Feuilleton : Nouvelle Âme – 7

7.

-Debout blondasse taille XXL !

La première chose que j’entends de la journée, c’est ça. Et la première chose que je ressens, c’est un oreiller en plein dans la figure. Je m’assois sur mon lit, à moitié endormie. Je vais la tuer. Ne sachant où regarder à cause de mes cheveux tombant devant mes yeux, je m’écris :

-Et toi, tu ressembles à une boule montée sur jambes ! Tu crois que c’est mieux ?

Je secoue la tête et me dégage les yeux. Je fais assez vite pour voir un voile de tristesse dans le regard de Clarisse. Il est vite remplacé par le regard moqueur dont je me méfie tant :

-Moi au moins, j’ai pas besoin de talons pour exister.

-Tu plaisantes ?! je fais en me levant et en me plaçant devant elle.

Je la dépasse d’au moins vingt bons centimètres. Et je suis pieds nus. Je baisse la tête vers elle.

-Alors, qui a besoin de talons ?

Elle hausse les épaules.

-J’arrive quand même à être vue sans pour autant être grande, puis à mon grand étonnement, elle ajoute : N’empêche, ça doit être fatigant de ne pas passer inaperçue. C’est pas comme si t’étais moche, en plus.

Je lève un sourcil. Est-ce un compliment que je viens d’entendre ? Je jette un coup d’œil à mon reflet dans le miroir accroché à la porte. Malgré ma cicatrice barrant ma mâchoire gauche, mes traits rentrent dans les standards de beauté. Je détourne le regard. Tout ça m’a valu bien plus de malheur que de bien, contrairement à ce que l’on peut penser.

-Oui, c’est fatigant. Mais on s’habitue. Mieux vaut être regardée pour ça, plutôt que pour…

Je me souviens des regards des gens, jugeant mes mamans car elles avaient le courage de s’aimer en public. Elles nous avaient faites, mon frère et moi, et avait bataillé pour atterrir dans cette salle d’accouchement qui avait accueilli nos premiers cris. Je n’ai jamais voulu avoir une autre famille. En fait, je préférais sincèrement les avoir elles, plutôt qu’un père et une mère n’aimant pas leurs enfants.

– … pour autre chose, je termine, n’ayant pas envie de donner à Clarisse un autre sujet de moquerie.

-Je comprends.

Ses mots attisent ma curiosité. Comprend-t-elle réellement, ou a-t-elle répondu cela par manque de répondant ? Non, elle a lâché ses mots trop vite pour que ça ne soit pas sincère. Ou alors, je me trompe sur toute la ligne. Je soupire. Pourquoi est-ce que j’essaie de la comprendre ?

Je m’apprête à entrer dans la salle de bain, mais je m’arrête. Je ne l’ai pas visité hier, et je me rends compte d’un énorme problème : il n’y a pas de douche, ni de toilettes. Seulement des rangements, un lavabo et un miroir. Je me gratte la tête. Zut, je ne me souviens pas d’avoir entendu parler de douches communes. Clarisse, me voyant rester plantée dans l’encadrement de la porte de la salle de bain, s’écrit :

-Merde ! J’ai oublié de t’expliquer ça !

Je lève les yeux au ciel. Je ne fais même pas l’effort de m’étonner.

-En fait, continue-t-elle, il n’y a pas de douche dans l’école. Comme tu es devenue une Âme, tu n’as plus de corps physique. Tu en as un créé par magie pour que les autres Âmes puissent te voir, et que tu les puisses les voir en retour. Sauf que t’as pas besoin d’en prendre soin, vu qu’il est figé dans une apparence, que tu es censée avoir choisi.

Je lève un sourcil. Oui… Tout se tient. Et cela explique pourquoi de tels endroit comme la boutique de Relooking existent. Mais il me manque des informations, et comme la langue de Clarisse semble s’être enfin déliée, je me lance :

-D’accord mais ça veut dire que je garderai cette apparence pour toujours ? Que je ne maigrirai pas, ne grossirai pas, mes cheveux ne deviendront pas immondément gras ?

-Non, maintenant, ce ne sont plus que “des problèmes de vivants”, dit-elle en souriant.

Je souris à mon tour, même si je ne suis pas sûre de savoir si c’est vraiment une bonne chose.

****

-Wow ! Tu sais que c’est une journée de cours, pas le carnaval ?

Je souris de plus belle en arrivant à la hauteur de Clarisse, assise avec James, Lily, Hana et Enzo. La veste de smoking que je porte boutonnée sans rien en dessous, couplée au pantalon du même ensemble, et accompagnée avec des chaussures à talons ont fait beaucoup d’effet. Enfin, si j’en crois les regards que j’ai attirés depuis que je suis entrée dans le réfectoire. Mais je m’en fiche. J’aime porter ce genre de tenue décalée, et puis, de toute façon, ce n’est pas comme si j’étais la seule. J’ai encore croisé un groupe de pin-up typique des années cinquante, un groupe de garçons habillés avec un style affreusement disco, et même une femme au look victorien à tomber par terre. J’aime m’habiller de façon décalée, et ce n’est pas Clarisse et ses converses qui me diront quoi faire de mon style.

Je m’assois à côté de James. A mon grand étonnement, il se penche vers moi et dit :

-Tu es ravissante, Ambre.

Je ne peux m’empêcher de rougir. Je ne m’attendais pas à un compliment de sa part. Cependant, je me reprends. Il doit sûrement dire ça par “habitude d’époque”. J’essaie alors d’oublier sa remarque, me concentrant sur mes céréales, non sans tout de même ajouter, par politesse :

-Merci, toi aussi.

Cette fois, il porte un costume vert sapin qui aurait fait passer pour clown toute autre personne le portant. Mais j’ai l’impression que, quand on parle de James, on pense à tout sauf à “honte”.

Le repas se fait dans la bonne humeur. Enzo semble avoir repris du poil de la bête, et n’hésite pas à se mêler aux autres. Hana semble d’ailleurs l’avoir pris sous son aile, et j’en suis soulagée. Au moins, nous seront deux pour s’occuper de lui. Quand l’horloge affiche 8h45, Clarisse se lève :

-Dépêchons, vaut mieux ne pas arriver en retard, dit-elle en rassemblant les couverts.

-C’est toi qui dit ça, ricane Lila.

-Oui, et je parle en connaissance de cause !

Sur ce, elle va déposer la vaisselle sur un chariot non loin de là. Lila se penche vers moi, ayant sûrement remarqué mon air ahuri.

-Elle est arrivée en retard lors de la cérémonie de bienvenue. Elle s’était perdue, et tout le monde l’avait regardé quand elle était arrivée pendant le discours de la directrice. La scène était mémorable. Moi, j’étais pliée de rire, et même quand elle s’est assise à côté de moi, je n’ai pas pu m’arrêter.

Le regard de Lila se fait nostalgique.

-C’est comme ça qu’on s’est rencontrées. Dommage qu’on se soit éloignées.

-C’était il y a combien de temps, je dis, doucement, pour éviter de brusquer ses souvenirs.

-Il y a une vingtaine d’années environ. Mais c’est à ton tour, désormais. Et on ferait mieux de se dépêcher.

Nous sortons alors du réfectoire, et traversons la cour. Nous nous rendons dans le bâtiment face au réfectoire, et trouvons une place dans l’immense amphithéâtre. Une femme aux cheveux blancs et au tailleur de la même couleur attend que tout le monde s’installe, des papiers dans les mains. Elle a une aura intimidante. Je m’assois, et Clarisse s’assoit à ma gauche. Enzo se chamaille avec James, avec pour sujet de dispute : « Qui s’assiéra à côté d’Ambre ? ». J’observe la scène, amusée. Enzo recourt à des arguments enfantins, et James ne sait que faire face à ce petit plein d’entrain. Finalement, il abandonne, et s’installe une place plus loin. Enzo lève les bras en l’air, un sourire triomphant sur le visage :

-Parfait, fait-il, l’atmosphère est plus respirable.

Je lève un sourcil. Il se justifie :

-James est vraiment… Trop attentionné, depuis qu’il t’a vu faire hier. Oh, j’ai oublié de te remercier, d’ailleurs.

Je balaie l’étrange sensation qu s’empare de moi quand j’imagine James prendre soin d’Enzo et souris :

-C’est normal, mon grand. Dis, comment tu vas depuis…

Je n’ai pas le temps de finir. A force, je commence à m’y habituer. Les lumières se braquent vers la femme aux cheveux blancs, qui sourit de toutes ses dents :

-Bienvenue aux Nouvelles Âmes !

Amélie

Chapitre suivant la semaine prochaine.