Parole(s) en archipel

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Enseigner les arts plastiques, éduquer aux arts et à la culture, aujourd'hui. Un carnet personnel de C. Vieaux.

L’architecture à l’École : enjeu éducatif identifié ou cause à défendre en éducation ?

Les 24 et 25 novembre 2017, sous l’égide du centre d’architecture Arc en rêve, s’est déroulé un colloque national intitulé « Partager l’architecture, avec les enfants ». Au-delà de cet important événement, la question pourrait rester entière du périmètre et de l’impact des actions dont il est ainsi possible de témoigner. Précisément, au regard du nombre d’élèves scolarisés, l’éducation à l’architecture dans et hors l’École n’est pas vraiment massive.

L’architecture est parmi les domaines faibles de l’éducation artistique et culturelle[1]

Depuis plus de trente ans, des orientations se sont succédées pour généraliser l’EAC. Divers domaines ont progressivement révélé leur capacité à infuser dans le monde scolaire. S’appuyant parfois sur des disciplines enseignées, certains se développent ainsi mieux que d’autres — le théâtre et le cinéma sont de ceux-là, souvent portés par les programmes et les professeurs de français. Récemment, les enseignants d’éducation musicale sont partie prenante de l’impulsion massive de la chorale scolaire. Loin d’être confidentiels, au regard des pratiques artistiques et sociales, d’autres champs restent cependant aux marges, dont l’architecture…

L’architecture n’est pas « systématiquement » associée aux visées de l’entrée en culture des élèves

Presque partout présente, elle est en quelque sorte un « matériau » éducatif très concret, souvent disponible, toujours proche. Nécessité régulièrement affirmée, l’ambition de culture architecturale ne suscite pourtant ni réelle priorité ni grande opération en EAC. Pourquoi ? S’agit-il d’une désaffection globale des décideurs ou d’un désintérêt des acteurs ? Deux modestes constats. À différents niveaux, l’architecture n’est pas d’emblée ou du moins naturellement considérée comme un des vecteurs emblématiques de démocratisation de l’accès à la culture. Une caractéristique en éducation, très accentuée dans l’École française, et dont il faut prendre la mesure : les domaines non-inscrits dans les courants porteurs d’une continuité scolaire peinent considérablement à y exister.

L’architecture demeure éloignée des modèles opérants pour « faire école » : deux exemples

Après trente années d’activités professionnelles, en différents lieux et niveaux de responsabilités[2], il m’a été donné d’observer quelques circonstances où, soit les acteurs de l’EAC passent à côté de l’architecture, soit les modèles disponibles empêchent son plus large partage. Deux sont assez emblématiques.

  • Construction ou réhabilitation du bâti scolaire : le manque d’opportunisme « local ». Presque aucun élève n’échappe aux bâtiments scolaires[3]. Si nombre de constructions ou réhabilitations d’écoles, de collèges, de lycées ont été réalisées en trois décennies, elles se sont rarement accompagnées d’une action éducative « systématique ». Ces contextes et situations n’apparaissent pas perçus comme des opportunités pour lier, à l’échelon le plus local, éducation et architecture. Ils sont pourtant propices in vivo à la découverte et la compréhension, pour tous les élèves d’un établissement, d’un programme architectural et son processus, des choix et modalités d’inscription du construit dans un environnement, des enjeux citoyens des débats et usages. Il y a maintenant plus de vingt ans, une démarche intitulée « périmètre de curiosité »[4] s’initiait : ancrée dans l’architecture d’un collège, l’approche ouvrait à l’exploration et l’interprétation de l’environnement architectural proche. Facilement déclinable, peu gourmande en temps et déplacements, disponible aux approches sensibles, elle n’a pas fait école…
  • La culture architecturale dans une l’EAC territorialisée : des leviers manquants. En région, services déconcentrés de l’État — notamment l’éducation et la culture — et collectivités travaillent à généraliser et ancrer l’EAC dans les territoires. Cette politique a aujourd’hui deux principaux fers de lance : les résidences d’artistes et les contrats locaux d’éducation artistique. Dans ces modalités, les actions orientées vers la culture architecturale demeurent sporadiques. Les dispositifs, hors centres et structures dédiés à l’architecture[5], sont plutôt situés dans les filiations de l’atelier artistique. Décroissants et carencés en crédits, ils ne sont peut-être pas les plus adaptés aux effets de démultiplication à rechercher. Pour progresser, des modèles nouveaux, coïncidant davantage avec les possibilités de mobilisation de l’écosystème des professionnels en architecture, devraient être expérimentés.

Un trop faible enracinement de l’éducation à l’architecture dans ses quelques appuis scolaires

Peu de matières scolaires et de dispositifs interdisciplinaires abordent des contenus ou thématiques mobilisant des notions architecturales. Sans exclusive, deux enseignements artistiques obligatoires intègrent des savoirs explicites en architecture : les arts plastiques et l’histoire des arts. Les premiers partagent avec elle des langages, des pratiques, des processus, des références, tous propices à approcher le fait architectural dans un mouvement du sensible au sensé. La seconde dispose l’étude des évolutions de l’architecture comme fonction et création, dans la profondeur du temps et dans ses correspondances ou dialogues avec d’autres arts. L’ensemble de ce « polyptyque » scolaire ne fait pas corpus et ne procure pas, en l’état, une vision pleinement satisfaisante de la culture architecturale. Il est toutefois une base disponible, mais insuffisamment soutenue dans l’École et trop peu sollicitée ou identifiée par ses partenaires.

Finalement, un plaidoyer pour l’éducation à l’architecture

Peu optimiste dans ses constats, ce texte est en fait un certain plaidoyer pour l’architecture, un encouragement à la saisir pour la partager avec tous les élèves, simultanément hors, dans et par l’École. Certes, cultiver des convergences d’intentions et d’actions, associer des compétences en divers lieux, réviser les modalités est crucial. Cependant, les alliances entre professionnels ne font pas tout : un engagement du politique sur le principe d’une généralisation reste un levier nécessaire et attendu.

Christian Vieaux, janvier 2019.

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[1] Par commodité, nous emploierons ensuite l’acronyme EAC.

[2] Au-delà de préciser les « mérites » d’une carrière, il s’agit d’indiquer ici un parcours où la préoccupation de l’éducation à l’architecture, d’une observation et réflexion sur elle, peut être mise en perspective dans l’École et avec ses partenaires : enseignant, formateur, inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional, délégué académique aux arts et à la culture, directeur régional de CRDP, désormais inspecteur général.

[3] On lira en creux l’évocation d’une citation de Bruno Zévi : « Pourtant, si chacun est libre de tourner le bouton de la radio, de déserter les salles de concert, de cinéma ou de théâtre, comme de ne pas lire un livre, personne ne peut fermer les yeux devant les édifices qui constituent le décor de notre vie », Apprendre à voir l’architecture, Les éditions de minuit, 1959.

[4] Associant en Nord-Pas-de-Calais, le rectorat d’académie, un CAUE et une école nationale supérieure d’architecture.

[5] Arc en rêve, Maisons de l’architecture, CAUE par exemple.

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