Depuis #Metoo, un regard nouveau est jeté sur les violences sexistes et leurs effets psychologiques. Pourtant, au moins depuis les années 1970, des féministes avaient tenté d’alerter sur ces questions en s’opposant aux dogmes de la psychologie dominante.

La thérapie radicale. La thérapie radicale féministe prend ses sources dans la thérapie radicale1, un courant contestataire en psychothérapie apparu dans les années 1970. S’appuyant sur les travaux de Paulo Freire, la thérapie radicale établit l’équation suivante: Oppression + mystification + isolation = aliénation vs conscientisation + coopération + action = libération.

La thérapie radicale repose sur des groupes d’autosupport, d’entraide collective, entre des personnes psychiatrisées. Une des approches est inspirée par le Théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal. Il s’agit de «chasser les flics qui sont dans la tête», c’est-à-dire de déconstruire les injonctions sociales oppressives que le sujet a intériorisées et qui inhibent l’action.

La thérapie radicale féministe. La thérapie radicale féministe reprend des éléments contestataires de la thérapie radicale relativement à la psychiatrie et aux courants dominants de la psychothérapie, comme l’explique Janine Corbeil2.

Ces thérapies dominantes visaient «à ajuster les femmes à leurs situations injustes plutôt qu’à les aider à se révolter contre ces situations sociales injustes». Ce que conteste ici la thérapie radicale féministe, c’est un présupposé de la psychologie qui consiste à traiter les problèmes des personnes en les référant à la personne elle-même, et non aux conditions sociales. De ce fait, si une femme rencontrait des problèmes psychopathologiques, ce n’était pas parce qu’elle avait été confrontée à des violences sexistes liées à un système social sexiste, mais parce qu’elle n’était pas capable de s’adapter aux situations auxquelles elle était confrontée. C’est donc par exemple dans des rigidités propres à leur personnalité, et non dans des conditions sociales, que la psychologie dominante allait chercher les causes de la psychopathologie.

La psychothérapie dominante a «fait de conflits créés par l’injustice économique et sociale un problème intrapsychique uniquement». Ce qui a conduit à ce qu’en «insistant sur l’origine intrapsychique de tout conflit, la psychothérapie retourne la femme à elle-même et contribue à augmenter le conflit et la névrose». Au lieu donc d’aller chercher la cause des problèmes psychopathologiques dans l’organisation sociale, la psychothérapie dominante les recherche dans la psyché des femmes, dans leurs conflits intérieurs. De ce fait, elle accentue le sentiment pour les femmes qu’elles sont la cause de leur problème et des violences sexistes qu’elles ont subies, intensifiant d’autant leur sentiment de culpabilité.

Le thérapeute dans l’approche dominante «encourage la personne à parler de ses problèmes, ce qui la maintient dans sa passivité débilitante plutôt que de la mobiliser dans l’action». La psychothérapie dominante ne cherchait pas à aider les femmes à agir sur leur réalité, mais simplement leur proposait d’analyser leur psyché et de se changer elles-mêmes pour s’adapter à la réalité sociale injuste.

La thérapie radicale féministe s’est élevée en particulier contre un certain nombre de diagnostics plus souvent statistiquement attribués aux femmes: hystérie, personnalité dépendante, personnalité borderline. Les thérapeutes radicales féministes y ont vu le reflet de stéréotypes sexistes accolés aux femmes. Les symptômes n’étaient plus reliés à des traits pathologiques, mais analysés comme la réaction normale à des agressions sexistes extérieures, à des psycho-traumas.

L’intervention féministe. C’est en particulier dans la continuité de la thérapie radicale féministe que s’est créée au Québec l’«intervention féministe». Cette approche se base sur des groupes de paroles féministes visant un processus de conscientisation: permettre aux femmes de comprendre que ce qui leur arrive n’est pas lié à leur personnalité, mais est le résultat de problèmes sociaux systémiques. Il s’agit d’amener à la prise de conscience de l’ampleur des violences sexistes dans la société.

Par ailleurs, l’approche vise à déconstruire les discours sociaux négatifs et culpabilisants sur les femmes victimes de violences. La femme victime de violences sexistes ne devrait pas à avoir à se justifier de son comportement. Enfin, il s’agit de développer la capacité d’agir en analysant les différentes possibilités individuelles ou collectives. L’intervention féministe met un accent particulier sur l’engagement collectif féministe comme facteur de transformation sociale, de résilience individuelle et d’affirmation de soi3.

NOTES

1. Gisèle Legault, «Le courant de psychiatrie radicale et l’intervention auprès des femmes (une expérience californienne)», Santé mentale au Québec, 8(1), 30-38, juin 1983, doi.org/10.7202/030161ar
2. Janine Corbeil, «Les paramètres d’une théorie féministe de la psychothérapie», Santé mentale au Québec, 4(2), 63-86, novembre 1979, doi.org/10.7202/030057ar
3. L’Action ontarienne contre les violences faites aux femmes propose des formations gratuites en ligne à la lutte contre les violences faites aux femmes et à l’intervention féministe: https://institutdeformation.ca/course/index.php?categoryid=24