Parole(s) en archipel

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Enseigner les arts plastiques, éduquer aux arts et à la culture, aujourd'hui. Un carnet personnel de C. Vieaux.

Évaluer pour faire progresser, revisiter la didactique pour évaluer autrement et réciproquement

Il m’a été donné de lire que la didactique des arts plastiques est «  orientée  » : elle serait tout entière au service d’une apologie de la seule création artistique (qui plus est contemporaine…) telle que se la représenteraient les enseignants (soumis aux visions de leurs mentors ou cadres pédagogiques) et qu’ils l’imposeraient en retour aux élèves de France. Cette discipline et ses professeurs serait finalement — et en conséquence — très peu soucieuse de réaliser un enseignement «  démocratique  » au service de la formation de tous les élèves . Quel pouvoir attribué à une discipline qui, pourtant, demeure minorée en hiérarchisation dans les priorités éducatives, modeste en horaires !

Que fait-on alors de sa contribution — celle de ses professeurs — à l’histoire des arts, de ses dimensions méthodologiques abondamment présentes, de l’expérience sensible qu’elle propose aux questions tangibles — à l’ère du numérique — de la forme, de la matière, du geste, de l’instrument, des supports, etc., du développement du recul réflexif auquel elle participe s’appuyant sur le sensible et la sensibilité des élèves, de l’encouragement à l’oral qu’elle cultive (dire la pratique), de l’apprentissage de l’autonomie et de l’encouragement aux formes coopératives-collaboratives dans la classe, de son engagement dans le PEAC, de l’interdisciplinarité qu’elle a soutenue dans les EPI, etc. ?

Je ne puis commenter davantage.

L’ensemble du texte ci-dessous, au biais de l’évaluation dans les apprentissages, réfute de telles affirmations, injustes et plutôt grossières. Professeurs eux-mêmes, formateurs, personnels d’inspection et de direction, membres des jurys de concours de recrutement peuvent témoigner du contraire. Même si cet enseignement est exigeant, ne sera jamais parfait, il tente d’approcher au mieux, de manière structurante et ouverte, si possible avec délicatesse, un «  objet turbulent  » dans l’Ecole : la diversité des questions de l’art et de la création, sans trop les dénaturer.

L’évaluation : un levier pour la réflexion pédagogique et remodeler la didactique

Les enseignants d’arts plastiques cherchent massivement à proposer à tous leurs élèves des apprentissages efficaces, motivants, laissant une large place à l’élève en tant que sujet singulier. Pour cela, bien souvent, ils hybrident diverses approches pédagogiques. Surtout, s’adressant à tous les élèves en peu de temps, ils dépensent une énergie considérable à ajuster toutes leurs modalités pédagogiques à la réalité de la classe, sans renoncer à tenir deux axes essentiels de leur discipline : éduquer tous les élèves à l’art et les éduquer par l’art.

La réflexion conduite dans les académies sur l’évaluation dans l’enseignement des arts plastiques exprime un mouvement massif en direction d’une évaluation alliant exigence et bienveillance pour faire apprendre et progresser. Les dimensions évaluatives ont des conséquences sur les schémas didactiques : elles les enrichissent, les font bouger, invitent à les remodeler.

Tout cela ne va pas de soi, demande beaucoup de travail.

Au départ de cet article, une ressource de professeurs d’arts plastiques dans l’académie de Rennes

https://pedagogie.ac-rennes.fr/spip.php?article6974

«  Compte-rendu de la formation “ Didactique et Évaluation en Arts plastiques ” réalisée en distanciel du 11 janvier au 18 mai 2021 — académie de Rennes — Emmanuelle Vequeau/Jean-Christophe Dréno.  La formation d’une durée de 15 h visait à mettre en œuvre de nouvelles pratiques didactiques, pédagogiques et éducatives fondées sur l’approche par compétences afin de développer la motivation de l’élève.  »

Évaluer pour faire progresser, revisiter la didactique pour évaluer autrement, c’est en grande partie ce à quoi se sont attelés des professeurs d’arts plastiques dans l’académie de Rennes, collectivement et, notamment, à l’occasion d’un stage de formation continue en mai 2021.

Et, ils ne sont pas les seuls. Ce travail est régulièrement conduit dans les académies, depuis la réforme de la scolarité obligatoire et les programmes du lycée publiés en 2019, mobilisant de manière explicite des approches par compétences, ce faisant une conduite explicite de l’évaluation et des bilans périodiques explicités.

Au-delà du fond de la démarche partagée par l’académie de Rennes, trois dimensions de ce travail exemplaire — en qualité, densité et volume — méritent d’être soulignées :

  • la collaboration entre pairs (dans une discipline où les enseignants sont majoritairement seuls dans les établissements)  ;
  • l’arrimage de ce travail sur la recherche en éducation (récente comme de plus lointaines histoires), reliée à des outils nationaux (ressources Dgesco, supports Igesr)  ;
  • le regard porté sur les approches de l’évaluation dans diverses disciplines (articulées au socle commun de connaissances, de compétences et de culture).

Cette mise en ligne du document par les professeurs et l’inspectrice d’arts plastiques de l’académie de Rennes est l’occasion de revenir, plus généralement, sur une trajectoire de l’évaluation formative dans cette discipline d’enseignement artistique.

Retour sur une histoire déjà ancienne de l’évaluation formative en arts plastiques (au collège)

Depuis les programmes du collège de 1996-98 et leurs accompagnements, l’évaluation formative est présente dans l’enseignement des arts plastiques.

Pour rappel :

  • programmes de 1996-98 : «  L’évaluation est un acte intrinsèquement lié au cours : elle ne vient pas s’y ajouter. On s’attachera à faire prendre conscience de ce qui est découvert et compris. La dimension artistique autorise des formes d’enseignement qui ne sont pas systématiquement centrées sur l’atteinte des mêmes objectifs, par tous les élèves, au même moment. » ; «  Le professeur veille à donner la parole aux élèves sur leurs propres productions pour qu’ils puissent énoncer leurs étonnements, dire leurs démarches, confronter les points de vue dans une attitude d’écoute d’autrui.  » ;
  • documents d’accompagnement de ces programmes : «  L’évaluation est tournée vers l’élève : il s’agit de lui permettre de situer son travail, ses apprentissages, ses acquis. C’est davantage une évaluation formative qu’une évaluation sommative.  »

D’abord reçue comme une prescription institutionnelle dans la discipline — donc descendante —, l’évaluation formative s’est progressivement incorporée dans les pratiques usuelles des professeurs, se développant finalement de manière assez horizontale. Rencontrant — en partie — des valeurs pédagogiques profondes (développement de la personne, stimulation de la créativité, redistribution de la culture, etc.), travaillée en stage, objet de partages fréquents de documents entre pairs[1], elle devait en quelques années reléguer aux arrière-plans les formes antérieures. Principalement fondées sur le classement qualitatif des productions (résultats plastiques le plus souvent considérés selon une norme technique ou esthétique à atteindre), celles-ci étaient majoritairement réalisées par l’enseignant seul, avec pour finalité principale la notation (de zéro à — très rarement — vingt points).

L’évaluation formative, certes utile aux élèves, est aussi un des marqueurs de changements de paradigmes de la discipline, au fil de ses propres évolutions. Sa conduite n’est actuellement ni parfaite ni systématiquement modulée selon la nature des apprentissages. Cependant, elle se réactualise à l’aune d’une construction des séquences d’enseignement à partir de compétences à travailler, d’une progressivité à penser à l’échelle d’un cycle, de la différenciation.

Plus récemment, c’est l’institution elle-même qui a demandé à tous les professeurs, dans toutes les disciplines et dans tous les cycles «  d’évaluer les élèves pour les faire progresser  », selon des visées et des modalités parfois différentes[2].

L’approche actualisée de l’évaluation a accompagné une rénovation didactique

Les programmes de 1996-98 avaient confirmé une importante rénovation pédagogique et didactique, amorcée plus de quinze années auparavant. Deux schémas sommaires, commentés par mes soins (source : d’après Gilbert Pélissier, Igen alors en charge des arts plastiques) représentent quelques changements significatifs de paradigmes et des transformations alors à l’œuvre, tant sous l’angle de la conduite des apprentissages que de l’évaluation. On a pu parler à l’époque d’un passage du cours dit « traditionnel » (fig. 1) à l’enseignement dit «  en proposition  » (fig. 2).

Adoptant, dans les années 90-2000, avec plus ou moins de bonheur et d’expertise, la forme dite «  en proposition  », les enseignants ont ainsi été soucieux de mettre en relation :

  • d’une part, la diversification des pratiques plastiques proposées aux élèves (enracinée dans des processus de création observables dans l’épaisseur du temps de l’histoire de l’art, ses continuités et ruptures, ses renouvellements récents), prescrite dans le fil des évolutions de la discipline, plus largement ancrée dans la loi de 1988 sur les enseignements artistiques, en échos à la généralisation des principes de la politique publique d’éducation artistique et culturelle, cohérente avec les développements des questions de l’art dans la société et d’une manière nouvelle de questionner différemment les pratiques et les créations artistiques (émergences des médiations, implication des publics, développement de théories des réceptions des arts, du « citoyen-spectateur », etc.)  ;
  • d’autre part, la mise en œuvre d’une dynamique de projet dans la pédagogie des arts plastiques (à l’échelle de la séquence et comme dans la position éducative proposée aux élèves [acteur/auteur d’une proposition personnelle pour apprendre], autant au sens des processus travaillés que d’une invitation au développement de la personnalité sensible, dans une singularité consentie, construite et partagée)  ;
  • également, dans l’exercice même de l’enseignement et de l’explicitation des acquis, de la nécessité éprouvée de «  critérier  » des domaines d’apprentissage ou d’expérience reconsidérés (la relation des divers savoir-faire travaillés en arts plastiques à l’autonomie, à l’écoute, à a collaboration [compétences socio-comportementales ou psychosociales], à l’audace [curiosité, dépassement du sens commun, force d’invention], aux démarches et aux méthodes induites [étayages techniques, culturels, théoriques], à la sensibilité à la dimension artistique et à la distance réflexive [goût et curiosité pour l’art et la création, esprit critique], etc.).

Cette équation, certes difficile, devait stimuler des pratiques de l’évaluation moins strictement focalisées sur les productions, intégrant des moments régulés d’évaluation par les pairs, des phases d’auto-évaluation, des regards collectifs et argumentés sur ce que l’on a produit, compris ou non.

Des acquis professionnels inscrits dans les conceptions de l’enseignement des arts et par l’art et dans des valeurs

Ces pratiques de l’évaluation formative, anciennes ou plus récentes, ont ancré — à bas bruit — une certaine conduite de l’éducation à l’esprit critique : une approche active et située. Elles ont mobilisé et développé chez les élèves, sur d’autres «  objets  » que l’analyse d’œuvres, des compétences d’observation et d’argumentation au service de formes individuelles et collectives de métacognition (recul réflexif, passage des expériences aux connaissances). Elles ont accordé une place importante à la parole des élèves (accueillir la sensibilité, la relier au sensé) : une oralité disponible et patiemment cultivée pour dire et penser l’agir plasticien et non pour seulement répondre aux questions du maître.

Ce faisant, elles soutenaient aussi une aspiration des professeurs d’arts plastiques à leur reconnaissance professionnelle pleine et entière — par les pairs, l’encadrement, la communauté éducative, l’institution scolaire — en tant qu’enseignants de fondamentaux de la formation générale.

Loin d’être un temps où tout se vaut — l’abouti et le non abouti, les stéréotypies et l’invention — pour peu que l’on ait participé, ces pratiques de l’évaluation ont objectivé dans la classe des attendus de formation. Les élèves ont eu connaissance de ce qui est évalué, du pourquoi et du comment, d’indications sur des seuils de réussite. Malgré la prise en charge de dix-huit classes par semaine au collège, les professeurs d’arts plastiques ont développé des outils et des supports les mieux adaptés possible, parfois perfectibles, portés par une conception positive des apprentissages. Ils ont fréquemment mis en œuvre une formation de leurs élèves à l’évaluation en arts plastiques dès la classe de sixième.

De la sorte, plus que de produire des notes, ces pratiques largement répandues de l’évaluation formative se sont efforcées à donner du sens aux apprentissages en reconnaissant la sensibilité des élèves, en encourageant la curiosité et la motivation, en valorisant l’expression personnelle, en apprenant à faire un retour critique sur le travail produit.

Une récente et nécessaire reconfiguration de la conduite de l’évaluation

Toutefois, ces approches sont longtemps restées « cristallisées » sur la production plastique achevée, donc dans une phase conclusive de la séquence d’enseignement, pour ensuite remonter aux processus et à la démarche. Ce qui était déjà un progrès considérable et une conception loin d’être généralisée dans l’École ne permettait guère de situer l’évaluation dans un accompagnement synchrone de diverses scansions des phases de l’apprentissage. La question étant également souvent pour les professeurs de ne pas conditionner («  formater  » en explicitant tout en amont ou pendant) le travail des élèves, tout en trouvant des possibilités de «  modeler  » des compétences (travailler à l’explicitation, en particulier par la verbalisation).

La dimension curriculaire des programmes de la scolarité obligatoire et récemment du lycée, leur structuration induisant des interactions entre de grands questionnements et des champs de compétences travaillées, a induit un sérieux, important et essentiel travail de reconfiguration de l’évaluation en diverses focales et dans différentes temporalités. Il est en cours, dans la continuité du temps et des formations, porte déjà ses fruits en rouvrant le travail de réflexion didactique. Mais ceci pourrait être l’objet d’un autre texte.

Petites réponses à certains a priori

D’aucuns diront que certains professeurs d’arts plastiques n’ont pas adhéré à des conceptions elles-mêmes taxées d’idéalisme pédagogique, voire de pédagogie hors-sol (de pédagogisme ?). Pourtant, ce qui est rapporté précédemment s’observe dans la réalité, est utile à la conduite d’apprentissages explicités, même si celle-ci n’est pas idéale en moyens et temporalités, en charges professionnelles et mentales pour les enseignants comme les élèves.

D’autres constateront que tous les enseignants n’ont pas les mêmes niveaux de compréhension théorique et de maîtrise pratique de l’évaluation. Mais, n’est-ce pas le cas dans toutes les disciplines ?

Ces compétences et cette culture professionnelles ne relèvent ni de la génétique ni du don. Elles s’acquièrent et se travaillent, souvent dans des situations et des temporalités variées. Elles sont également dépendantes de la formation initiale que l’on a reçue ou non.

Christian Vieaux, février 2022.

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[1] Les questions sur l’évaluation, l’échange de supports animent nombre de forum entre pairs, institutionnels ou non.

[2] « L’évaluation des acquis scolaires des élèves vise à améliorer l’efficacité des apprentissages en permettant à chaque élève d’identifier ses acquis et ses difficultés afin de pouvoir progresser. Les modalités d’évaluation privilégient une évaluation positive, simple et lisible, qui valorise les progrès, soutient la motivation et encourage les initiatives des élèves », Modalités d’évaluation des acquis scolaires des élèves aux cycles 2, 3 et 4, eduscol, « https://eduscol.education.fr/141/modalites-d-evaluation-des-acquis-scolaires-des-eleves

« Les élèves de CP, CE1 et 6e passent des évaluations. En classe de seconde et pour les élèves de CAP, ce sont des tests de positionnement. Les résultats permettent d’apprécier d’un point de vue individuel et collectif les acquis et d’ancrer les apprentissages des élèves durant l’année scolaire. », eduscol, Évaluations de CP, CE1, 6e, tests de positionnement en seconde et CAP, https://eduscol.education.fr/887/evaluations-de-cp-ce1-6e-tests-de-positionnement-en-seconde-et-cap

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