéal est inaccessible aux Hommes et qu’il n’est présent que dans leur rêveries. Mais quand le moment de se réveiller et de regarder la réalité en face arrive, celui-ci éprouve un grand mal-être, et celui-ci n’épargne personne.

Dans cette troisième et dernière partie, nous verrons que l’absence d’idéal provoque un malaise, une mélancolie, plus communément appelée « spleen ». On note d’abord le vocabulaire de la tristesse et du mal-être dans l’ensemble de ces poèmes, qui vient s’opposer à celui de la beauté et du bien-être infini qui précédait.
En effet, nous avons : « yeux pleins de larmes » (l.21) ; « ma tristesse et mon délire » (l.28) ; « affligé » (l.15) (« Le Fou et la Vénus ») ; « désespoir » (l.61) ; « lutte hideuse » (l.63) ; « triste » (l.76) (« Le Gâteau ») ; « malaise » (l.18) ; « vibrations criardes et douloureuses » (l.20) ; «souffrir » (l.24) ; « crie de frayeur » (l.27/28) (« Le Confiteor de l’artiste ») ; « infâme » (l.49) ; « misère » (l.50) ; « douleurs » (l.51) ; «désolation » (l.70) ; « dégoût » (l.71) (« La Chambre double »). Le malaise ici évoqué est appuyé par l’utilisation d’exclamatives, d’interrogatives et d’interjections, qui mettent en scène cette souffrance et présentent la plainte du poète au discours direct : « hélas ! » (l.67) (« Le Gâteau») ; « hélas ! » (répété deux fois l.67/74) ; « Oh ! » (l.75) ; « implacable Vie ! » (l.83) ; « Horreur ! » (l.58) (« La Chambre double ») ; « Ah ! Déesse ! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire ! » (l.27/28) (« Le Fou et la Vénus ») ; « Ah ! » (l.23) ; « laisse- moi ! » (l.26) ; « cesse de tenter mes désirs et mon orgueil ! » (l.26/27) ; « faut-il éternellement souffrir ou éternellement fuir le beau ? » (l.23/24) (« Le Confiteor de l’artiste »).
La réalité est également marquée par l’absence de transcendance avec l’utilisation de préfixes privatifs, comme le montrent les citations « impossibilité » (l.69) (« Le Gâteau ») ; « plus imparfait des animaux » (l.25) (« Le Fou et la Vénus ») ; « incomplets » (l.63/64) ; « insupportable, implacable Vie » (l.82/83) ; « inexplicable » (l.86) (« La Chambre double »), et d’expressions qui montrent que l’homme est condamné à cette condition (« Le Confiteor de l’artiste » nous présente les deux seules solutions qui se présentent à l’homme : « éternellement souffrir » (l.24) ou « éternellement fuir le beau » (l.24); et les expressions « brutale dictature » (l.87) ; « damné » (l.90) (« La Chambre double ») ; « privé d’amour et d’amitié » (l.24) (« Le Fou et la Vénus ») ; « la joie calme où s’ébaudissait mon âme, avant d’avoir vu ces petits hommes, avait totalement disparu » (l.73/74/75) (« Le Gâteau ») vont dans le même sens).

Par ailleurs, cette mélancolie du poète se manifeste également par la description de la nature et du paysage, qui est à l’image de son désespoir. En effet, on note la présence des verbes « me consterne » (l.21) ; « m’exaspère » (l.22) ; « me révoltent » (l.23) (« Le Confiteor de l’artiste ») qui vont dans ce sens. Ici le complément d’objet est le poète, présenté comme victime de la Nature, et chaque verbe a respectivement pour sujet la « profondeur du ciel » (l.21) ; « sa limpidité » (l.22) et « l’insensibilité de la mer, l’immuabilité du spectacle» (l.22/23). Les citations suivantes vont également dans le même sens : « ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui » (l.59) ; « meubles sots, poudreux, écornés » (l.60) ; « cheminée sans flammes et sans braises » (l.61) ; « fétide odeur de tabac » (l.68) ; « nauséabonde moisissure » (l.69) (« La Chambre double ») ; « ce spectacle m’avait embrumé le paysage » (l.73) (« Le Gâteau »).

Dans « Le Joueur généreux », seul le fait d’avoir vendu son âme au diable, a permis au poète d’accéder à l’idéal et donc d’échapper à «l’Ennui », qui est « la source de toutes vos maladies » (l.108).

Cette dernière partie nous montre donc que l’Homme est condamné à ce mal-être que l’on nomme mélancolie, et qu’il ne peut que subir cette punition, sans jamais pouvoir accéder au bonheur qu’il estime mériter.

Le Spleen de Paris traite en effet de divers sujets, dont celui du Spleen et de l’Idéal, et du lien qui existe entre ces deux notions. Ce thème est présent dans presque la totalité du recueil, mais les poèmes choisis nous ont permis de cibler l’étude et de mettre en évidence le contraste frappant qui existe entre perfection, bonheur, douceur, et mélancolie, violence, mal-être. Ces deux notions qui s’opposent fortement sont présentes dans les mêmes poèmes, afin d’accentuer leurs différences.
L’Idéal précède toujours le Spleen, et est assimilé à un rêve, à quelque chose de magique et d’inaccessible, que l’Homme ne peut qu’entrevoir. Le Spleen, qui suit, marque une rupture brutale avec ce qui a précédé et chamboule toute la situation, des paysages,
jusqu’aux sentiments du poète. Ces poèmes semblent donc montrer les efforts vains de Baudelaire à atteindre son Idéal, un endroit calme et magnifique, où le temps n’existe pas, et où l’inspiration règne.

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