Toute existence subjective humaine est située dans des conditions sociales données. De fait, toute épreuve de la vie est une épreuve sociale. Mais elle est également une épreuve existentielle singulière, vécue de manière particulière par une subjectivité. L’existence subjective a le sentiment de vivre une expérience singulière, même lorsque cette expérience est sociale et en réalité commune.

Ainsi, le chômage est une épreuve sociale. Mais, il est aussi pour une subjectivité donnée une épreuve existentielle singulière. De même, le handicap peut-être perçu comme une épreuve existentielle, mais il est une épreuve sociale comme l’a mis en lumière le modèle médical du handicap.

La subjectivité vit l’épreuve sous le mode de l’épreuve existentielle. Prenons une femme qui subit une violence sexiste. Elle vit cela comme une épreuve existentielle : pourquoi moi ? Pourquoi étais-je là à ce moment ? Puis, elle rencontre un groupe de parole féministe. Elle prend conscience que ce qu’elle vivait sur le mode de l’épreuve existentielle singulière, est une épreuve sociale commune à de nombreuses femmes, et n’est pas qu’une épreuve existentielle singulière vécue sous le mode de l’évènement de vie.

L’épreuve sociale peut être objectivée. Mais l’épreuve existentielle, toujours singulière, ne peut être appréhendée qu’à travers la narration qu’en produit une subjectivité donnée. Cette narration n’est pas restitution de la réalité, mais une construction par laquelle la subjectivité se produit comme sujet.

L’approche socio-existentielle fait apparaître cette double dimension des épreuves de la vie : toujours à la fois sociale et existentielle. La narration subjective en restitue la dimension existentielle.

Mais l’objectivation sociologique met en lumière comment l’expérience existentielle est située dans des conditions sociales dont la transformation est également à même de modifier l’épreuve de vie.

La sociologie nous donne donc accès à deux types de savoir : le savoir objectivant de la sociologie explicative et la savoir herméneutique de la sociologie compréhensive. La conscientisation sociologique passe par une dialectique entre ces deux types de savoir. Il n’y a pas de connexion mécanique entre le social et la subjectivité.

Le social peut impacter la subjectivité par exemple comme dans les risques psycho-sociaux au travail. Mais la subjectivité peut donner des sens différents à ces situations. Ainsi, un ou une syndicaliste réussira peut-être à affronter cette situation en faisant un objet de lutte collective, alors qu’une autre personne qui donnera à cette situation un sens simplement individuel et personnel s’effondrera psychologiquement.

La sociologie objectivante se donne pour objectif de rabattre le subjectif sur le social, de montrer en quoi l’expérience vécue comme subjectivement singulière est en réalité socialement déterminée y compris dans ses dimensions subjectives. L’approche phénoménologique narrative cherche à capter, peut-être de manière illusoire, le résidu irréductible de la subjectivité qui échappe au social et qui constituerait la personne dans sa singularité.