La manière dont je suis amené à parler de moi psychologiquement ou dont la psychologie (y compris scientifique) parle de moi est en réalité critiquable. Ce que la psychologie, y compris scientifique, saisi de moi, c’est la construction sociale de ma personnalité. Le discours psychologique tend à naturaliser du social.

De son côté, le soi n’existe pas comme une réalité scientifique positive. Il est une exigence éthique celle de la réalisation de l’adéquation entre une parole et une action. C’est en effet dans ses réalisations que le soi, comme exigence éthique, peut être connu.

La construction sociale de la personnalité :

La personnalité en sociologie ne doit pas être considérée comme le produit d’un fonctionnement interne, mais comme une construction sociale. « Persona » : c’est le masque que portait les acteurs de théâtre dans l’Antiquité.

La psychologie scientifique fait l’erreur de vouloir analyser la personnalité comme si elle était une réalité inhérente au sujet, elle naturalise la personnalité, alors qu’il s’agit d’une construction sociale.

Il s’agit au contraire de comprendre comment s’est construit cette réalité sociale que l’on appelle la personnalité et que l’on confond avec le soi.

La personnalité ne dit rien sur le soi. Le soi est autre chose que la personnalité.

Ce que l’on appelle personnalité n’est que le produit des rapports sociaux intériorisés. Il s’agit de comprendre comment sous l’effet des rapports sociaux, elle s’est constituée. Marx : « Mais l’essence de l’homme n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux. » L’essence, en tant que réalité substantielle, est un produit des rapports sociaux.

Il s’agit ainsi de comprendre comment s’est construit de manière socio-historique cette personnalité. Mais cette personnalité n’est pas soi.

Philosophie de la création de soi 

Le soi n’est pas intérieur. Il n’est accessible que dans les actes de la personne, dans ses réalisations.

Etre soi est une éthique. C’est l’adéquation visée entre une pensée, des discours et des actes.

Là encore, permettre à la personne de se réaliser ne relève pas de la psychologie. Cela relève de la réflexion philosophique car il s’agit d’une exigence éthique.

La psychologie du développement personnel part de l’idée de besoins naturels, des tendances innées chez la personne qui visent à se développer. Elle naturalise et substantialise le soi.

Or le soi ne se constitue que dans le dialogue et dans l’action. Il existe d’abord dans un courage de faire entendre sa voix, ce qui veut dire, dans le fait de prononcer une parole authentique qui ne relève pas du bavardage du « on ».

Mais plus encore, l’éthique de soi s’incarne dans l’adéquation entre la parole et l’action.

Qu’est-ce qu’alors l’intériorité ? L’intériorité authentique est le produit de l’intériorisation des pratiques dialogiques critiques. La pensée est un dialogue de l’âme avec elle-même. L’intériorité n’est donc pas première, mais seconde.

A l’intérieur de la personne, la personnalité constituée par les rapports sociaux de pouvoir occupe la place. La constitution d’une intériorité critique n’est pas première. Elle est constituée par l’intériorisation de pratiques dialogiques critiques.

La conscience morale se constitue sous l’effet d’une réflexion critique liée à l’inadéquation entre les discours et les actions. L’étouffement de la conscience morale se caractérise par des justifications où le « on » prend la place d’une pensée critique authentique: « après tout le monde fait comme cela », « on fait tous cela »… Ce n’est pas vrai, mais cela permet d’étouffer la réflexion critique.

La duplicité et l’impuissance

La duplicité caractérise l’oppresseur.  Les oppresseurs ont une capacité à mettre en adéquation leurs pensées et leurs actes. En revanche, ils sont dans l’incapacité de mettre en adéquation leur discours et leurs actes. L’oppresseur n’est pas en capacité d’être lui-même car il n’assume pas ses actions. Et s’il n’assume pas ses actions, c’est qu’il est bien conscient de leur caractère problématique.

La mauvaise foi consiste dans le fait de nier le caractère problématique de ses actes en niant la duplicité.

L’impuissance caractérise l’état de l’opprimé. L’opprimé n’est pas en capacité de mettre en adéquation sa pensée et ses discours (de briser la culture du silence), ou entre ses discours et ses actes. Cette impuissance résulte de l’inhibition de la puissance d’agir en premier lieu par l’intériorisation des rapports sociaux. La capacité à transformer la réalité suppose de rompre l’isolement pour faire face au coefficient d’adversité de la situation.

La libération consiste dans la capacité à mettre en adéquation le discours et les actes (contre la duplicité ou l’impuissance). Cela n’est possible que lorsque la personne peut déconstruire afin de se libérer les rapports sociaux de pouvoir intériorisés.

Néanmoins, la capacité à la transformation sociale s’effectue lorsqu’elle parvient également à dépasser l’isolement qui est produit par l’individuation dans la société néolibérale.