Le recours volontaire à la psychanalyse comme méthode de psychothérapie est tout à fait légitime. En revanche, on peut s’interroger sur le bien-fondé de l’approche psychanalytique pour aborder le social.

Les mesuages de la psychanalyse en travail social.

Le fait de vouloir connaître son fonctionnement ou de vouloir agir sur sa personnalité par une psychanalyse est une démarche tout à fait légitime.

Il est plus problématique en revanche d’appliquer la démarche psychanalytique pour aborder des problèmes sociaux étant donné que la psychanalyse n’est pas une science sociale.

Au Quebec, le recours à une relation d’aide psychothérapeutique (s’appuyant entre autres sur la psychanalyse) a été réglementé et les travailleurs/travailleuses sociaux doivent distinguer nettement l’intervention sociale de la psychothérapie. Trois critères ont été établis  pour déterminer la psychothérapie :

– la nature de l’intervention : elle relève d’une intervention psychologique

– l’objet de l’intervention : elle porte sur un problème de santé mentale ou une souffrance psychologique

– la finalité : elle vise à modifier le fonctionnement psychologique de la personne.

Une intervention psychothérapeutique recours en particulier à l’une des quatre approches suivantes : la psychodynamique (psychanalyse), la thérapie cognitivo-comportementale, les thérapies humanistes, les thérapies systémiques.

Référence : Ordre des travailleurs sociaux du Quebec, « Encradrement de la psychothérapie » – https://www1.otstcfq.org/membres/pratiques-professionnelles/encadrement-de-la-psychotherapie/

De manière générale, on peut considérer qu’une approche relève de la psychothérapie lorsqu’elle vise à agir sur le fonctionnement psychologique propre de la personne ou sur son fonctionnement relationnel.

Cette dimension d’accent sur la personnalité des personnes rencontrant des difficultés sociales à travers le travail social à une origine qui se trouve en réalité aux USA avec le « case work » développé par Mary E. Richmond, s’appuyant sur la psychanalyse, et qui a été introduit en France par Marie-Thérèse Vieillot (1888-1985) et Myriam David (1917-2004).

L’approche de Mary Richmond se développe aux USA en opposition à celle Jane Addams :

« Pour Jane Addams, les familles défavorisées vivent dans la pauvreté à cause des effets négatifs de l’économie marchande, de la déstabilisation suite aux conflits armés (la guerre de 1914-1918) et du manque de services sociaux adéquats. Seules de grandes réformes sociopolitiques et économiques peuvent résoudre les problèmes sociaux des familles défavorisées. À l’opposé de cette conception, Mary E. Richmond perçoit les familles « instables ou dégénérées » comme faisant preuve d’un manque de solidarité et de cohésion familiale, résultat de leurs inaptitudes ou de leurs incompétences. Inspirée par la clinique médicale qui prévaut alors, elle centre sa pratique du service social sur les individus et les familles vivant des situations socio-économiques difficiles. À l’encontre de Jane Addams, elle écrit beaucoup, proposant dans ses études de cas des mesures qui visent à changer la personne, plutôt que de remettre en question le déséquilibre des forces sociopolitiques et économiques. » (Référence : Valette-Damase, Claudine. « Usages et mésusages de la psychanalyse dans la professionnalisation des assistantes de service social », Vie sociale, vol. 4, no. 4, 2013, pp. 115-126.)

On le voit donc l’approche de Mary Richemond, qui s’appuie sur la psychanalyse, est développée en opposition à la vision sociologique de Jane Addams qui est elle est influencée par la philosophie et la sociologie pragmatiste tout comme Saul Alinsky (le fondateur du community organizing). L’approche de Mary Richemond renvoie la source des difficultés sociales sur les individus ou les familles, et non pas sur le contexte social.

Référence sur Jane Addams : Le Goff, Alice. Care et démocratie radicale. Presses Universitaires de France, 2013

Or le recours à une approche psychothérapeutique, d’influence psychanalytique, dans le cadre du travail social est discutable dans la mesure où une prise en charge par une approche psychothérapeutique psychanalytique devrait être l’objet d’un choix libre de la part d’un sujet. Les personnes favorisées économiquement choisissent leur approche psychothérapeutiques.

Les bénéficiaire de l’aide social demandent à être aidés pour des problèmes sociaux (voir font l’objet d’un suivi social contraint), mais ne demandent pas en soi à ce que leur personnalité soit changé ou modifiée par l’intervention sociale.

Sociologie et travail social : un rapprochement à effectuer, mais qui se heurte à des limites

Bien que la sociologie traite des problèmes sociaux, son implantation dans la formation des travailleurs/ses sociaux est plus limitée que les approches psychologiques, en particulier psychanalytiques.

Cela s’explique sans doute entre autres pour deux raisons :

– la sociologie traite de la description et de l’analyse de phénomènes généraux, et non pas de cas individuels

– la sociologie est une science descriptive et non pas une praxis (contrairement à la psychothérapie qui vise à agir sur les personnes)

Références : Dubéchot, Patrick. « La sociologie au service du travail social. » La Découverte, (2005).

L’approche socio-existentielle critique

L’approche socio-existentielle critique s’inscrit dans la continuité de la méthode regressive-progressive de Sartre et de l’éducation libératrice de Paulo Freire.

Dans le domaine du travail social, elle vise à proposer une pratique d’intervention qui puisse s’appliquer à la prise en charge de groupe et/ou individuelle.

Pour cela, elle combine trois dimensions :

– Une analyse sociologique des positionnalités sociales : chaque personne est située socialement à partir de différentes coordonnées sociales ( ex : identités de genre/expression de genre, classes sociales supérieure/moyenne/populaire, situation de handicap ou de maladie invalidante/valide, personne racisée ou non, orientations sexuelles….)

– Une analyse sociologie des épreuves de vie (sociales et/ou existentielles) : ce qui peut être effectué à partir du récit de vie de la personne.

– Une réflexion philosophique sur les épreuves existentielles et le projet existentiel de la personne.

L’intervention sociale consiste alors en plusieurs dimensions :

a) faire apparaître que le problème vécu par la personne n’est pas individuel, mais social.

b) dévoiler les mécanismes d’emprises sociaux dans lequel la personne est prise

c) déconstruire les normes sociales intériorisées qui agissent comme de manière limitantes

d) aider la personne à réfléchir à son projet existentiel et les possibilités d’action pour le mettre en œuvre individuellement et collectivement compte tenu des conditions sociales dans lequel elle se trouve. Lui fournir de l’information, de l’aide, de l’accompagnement et du soutien dans ses projets.

Voir : Cahier de formation n°4 pour des exemples de vignettes individuelles

Annexe le psychisme dans l’approche existentialiste marxienne :

Pour Sartre, l’existence précède l’essence. Le sujet est ce qu’il fait. De ce fait, il n’y a pas de nature psychique du sujet. On ne peut donc pas faire une psychothérapie du psychisme car cela supposerait que le psychisme soit une chose, que l’on puisse l’étudier comme une chose, mais il n’est rien de tel.

« Du même coup, la conscience s’est purifiée, elle est claire, comme un grand vent, il n’y a plus rien en elle, sauf un mouvement pour se fuir, un glissement hors de soi ; si, par impossible, vous entriez «dans» une conscience, vous seriez saisi par un tourbillon et rejeté au-dehors, près de l’arbre, en pleine poussière, car la conscience n’a pas de «dedans» ; elle n’est rien que le dehors d’elle-même et c’est cette fuite absolue, ce refus d’être substance qui la constituent comme une conscience. » – (Sartre, Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl : l’intentionnalité – http://philosophiques.canalblog.com/archives/2019/09/07/37620120.html )

Dans Saint Genêt, Sartre écrit : « L’important ce n’est pas ce qu’on a fait de nous, mais ce que nous-mêmes nous faisons de ce qu’on a fait de nous ».

– « Ce que l’on a fait de nous » : c’est entre autres la manière dont le social nous conditionne. C’est la facticité. Mais en soi, la situation ne produit pas le sujet existentiel car celui-ci n’est pas une chose.

– « Ce que nous faisons de ce qu’on a fait de nous » : c’est ce qui renvoie au projet existentiel, à la manière dont le sujet assume la situation et la transcende.

Paulo Freire propose une analyse de la dialectique entre le social et la subjectivité. Il distingue deux consciences. Il y a la conscience qui est le produit des rapports sociaux de pouvoir. Cette conscience correspond à l’aliénation sociale subjective. Il s’agit d’un sujet inauthentique. Cette conscience entre en conflit avec la conscience existentielle qui elle correspond au sujet authentique.

L’approche socio-existentielle critique dans un premier temps analyse ce que l’on a fait de nous : la conscience inauthentique. Puis, elle essaie d’aider sur cette base, la conscience authentique à transcender la situation par une action individuelle et collective.

Cette aspiration à l’authenticité est-elle même selon le philosophe Charles Taylor une aspiration qui est liée à la modernité (voir Le malaise dans la modernité).

Le refus de l’approche socio-existentielle critique de l’analyse de la personnalité du sujet se situe dans la continuité de la critique foucaldienne qui associe l’analyse psychologique de la personnalité, y compris psychanalytique (voir : « La volonté de savoir ») à un contrôle social du sujet.

L’approche liberatrice ne se trouve pas dans une analyse du sujet, mais dans une analyse des rapports sociaux de pouvoir et des rapports sociaux de pouvoir intériorisés dans la personne.

En définitive, une conception libératrice du travail social a besoin d’une sociologie des rapports sociaux de pouvoir et d’une philosophie de la praxis existentialiste, mais pas d’une approche psychothérapeutique.