Cet article a été composé à partir de diapositives ayant accompagné une intervention dans le cadre du séminaire du PREAC Patrimoines et Diversité (Académies de Créteil, Paris et Versailles). Dédié à la question de la Fabrique d’un patrimoine partagé, ce séminaire s’est tenu le 28 novembre 2012 à la Cité Nationale de l’Architecture et du Patrimoine, à Paris.
Invité à articuler l’enseignement d’histoire des arts au collège avec des problématiques liées plus globalement à l’éducation au patrimoine, il s’agissait d’apporter quelques jalons pour se repérer : dans l’émergence et l’histoire d’une préoccupation relevant de la culture artistique dans l’enseignement scolaire en France, dans les querelles qui s’exercent dans la culture et sont entretenues par deux courants de pensée dominants. Il est question ici d’apporter des éléments pour que chacun, travaillant à des formes de médiation ou d’apprentissages en matière de patrimoine, dans et hors l’école, puissent se situer.
In fine, l’intervention devait conclure sur un appel à précaution : au moment où se développe un enseignement transversal de culture artistique partagée, et considérant que le patrimoine n’est pas réductible aux œuvres d’art ou aux objets culturels, il conviendrait de ne pas replier la charge d’une éducation au patrimoine au seul enseignement d’histoire des arts.
10 moments clés pour comprendre un mouvement qui va de la formation des artistes à l’éducation artistique et culturelle de tous les citoyens
En 2008, un enseignement obligatoire d’histoire des arts est créé.
Il s’agit d’un « enseignement de culture artistique partagée ».
Il est centré sur l’étude des œuvres d’arts.
Pour autant, la notion de culture artistique à l’école n’apparaît pas seulement en 2008.
CULTURE ARTISTIQUE | SPÉCIALISATION
LA PRIMAUTÉ DE LA FORMATION DES ARTISTES |
Jusqu’à la fin du XVIe siècle | Formation de type apprentissage (corporations de métiers) : transmission des savoir-faire et des codes culturels dominants.
À partir du XVIIe siècle, les académies d’artistes deviennent des lieux de formation sous l’égide de l’Académie royale : la notion de culture artistique n’y est pas centrale et ne se pose au sens contemporain, mais les «humanités» baignent les contenus et les querelles qui s’y exercent. |
17 août 1793 | Création du musée du Louvre : fonction d’éducation et de formation des collections, notamment pour les artistes. Les œuvres sont des modèles, leurs registres réfèrent à des éléments culturels, à leurs enracinements et à leurs récits dans des registres stylistiques et codifiés de création. | ||
1er empire | Enseignement des arts libéraux dans le lycée napoléonien pour les élites de la Nation : transposés de l’éducation individuelle aristocratique à celle collective des cadres de l’Empire, croisant «humanités» et maîtrise de «gestes» artistiques. | ||
MASSIFICATION
L’EXTENSION DE L’ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE À |
28 mars 1882 | Loi supprimant la distinction entre matières obligatoires et facultatives : par exemple, le dessin devient obligatoire. Pour autant l’enseignement est essentiellement technique, des modèles culturels «classiques» réfèrent l’acquisition de la représentation mimétique et la reproduction des codes. | |
15 au 17 mars 1968 | Colloque d’Amiens : une commission demande d’assurer l’obligation de l’enseignement artistique à tous les niveaux de l’école et d’introduire l’exigence de culture artistique pour tous. Pose les jalons de la revalorisation de l’éducation artistique en milieu scolaire et de la spécialisation des enseignants. | ||
1978 | Réforme Haby : musique et arts plastiques regroupés sous l’intitulé d’éducation artistique, formalisation dans les programmes de contenus de culture artistique. | ||
DIVERSIFICATION
L’ÉLARGISSEMENT DES DOMAINES ARTISTIQUES ET CULTURELS |
1925 | Création d’une nouvelle matière dite «Art» ou «explication des chefs-d’œuvre de l’art» : l’art comme dimension culturelle générale. Centrée sur l’étude d’une sélection d’œuvres emblématiques, demeurera un fait isolé et de brève durée. | |
6 janvier 1988 | Loi dite «sur les enseignements artistiques» : créations d’options dans différents arts au lycée, affirmation de l’articulation entre pratique et culture artistiques, rapprochements entre ministères de la culture et de l’éducation. | ||
GÉNÉRALISATION
VERS L’ÉDUCATION CULTURELLE DE TOUS LES CITOYENS |
2000 | Plan Lang/Tasca : élargissement des domaines enseignés et des champs d’intervention, primauté donnée à la notion d’éducation artistique et culturelle. | |
28 août 2008 | Arrêté d’organisation de l’enseignement d’histoire des arts instituant un enseignement de culture artistique partagé de l’école au lycée. |
Trois étapes (possibles) pour se repérer vis-à-vis de deux conceptions dominantes (de la culture)
Les buts de l’histoire des arts intègrent la notion de patrimoine (artistique) commun.
Les politiques culturelles intègrent les problématiques du patrimoine.
Des courants de pensée s’exercent dans et sur la culture, pour la qualifier, la situer, lui donner des buts.
Ils interfèrent sur la notion de culture artistique et sur la conception d’un patrimoine.
Les schémas qui suivent sont transposés d’un essai de Christian Ruby, Devenir contemporain ? La couleur du temps au prisme de l’art, 2007, Paris, Editions du Félin (tableau n°6, p. 182).
Pragmatisme VS Dogmatisme :
Un point de vue supérieur prescrit des normes |
➤ Il y a des définitions préalables |
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DOGMATISME |
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L’exercice d’une relation à la culture et à ses objets engage |
→ |
↑ |
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DES COMPÉTENCES DIFFÉRENTES ET UNE RELATION AU DIFFÉREND |
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↓ |
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Dans la recherche d’un universel concret |
Au moyen de dialogue(s) et d’histoire(s) |
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PRAGMATISME |
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Le vrai résulte des seules rencontres |
➤ Il faut varier et multiplier infiniment ces rencontres |
Relatisvisme VS Transcendatalisme
TRANSCEN- |
Des procédures de décisions : → par l’argumentation critique rationnelle |
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Maintien d’un universel humain |
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Une garantie humaine à partir de conditions apprises |
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POINT DE VUE DOGMATIQUE |
→ |
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RELATIVISME |
Validité relative des valeurs : |
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POINT DE VUE PRAGMATIQUE |
→ |
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Chacun son interprétation |
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Antidogmatisme (empiriste) et neutralisation |
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La cohésion sociale par la culture : une cause commune ?
TRANSCENDANTALISME ↓ |
FIXER/FIGER |
← |
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Les définitions sont préalables et des normes sont répétées |
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TENTATIVE(S) COMMUNE(S) DE COHÉSION SOCIALE PAR LA CULTURE |
FAIRE COEXISTER LES CITOYENS PAR LA CULTURE |
CULTURE DANS/SUR LA SOCIÉTÉ ? |
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DÉVELOPPER L’INGÉNIERIE CULTURELLE |
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↑ RELATIVISME |
Croyance en l’immédiateté de l’accès à la culture et à ses objets |
← |
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IMPRÉGNATION |
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L’enseignement d’histoire des arts est-il (doit-il être) le (seul) lieu scolaire d’une éducation au patrimoine ?
Encore récemment (2010), un seul texte portant sur un enseignement d’exploration en 2° s’intitulait^p « Patrimoines » dans l’école française. Il n’est pas assuré dans tous les lycées. Pour autant, l’histoire des arts à l’école, au collège et au lycée, est fortement tournée vers l’instruction du partage d’un patrimoine artistique et culturel commun :
– étudier des œuvres léguées par l’histoire
– poser des jalons pour une relation sensible à ces «legs»
Construire du collectif dans et par la culture (artistique) : dans une certaine mesure, au-delà de la maîtrise de références artistiques situées dans l’espace et dans le temps, on peut aussi considérer l’enseignement d’histoire des arts comme une ultime tentative de créer du commun dans l’espace républicain de l’École (des «humanités» contemporaines ?).
Dans l’Ecole, de par ses buts et ses objets, cette histoire des arts peut-elle (doit-elle) s’assimiler à l’éducation au patrimoine ?
La notion de patrimoine (et son partage) n’est en effet pas pour autant réductible aux arts dans leur(s) histoire(s). Et il serait dommageable que la préoccupation d’éducation au patrimoine ne soit pas saisie dans toutes ses dimensions, dans et hors objets artistiques et culturels, par tous les enseignements.
Christian Vieaux, novembre 2012.
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