Notes personnelles : débattre, l’esprit critique et le courage de la nuance

Notes personnelles
Débattre, l’esprit critique et le courage de la nuance

Exercer l’esprit critique pour débattre sur le fait artistique, au lycée, en arts plastiques, exige aussi le sens, le goût et surtout la volonté de la nuance.

Prendre du recul pour débattre : méthode et/ou éthique ?

Débattre, certes cela s’apprend en vue de certaines circonstances, mais se cultive aussi dans le quotidien des apprentissages.

Contribution aux compétences de l’oral, possiblement en mesure de nourrir l’épreuve dite du « Grand oral », les formes et les conditions du débat sont fondamentalement un espace de pensée critique et de respect des idées.

Au-delà de méthodes à mobiliser, importantes, car elles n’émergent pas d’elles-mêmes devant les élèves, il y a un juste positionnement à rechercher et une éthique serait à faire approcher. La distance par rapport aux faits, aux émotions, aux convictions, aux engagements qui se manifestent dans et à partir d’une création artistique éprouvée ou étudiée se relie à l’analyse, à l’écoute, à l’argumentation, à l’estime de soi et de tous, au respect de chacun qui prévalent dans un enseignement dans une société démocratique.

Une création (artistique) n’est pas seulement la chose produite. C’est aussi un « fait » plus complexe

Le « fait artistique », c’est une réalisation et pas seulement. L’appréhender engage à considérer les œuvres en elles-mêmes et pour elles-mêmes, mais aussi des démarches et des pratiques, des contextes et des conditions de création, les données de la présentation et de la réception de l’art. Il faut lui connaître sa légitime et assez souvent nécessaire complexité.

Pour l’enseignant d’arts plastiques, il s’agit aussi – à chaque fois – de développer un apprentissage de l’esprit critique sous-tendu par les spécificités des enseignements artistiques (expression de la sensibilité par les moyens du sensible, langages non verbaux, singularité des pratiques, dimensions individuelles et collectives, diversité en périodes et aires géographiques des références culturelles, etc.). Sur ce point, les programmes du lycée invitent, ponctuellement, à cristalliser les conditions et des capacités à débattre par l’exercice du « débat sur le fait artistique ».

Pour cela, dans l’enseignement de spécialité, trois champs de questionnements artistiques transversaux sont proposés :

• L’artiste et la société : faire œuvre face à l’histoire et à la politique ;
• L’art, les sciences et les technologies : dialogue ou hybridation ;
• Mondialisation de la création artistique : métissages ou relativité des cultures du monde.

Pour l’enseignement optionnel, des champs spécifiques de questionnements artistiques transversaux sont disposés selon les niveaux :

• Se penser et se situer comme artiste (seconde) ;
• L’œuvre et la pluralité de ses formes et statuts (première) ;
• Se construire comme spectateur sensible et critique (terminale).

Une compétence à l’œuvre

Sur ce plan, parmi d’autres compétences travaillées des programmes en arts plastiques, deux groupes irriguent au lycée (sous une forme modulée au collège) des perspectives pour les apprentissages. Elles sont à soutenir par la pratique et la culture artistiques :

• Questionner le fait artistique
• Analyser et interpréter une pratique, une démarche, une œuvre.
• Se repérer dans les domaines liés aux arts plastiques et situer des œuvres dans l’espace et dans le temps.
• Établir une relation sensible et structurée par des savoirs avec les œuvres et s’ouvrir à la pluralité des expressions.
• Interroger et situer œuvres et démarches artistiques du point de vue de l’auteur et de celui du spectateur.

Exposer l’œuvre, la démarche, la pratique

• Prendre en compte les conditions de la présentation et de la réception d’une production plastique dans la démarche de création ou dès la conception.
• Exposer à un public ses productions, celles de ses pairs ou celles des artistes.
• Dire et partager sa démarche et sa pratique, écouter et accepter les avis divers et contradictoires.
• Être sensible à la réception de l’œuvre d’art, aux conditions de celle-ci, aux questions qu’elle soulève et prendre part au débat suscité par le fait artistique.

Enseigner les valeurs par l’expérience (en action) des valeurs

Ces compétences s’enracinent dans les principes, les missions et les valeurs de la République que l’École transmet, fait éprouver, construit avec les élèves : « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de l’éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité. Par son organisation et ses méthodes, comme par la formation des maîtres qui y enseignent, il favorise la coopération entre les élèves. » Article L111-1 (extrait) du Code de l’éducation, partie législative (articles L111-1 à L977-2), titre I^er : Le droit à l’éducation (articles L111-1 à L114-1).

En cas de doute, penser à la nécessité de la « nuance »

Parfois, il se dégage l’impression que ces dispositions – celles des programmes comme celles à développer au sens des capacités du citoyen – sont assez durement éprouvées en dehors de l’École…

Une de mes lectures de l’été, Le courage de la nuance, de Jean Birnbaum, est peut-être à recommander comme une lecture de l’hiver ou du printemps ? L’automne est déjà derrière nous.

Quelques extraits choisis où l’auteur cite Camus, Orwell, Arendt, Aron, Bernanos, Tillion, Barthes, de manière inspirante pour qui veut apprécier la perspective de positions équilibrées et critiques. Une démarche utile et réconfortante aujourd’hui.

• Camus, page 21, in Le témoin de la liberté: « Quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en un ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. »
• Bernanos, pages 39 et 40, in Scandale de la vérité, contre Mauras (« Voilà le bien. Voilà le mal. Il faut prendre parti »): « Absolument étranger à toute vie intérieure surnaturelle, le doute même lui apparaît ainsi qu’une bassesse gratuite, un vice de l’âme. »
• Arendt, page 61, in La Tradition cachée: « Vous savez ce que c’est qu’une mise au pas. Cela signifiait que les amis aussi s’alignaient ! Le problème, le problème personnel n’était donc pas tant ce que faisaient nos ennemis que ce que faisaient nos amis. »
• Aron, page 76, dans son discours à l’institut en 1965 : « Me voici, depuis longtemps, un marginal, ici aussi bien que là. (…) Un sans-parti, dont les opinions heurtent tour à tour les uns et les autres, d’autant plus insupportable qu’il se veut modéré avec excès. »
• Orwell, page 92, in A ma guise: « L’atmosphère de haine dans laquelle se déroule la controverse rend les gens aveugles à des considérations de ce genre. Admettre qu’un adversaire peut être à la fois honnête et intelligent est ressenti comme intolérable. »
• Tillion, page 112, in Les ennemis complémentaires: « Il existe dans les forêts de l’Amérique boréale des cervidés batailleurs et stupides qui parfois emmêlent leurs gigantesques bois et crèvent ainsi naseaux contre naseaux. »
• Barthes, page 124, in Le Neutre, « Je réunis sous le nom d’arrogance tous les “gestes” (de parole) qui constituent des discours d’intimidation, de sujétion, de domination, d’assertion, de superbe : qui se placent sous l’autorité, la garantie d’une vérité dogmatique. »
• Birnbaum, page 138 ; dernière phrase de son livre : « (…) cet espoir : relancer un héritage fragile, lui donner la force d’être fort, ou du moins assez solide pour qu’il fasse rayonner parmi nous, comme à travers ces pages, le désir obstiné de faire face, de se tenir bien ».

Christian Vieaux, janvier 2022.

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