L’explication scientifique des conduites humaines est-elle incompatible avec l’affirmation de la liberté?

 

  « Admettre une âme pour expliquer les phénomènes c’est être réduit à l’ opération du Saint-Esprit »   La Mettrie,  L’homme machine( 1747)

     » Je parlerai souvent de la doctrine reçue que je viens de résumer* comme du « dogme du fantôme dans la machine »

    » Les hommes ne sont pas des machines pas même des machines dominées par l’esprit »,   Gilbert Ryle, La notion d’esprit ( 1949)

    (*: le dualisme de Descartes considérant que l’âme ele corps sont deux substances distinctes)

                                                      

Exemple de dissertation possible entièrement  rédigée

    La liberté, c’est d’abord pouvoir faire ce qu’on a choisi de faire alors qu’on aurait pu choisir autre chose. La liberté s’oppose à l’idée d’une détermination autre que notre propre volonté, qui est la faculté de « poursuivre ou fuir ce que l’entendement propose », donc de se déterminer, de commencer une série contingente de détermination, non d’en poursuivre une. Or le principe même de l’explication scientifique , c’est de ramener à une cause, en partant du principe que rien n’arrive sans une cause (qui a elle-même une cause) et que tout phénomène obéit à une loi. Donc expliquer une conduite humaine, c’est dire qu’elle est la cause de cette action, inscrire cette action dans une série telle que finalement cette conduite s’avère nécessaire, elle n’aurait pas pu être autre, ce qui revient à dire que le choix n’était qu’une illusion. Il y a donc, semble-t-il, incompatibilité entre explication scientifique et liberté. Mais la liberté peut aussi être pensée comme le pouvoir d’être maître de ses choix. Être maître ne signifie pas nécessairement qu’on aurait pu vouloir autrement, mais que c’est nous qui décidons véritablement, ce qui exclut la réaction instinctive, impulsive, le caprice mais pas une loi que nous nous donnerions à nous-même, une rationalité dans le choix.. L’explication scientifique des conduites humaines pourrait donc être l’explicitation de cette loi ou de cette rationalité, compatible avec la liberté. Aussi on peut se demander si l’explication scientifique des conduites humaines est vraiment incompatible avec l’affirmation de la liberté. C’est donc du problème du rapport entre déterminisme et liberté dont nous allons traiter. Ce sujet présuppose que l’on peut expliquer les conduites humaines comme on explique un phénomène naturel. Nous nous demanderons donc si ramener les conduites humaines au principe de causalité ce n’est pas nier la liberté de l’homme, si la liberté et déterminisme ne peuvent pas être compatibles et si cette compatibilité n’est pas ce qui oblige la science à aborder différemment phénomène humain et phénomène naturel.

 

     Expliquer, c’est déplier, analyser. Le mode d’explication scientifique est d’expliquer le particulier par le général, sous des lois. Donc le scientifique cherche une uniformité dans les phénomènes et cela par « l’usage combiné du raisonnement et de l’observation ». Pour que quelque chose soit expliqué scientifiquement, il faut que cette chose puisse être subordonnée à des lois, et donc qu’il y ait déterminisme, c’est-à-dire que la chose ait une cause dont elle est la conséquence et que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ce principe d’explication semble donc incompatible avec l’idée de liberté de choix, pensée sur le modèle du libre-arbitre. Comme le dit Descartes, le libre-arbitre, c’est le pouvoir de se déterminer de manière contingente. C’est-à-dire que face à l’alternative A ou B, j’ai la possibilité de choisir A comme celle de choisir B et si je me détermine pour A, c’est parce que je l’ai voulu et cela ne dépend que de ma volonté. Or si on explique scientifiquement ce choix ce sera pour lui trouver une cause ou une cause à la raison de choisir A que l’on s’est donnée, dans ce cas on niera la contingence du choix. On montrera en effet que le choix de A était nécessaire. On pourra même dégager des lois: dans telle situation l’homme fait ou choisit ceci ou cela, ce qui remettrait aussi en question l’idée d’une liberté individuelle. Nous ne sommes pas différents dans nos choix, nous participons de la même nature humaine, donc nos choix ne sont pas contingents mais nécessaires.  

  De plus une explication scientifique des conduites humaines pourrait ramener ce que l’on croit relevé du choix de l’esprit conscient à un simple mouvement du corps, d’où une illusion de liberté. Je crois choisir celui que j’aime, je crois choisir de protéger mon enfant, mais ce n’est qu’un mécanisme hormonal; je crois choisir ce que je trouve beau mais ce n’est qu’une disposition de mon cerveau, je crois parler librement lors d’une psychanalyse alors qu’il y aurait un déterminisme psychique inconscient, selon Freud, à l’origine de mes associations d’idées ou du choix des thèmes abordés. La vie psychologique ne serait que l’effet de la vie physique; empirique, que l’on pourrait expliquer en remontant aux causes matérielles, physiologiques ou sociales, historiques. L’esprit et le corps ne sont pas 2 substances séparées, mais 2 points de vue épistémologiques différents; la volonté n’est que la prise de conscience, d’une « tension musculaire » comme le suggère Russell dans Science et religion, donc le versant psychologique d’un mouvement physique.

   L’explication scientifique des conduites humaines pourrait même réduire la liberté des hommes, si elle existait encore malgré tout, car sachant que l’homme obéit à telle loi du comportement, réagi à tel ou tel motif, on pourrait faire de lui ce que l’on veut et sans qu’il s’en rende compte, bercé par l’illusion de la liberté. Comme le dit Spinoza, en comparant l’homme à une pierre en train de chuter, l’homme se croit libre par ce qu’il est conscient de poursuivre telle ou telle fin mais ignorant des causes qui le déterminent à les poursuivre. Il suffit de le déterminer à poursuivre telle fin sans qu’il se rende compte de la manipulation et la liberté s’envole.

   Cependant, il serait curieux qu’ici la science quand elle traite du phénomène humain soit malveillante et liberticide, alors que le but de la science de la nature a été, en plus de la connaissance, de donner à l’homme les moyens de prévoir, d’agir sur la nature et par là de devenir selon la formule de Descartes, « comme maître et possesseur de la nature », donc de se libérer de certaines contraintes. Aussi on peut se demander si l’explication scientifique des conduites humaines, même si elle remet en question la contingence des choix, si elle ramène notre existence intelligible à notre existence empirique, est vraiment incompatible avec une liberté. Ne peut-on concilier déterminisme et liberté?

 ***********

   Comme on vient de le dire le déterminisme n’est pas le fatalisme. Si le fatalisme pose une nécessité inconditionnelle, pas de si… et fait qu’on ne peut avoir aucune emprise sur le destin, obéissant à une loi extra-mécanique ( la volonté divine), le déterminisme pose lui une nécessité conditionnelle: si… alors; ce qui permet comme nous l’avons dit la prévision et par là l’action. On peut éviter à la cause de se mettre en place, on peut introduire un élément modifiant l’effet ou impliquant une autre loi. Dans ce cas, on peut penser que si l’individu a compris comme il fonctionne, il peut « jouer le rôle que naguère , au moyen de son caractère en empirique, il ne faisait que naturaliser, avec art et méthode, fermeté et convenance, sans jamais se départir de son caractère », comme le dit Schopenhauer dans son Essai sur le libre-arbitre ( p 91). Savoir qui on est, comment on fonctionne, les motifs qui nous font réagir on non, c’est être capable d’échapper à certaines manipulations, c’est être aussi capables de connaître avec l’expérience nos limites et celles des autres. On peut ainsi préserver certaines de nos libertés. On ne va pas prêter de l’argent à celui que l’on sait incapable de résister à la dépense; on ne va se mettre dans certaines situations que l’on sait nuisibles pour soi. Car si pour Schopenhauer, on ne change pas de caractères et par là de but, on peut par la connaissance se donner d’autres moyens pour les atteindre, en mettant en place d’autres motifs jusque là inconnus qui peuvent influencer le choix. Pour Schopenhauer , les termes du choix ne sont plus alors exactement les mêmes , d’autres motifs entrant en jeu, même si selon lui, on ne changera pas par là celui que l’on est . Ceci ne serait selon lui « pas plus chimérique que de changer le plomb en or en le soumettant à une influence extérieure, ou d’amener un chêne par une culture très soignée à produire des abricots ».

    Le but de l’explication scientifique n’est pas de retirer la liberté aux hommes, mais de les libérer de certaines illusions et par là de certaines souffrances. C’est par exemple le cas de l’hypothèse de Freud de l’inconscient dont le but n’est pas de se retrancher derrière un alibi de l’inconscience, mais de comprendre les causes inconscientes de nos choix et actes, pour pouvoir par un travail de prise de conscience, s’en libérer et par là devenir maître de soi. De même le but de la connaissance historique, s’efforçant de répondre aux critères de scientificité est de se libérer du passé et de pouvoir prendre en main son histoire. En connaissant le fonctionnement des manipulateurs et nos propres mécanismes, on peut déjouer leur stratégie.

   Enfin, on peut penser qu’être libre, ce n’est pas avoir nécessairement la possibilité de se changer mais plutôt d’être en accord avec soi-même. Ne pas subir ce que l’on est ou se contenter de réagir mais agir, voilà ce qu’est la liberté. En effet, on peut penser que la liberté ne s’oppose pas à la nécessité mais à la contrainte. Et c’est d’ailleurs cette absence de contrainte qui donne un sentiment de liberté, et qui est sans doute la liberté. Car si nos choix n’ont pas de causes, on ne peut choisir sans mobile, sans raison . Et le fait que l’on prenne telle raison plutôt qu’une autre, a sans aucun doute une cause. Difficile de soutenir en effet le libre arbitre. Mais au fond, l’essentiel n’est pas que nos choix n’ait pas de cause, mais plutôt de pouvoir nous reconnaître dans ses causes, ou faire en sorte que ces causes nous soient le moins étrangères possibles, puisque de toute façon il y en aura une. Subir sa nature par ignorance, c’est ne pas être libre. Savoir qui on est et faire des choix en accord avec sa nature, voilà ce que pourrait être la liberté. Et dans ce cas le déterminisme ne s’oppose pas à la liberté, mais peut être compatible avec elle. C’est ce que soutient Spinoza, dans sa lettre à Schuller en disant que « est libre celui qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée. […] Vous voyez donc que je ne situe pas la liberté dans un libre décret, mais dans une libre nécessité. » Dans ce cas, l’explication scientifique des conduites humaines n’est pas incompatible avec la liberté, elle permet même de se libérer et d’échapper à l’hétéronomie. Au lieu de se perdre dans des désirs périphériques, mimétiques, ignorants de soi et des objets, on peut en se connaissant, en sachant comme nous fonctionnons , quelle est notre loi, tendre vers ce qui nous est utile, faire d’une cause subie, une raison d’agir. Bergson va dans le même sens ce qui s’oppose à la liberté, ce n’est pas ma nature, mon essence et ses déterminismes, c’est le « courant social » qui nous détermine et nous éloigne de ce que nous sommes.

   Mais ne peut-on pas dire, par delà la cohabitation possible du déterminisme et de la liberté, que ce qui rend compatible la liberté et l’explication scientifique des conduites humaines, c’est qu’on explique pas scientifiquement de la même manière le phénomène humain et le phénomène naturel, de même qu’on ne pas par prévoir de la même manière un phénomène naturel et un phénomène humain?

**********

    En effet, réduire la nature à des lois et un déterminisme peut déjà poser problème , comme le soutient Russell avec la physique quantique qui doit se contenter de probabilités, comme le montre Popper avec sa théorie du falsificationnisme selon laquelle on ne peut prouver une loi, ne pouvant faire toute l’expérience possible, le principe du déterminisme pourrait même n’être qu’une projection du Ciel sur la Terre, selon Bachelard, alors que « le phénomène terrestre a une diversité et une mobilité immédiates trop manifestes pour qu’on puisse y trouver sans une préparation psychologique,une doctrine de l’Objectif et du déterminisme ». ( texte 1 p238) .

    Mais réduire le comportement humain à des lois posent encore plus problème. Et c’est ce que montre la difficulté de prévoir les comportements humains. Comme le note Montesquieu dans L’esprit des lois où il s’efforce de penser la nature des peuples et des États selon le climat, le territoire, etc.. donc à la manière d’un scientifique : « il s’en faut de beaucoup que le monde intelligent (le monde de l’homme) soit aussi bien gouverné que le monde physique. Car, quoique que celui-là ait aussi des lois qui par leur nature soient invariables, il ne les suit pas constamment comme le monde physique suit les siennes. » L’homme bien qu’obéissant à des lois resterait en partie imprévisible. Pourquoi? l’homme ne suit pas constamment les lois?

**************

      On peut certes expliquer cette difficulté de prévision par la complexité de l’être humain, par le fait que chaque individu est unique, comme chaque situation. Chaque acte reste unique malgré une uniformité possible. On peut aussi expliquer cela par les limites de nos connaissances: le fonctionnement du cerveau est loin d’être intégralement connu, il est difficile d’appliquer la méthode scientifique sur le comportement humain. En histoire par exemple, chaque événement n’a lieu qu’une seule et unique fois. On parle de primultimité qui empêche toute expérimentation, mais aussi d’expliquer le particulier par le général. On peut aussi expliquer cela par une capacité à l’a-rationalité, c’est-à-dire que l’homme serait capable de transgresser volontairement ce que l’on pourrait attendre de lui au nom de la rationalité ou au contraire par un effet de la connaissance, qui est de permettre de mieux choisir et par là de déjouer la prévision. Mais on peut aussi expliquer cela par une part de liberté. Si l’homme reste imprévisible, même si on peut dégager des régularités dans son comportement, des traits de caractère, c’est parce qu’en dernière instance, c’est lui qui choisit et qu’il peut à tout moment opposer à la loi naturelle, à sa tendance naturelle, une loi de la raison. Il peut opposer à la nécessité, l’obligation.

C’est ce qui fait selon Kant que même si on trouve des causes à nos choix et actes, on peut malgré tout ressentir de la culpabilité parce qu’on sait que nous ne nous réduisons pas à notre existence concrète, empirique, mais qu’en tant qu’être de raison , nous avons aussi une existence intelligible , nous sommes capables d’écouter notre raison, plutôt que les circonstances ou nos penchants. ( texte 1 p 420). C’est ce qui fait selon Sartre que l’on se retranche derrière le déterminisme pour fuir l’angoisse de la liberté et de la responsabilité qui en découle.

 

   Nous avons donc vu que l’explication des conduites humaines présupposant un déterminisme semblait incompatible avec la liberté qui présupposa, elle, contingence. Mais nous nous sommes rendu compte que le déterminisme pouvait être une ressource pour la liberté et que la liberté était plutôt l’absence de contrainte que de déterminisme. Enfin nous avons noté que les conduites humaines ne pouvaient être expliquées comme des phénomènes naturels, ce qui fait d’ailleurs la particularité des sciences humaines et qui en fait un objet de débat, qu’il y avait une part d’imprévisibilité qui pouvait être associée à une part de liberté en l’homme. Donc l’explication scientifique des conduites humaines n’est pas incompatible avec l’affirmation d’une liberté, et ses limites prouvent même une liberté irréductible.

Notes de cours

“L’imagination”


Définitions et généralités philosophiques…



Jamais la “culture” d’une époque n’a, comme la nôtre, autant fait l’éloge de l’imagination. La publicité, les medias, non seulement font constamment appel à l’imagination, mais font aussi miroiter en permanence la figure de l’ailleurs imaginaire contre le réel. Pour l’homme postmoderne, se sentir libre, c’est faire preuve d’imagination ou accéder à des mondes imaginaires par le cinéma, la publicité, la télévision, la BD, la littérature, le web…. Ainsi, imaginer permettrait de se donner librement un autre monde que celui de la réalité, de surcroît, un monde éventuellement bon marché. Vive l’imagination donc, car elle serait devenue le symbole de la liberté par excellence, lui-même idéal de vie dans nos société contemporaines.
Mais l’imagination n’a-t-elle pour fin que de délivrer les moyens de la fuite de la réalité ? L’imaginaire se réduit-il à la marge de compensation de nos désirs ? Et pourrions-nous nous en contenter ? Quelle différence y a-t-il entre imagination et imaginaire ? Quel est le principal ressort du travail de l’imagination ? L’imagination permet-elle de nous mettre en rapport avec un autre monde possible ou bien de quitter librement celui-ci pour trouver satisfaction ailleurs ? Dans ce cas, ne comporte-t-elle pas certains risques puisqu’elle nous pousserait à nous “oublier” et à négliger le monde réel, sinon à le “négliger” ? Si les fantaisies de l’imagination ne faisaient qu’emprunter leur contenu à la réalité, pour la reconstruire au gré des fantasmes et des désirs, l’imagination ne ferait que copier. Elle se bornerait à combiner des images dans des tableaux qui imitent les faits de la nature, tout en ne représentant rien de réel ou d’existant. Elle ne serait donc doubelement pas si libre ni si riche que nous voudrions le croire. Mais n’est-il pas excessif de dire que l’imaginaire est seulement un sous-produit de la perception retravaillé par le désir ? En somme qu’est-ce que l’imagination ?

I/ Composition et définition de l’imagination

Le terme imagination vient du latin imago, qui est de la même racine que imitari, “imiter”. En ce sens étymologique, l’imaginaton serait donc l’ »imitation par des images”. Or, l’image n’est pas le chose, même si elle lui ressemble. Elle peut donc appraître fondamentalement trompeuse, en se faisant passer pour la chose elle-même. D’où la dévalorisation, comme chez Platon, de l’image et de l’imagination : la première est le plus bas degré du réel, et la seconde le plus bas degré de la connaissance.
L’imagination n’est pas la simple imitation du réel par des images. Elle consiste à produire des représentations et, comme telle, suppose une activité de l’esprit. Cette activité ne réside pas seulement dans le fait de se représenter des objest ou des êtres absents-telle est l’imagination reproductrice ; elle consiste aussi dans la possibilité de combiner les idées ou d’anticiper les évènements, et même dans la faculté que nous avons de nous représenter ce qui n’existe pasn ou pas encore, de concevoir un monde imaginaire – telle est l’imagination productrice.

II/ La conscience et l’imaginaire

La tradition rationaliste se méfie de l’imagination. D’une part, dans son caractère “reproducteur”, elle souffre de n’être qu’une perception affaiblie et confuse. D’autre part, et surtout, le caractère “producteur” de l’imagination en fait une puissance de divagation et de mensonge. L’imagination est, selon le mot de Malebranche (De l’imagination), la “folle du logis”, grande pourvoyeuse de croyances irrationnelles ou absurdes. Ne donnant aucun critère sûr de distinguer le faux du vrai, elle est “maîtresse de fausseté” (Pascal, Pensées.)
Il faut alors soigneusement distinguer entre imaginer et concevoir, c’est-à-dire entre l’imagination et l’entendement, et n’accorder qu’à celui-ci la capacité d’optenir une connaissance claire et distincte. Un exemple emprunté à Descartes illustrera cette distinction. Considérons un polygone à mille côtés (“chiligone”). Il est possible de concevoir clairement une telle figure et d’en déterminer et comprendre les propriétés. Mais il est impossible d’en produire par l’imagination une représentation qui ne soit pas confuse. Une telle  représentation, en effet, ne différerait pas de celle d’un polygone à cinq cents côtés ou de n’importe quel autre à grand nombre de côtés ; elle vaut indistinctement pour chacun d’eux.


III/ Le champ de l’imaginaire, un champ large

Une telle approche de l’imagination se heurte à deux critiques. La première a été clairement formulée par Sartre (L’imagination). En faisant de l’imagination une perception affailbie, nous pensons l’image mentale comme une quasi-chose, qui serait “dans” la conscience comme l’objet est “dans” la réalité. C’est méconnaître, pour Sartre, l’intentionnalité de la “conscience imageante”, qui vise un objet en tant précisément qu’il est absent et le signifie comme tel. La deuxième critique porte sur l’identification entre imagination et fantaisie ou rêve, fantasmagorie. Contre une telle identification, Hume fut l’un des premiers à souligner que l’imagination  est la capacité de combiner les idées ou de les anticiper, bref, de les associer. Si cette association des idées est libre, elle peut aussi se régler et devenir alors ce grâce à quoi nous connaissons le monde. Ainsi chez Hume, la distinction cartésienne entre imagination et entendement disparaît. C’est la même faculté, que Hume nomme “imagination”, qui est aussi bien, selon qu’elle est réglée, source des inventions les plus fantaisistes, ou moyen de repérer des lois dans la nature. Kant aussi insistera sur le pouvoir de liaison et de synthèse qu’opère l’imagination au service de la connaissance.
Ainsi, une autre réhabilitation de l’imagination nous vient du monde de l’art et de la poésie, mais aussi de l’invention technique (y compris l’architecture et le design) : l’imagination n’est-elle pas, dans les deux cas, créatrice, soit en permettant une meilleure maîtrise du réel, soit, comme disait Bachelard (La psychanalyse du feu, l’air et les songes, La poétique de la rêverie), en étant une “fonction de l’irréel” tout aussi utile que la fonction de réel ?
Certes, on ne pourra objecter que l’imagination ne crée par vraiment, qu’elle ne fait au mieux qu’inventer des combinaisons nouvelles avec des éléments donnés. Reste cependant que les combinaisons peuvent être complètement libres. L’imagination manifeste donc la liberté de l’esprit ; elle est puissance, mais puissance positive. Elle se confond avec cette faculté que nous avons d’aller au-delà du donné, de penser l’absent, le passé, le futur, et le possible.

Imaginer, c’est bien plus que déformer le monde réel, c’est représenter un autre monde. La richesse de l’imagination n’est pas seulement empruntée à la perception. Elle outrepasse toujours le perçu. L’imagination a le pouvoir parfois de prospecter ce qui n’est pas encore et de le figurer. La littérature nous le montre avec profondeur. Bien des œuvres littéraires ont été prémonitoires. L’œuvre de Jules Verne est stupéfiante dans sa capacité d’anticipation par l’imagination.
Ainsi, l’imaginaire n’est assurément pas le réel, mais ce n’est pas pour autant seulement un domaine d’évasion. Dans l’imaginaire se projette une profondeur que l’intellect ne parvient pas à conceptualiser entièrement. La puissance de l’imagination permet souvent d’approcher de manière riche et vivante le Réel.


* Sources :

http://sergecar.perso.neuf.fr/cours/imagin1.htm#A

La pratique de la philosophie, E. Clément, C. Demonque, L. Hansen-Love, P. Kahn, Édition Hatier.

Notes de cours

“Matière et Forme”


Définitions et généralités philosophiques…

I/ La Forme

Forme, terme de philosophie.

C’est, dans la philosophie péripatéticienne , le premier des quatre principes métaphysiques, celui qui, en s’unissant à la matière, c’est-à-dire à la substance dont toutes choses sont faites, la tire de son indétermination primitive, et, d’être en puissance, la fait devenir être en acte (Entéléchie ); de même que, par l’adjonction d’une forme particulière, le bloc de marbre devient « Dieu, table ou cuvette. » La forme ou essence des choses est l’objet propre de leur définition. Son union avec la matière suppose d’ailleurs l’intervention des deux autres principes, la cause efficiente ou principe du mouvement et la cause finale, représentées, dans le fait particulier qui a été pris pour tenue de comparaison, l’une par l’art du sculpteur, et l’autre par le but d’ornement ou d’utilité qu’il s’est proposé.

Dans un autre système, chez Kant, la forme est également opposée à la matière; mais, ici, ces mots ont un tout autre sens. La matière, c’est à tous les degrés de la connaissance, l’ensemble des éléments variables et accidentels qu’elle embrasse; la forme en est l’élément général et logique. Suivant l’expression de Kant, c’est « ce qui fait que la diversité dans les phénomènes peut être coordonnée dans certains rapports. » Ainsi, au premier degré de la connaissance empirique, la sensibilité étant prise comme « capacité de recevoir des représentations par la manière dont les objets nous affectent », Kant appelle “Formes de la sensibilité” les concepts du temps et de l’espace, nécessairement et invariablement liés à toute représentation de ce genre. Forme et matière sont donc synonymes d’élément rationnel ou a priori et d’élément empirique ou a posteriori de la connaissance. Ces noms supposent que l’on compare les opérations de l’esprit à ce qui a lieu quand on jette successivement dans un même moule des substances diverses. La matière varie, mais la forme imprimée à cette matière reste la même. Ainsi, l’esprit, qui n’est pas une table rase, comme le veut l’empirisme, mais une force pensante, capable de modifier et de transformer les idées qui lui viennent du dehors, imprime sa forme à tous les objets de sa pensée.

S’agissant des réalités  physiques, la forme est traditionnellement opposée à la matière. On remarquera toutefois que s’il est possible de penser séparément la forme et la matière d’une chose, ou d’un être, il est impossible de les percevoir séparément dans la réalité. La matière occupe toujours une portion d’espace déterminée : une certaine quantité de matière “a” toujours “une forme”; On peut, en revanche, concevoir l’existance de formes pures, c’est-à-dire d’êtres qui, sans avoir de réalité physique, existent tout de même d’une autre manière (dans l’esprit, ou dans un monde supérieur). Tels sont, selon Platon, les Idées et les êtres mathématiques du monde intelligible, dont participent les formes de la matière sensible.
Plus simplement, les cathégories mentales qui rendent possible la perception et la pensée structurée peuvent être qualifiées de formes, dans la mesure où leur pertinence et leur effcicacité sont indépendantes des contenus de réalité auxquels elles sont appliquées. La causalité, par exemple, comme forme du lien qui peut unir deux réalités ou deux idées, opère quels que soient les faits, évènements ou idées mlis en relation de cause à effet.

* Par ailleurs, la Psychologie de la forme (Gestaltpsychologie), d’origine allemande (début du XX° siècle) conçoit des mécanisme de la perception et du comportement comme reposant sur l’idée que notre perception du réel et nos conduites s’inscrivent  toujours dans les “formes” d’un rapport au monde déterminé, qui structure les les phénomènes en ensembles cohérents. Et chaque phénomène n’est perceptible que rapporté à l’ensemble ou à la “forme” qui lui donnent un sens.
(…)
Du point de vue de l’histoire de ce mouvement philosophique, nous pouvons souligner que, grâce à William James (1842-1910) il y avait dès le début du XX°siècle aux Etats-Unis un courant de réflexion voisin, susceptible d’accueillir la Gestalt psychologie. William James, tout comme Bergson (1859-1941) qu’il rencontra en 1905 et avec qui il était en correspondance, s’était en effet intéressé en profondeur au flux de conscience vécue dans son ouvrage “Principes de psychologie” (1890) et avait ultérieurement parlé – dans la seconde partie de son Séminaire de Psychologie (1895-1896) dédié à la “discussion de problèmes théoriques tels que la Conscience, la Connaissance, le Soi [Self], la relation de l’esprit et du corps etc.” – de sa position comme d’un “phénoménisme” pour lequel les phénomènes sont des données ou “pure expérience”. (…) Rappelons – pour souligner les parentés – que la Gestalt psychologie est issue principalement de la “psychologie phénoménologique” – encore nommée “psychologie empirique” – de Brentano (1838-1917) et de Stumpf (1848-1936) et que William James, après être allé à Prague en 1882 pour rencontrer Stumpf, entretint avec lui une amitié de toute une vie. On notera aussi que Husserl (1859-1938), après avoir été l’élève de Brentano puis de Stumpf, étudia dès 1891 avec un grand intérêt les “Principes de psychologie” de James et eut par la suite des contacts intermittents avec lui. Lorsqu’il publie en 1900 ses “Recherches Logiques” dédiées à Stumpf, il n’a pas encore fait de la phénoménologie  la philosophie de la subjectivité transcendantale mais “caractérise la phénoménologie comme une psychologie descriptive de l’expérience intérieure et propose qu’elle devienne la base d’une psychologie et d’une épistémologie empiriques ; et il inclut une note exprimant sa gratitude envers William James pour “ses observations géniales dans le champ de la psychologie descriptive des expériences cognitives” (Shane – The Lineage of Phenomenology in Gestalt Psychology and Gestalt Therapy) (…)

La Gestalt Psychologie naît donc au début des années 1910 autour de Wertheimer (1880-1943) et de sa découverte du “phénomène Phi” (la perception est d’abord perception de totalités – de Gestalt –) qui donne d’emblée sa méthodologie à la Gestalt psychologie : une observation phénoménologique validée ensuite par une investigation empirique… La phénoménologie des Gestalt psychologues est ici à entendre selon le premier sens qu’en donne Husserl, dans la filiation directe d’avec Brentano et Stumpf : (…) “empirique” et non “transcendantale”.

La Gestalt Psychologie s’inscrit ainsi comme la continuatrice de la psychologie de Brentano qui mettait l’accent sur l’intentionnalité et l’acte de conscience. Elle s’oppose à l’associationisme et à la psychologie expérimentale de Wundt et de ses successeurs pour lesquels la conscience est la somme ou la résultante de la combinaison de nombre d’éléments perceptuels discrets. C’est le monde tel que nous l’éprouvons qui intéresse les Gestalt Psychologues. Et Köhler souligne que le point de départ de la psychologie, comme pour toutes les autres sciences, “c’est le monde tel que nous le trouvons, naïvement et sans critique” (“Gestalt psychology : An introduction to new concepts in modern psychology” 1929), tandis que Koffka précise “Pour nous, la phénoménologie signifie une description aussi naïve et complète que possible de l’expérience directe” (“Principles of gestalt psychology” 1935). (…)
Mais l’apport décisif de la Gestalt Psychologie c’est l’approche holistique descendante (expliquer les parties par le tout) qui vient s’opposer à la méthode réductionniste ascendante (expliquer le tout par la somme des parties). Ce qui caractérise donc la Gestalt Psychologie c’est “le point de vue radical que le tout prime psychologiquement, logiquement et épistémologiquement sur ses parties ; penser en termes d’addition fait violence à la nature véritable des dynamiques des totalités authentiques” (Wertheimer, cité par Günther Bittner in “Personale psychologie : Festschrift für Ludwig J. Pontgratz” – Göttingen : Verlag für Psychologie, 1983).

L’introduction de la Gestalt psychologie dans la réflexion des psychologues et psycho-sociologues américains date des années 1920. Ce courant de pensée fut assez rapidement considéré comme une alternative possible au behaviourisme . Il fut ainsi pris au sérieux par un certain nombre d’universitaires bien que parfois mal exposé par ses partisans. (…)
C’est probablement pourquoi la Gestalt psychologie et aussi la Gestalt thérapie – par tout l’intérêt qu’elles portent sur le projet et l’intention comme facteur d’évaluation et d’organisation du champ, mais aussi par l’importance considérable qu’elles accordent plus ou moins explicitement à l’environnement – auront été relativement marginales jusqu’à aujourd’hui. Sans le mouvement de la contre culture des années soixante, sans l’impact des spectacles thérapeutiques de Perls à Esalen, il est probable que la Gestalt thérapie aurait eu une existence confidentielle et éphémère.

II/ La Matière

Matière, terme de philosophie.

Le mot matière peut être entendu en philosophie de deux façons différentes. Chez les Anciens, il était plutôt pris dans un sens relatif, par opposition à la forme : en ce sens, la matière c’est ce dont une chose est faite, c’est la substance d’Aristote, to hypokeimenon, la causa materialis des scolastiques : chez les Modernes, il est plutôt pris dans un sens absolu, par opposition à l’esprit : il désigne, non la substance en général, mais une certaine espèce de substance, la substance matérielle, celle qui se manifeste à nos sens en contraste avec notre activité consciente, l’objet en tant qu’on l’oppose au sujet. Pour mieux dire, les philosophes anciens, et en particulier Aristote, ne semblent pas avoir jamais démêlé cette équivoque; ils ont inextricablement confondu les deux sens, et c’est seulement croyons-nous, à partir de Descartes, que les deux notions de la matière et de l’esprit ont été nettement définies dans leur opposition réciproque.

Ainsi toute la philosophie ancienne admettait plus ou moins expressément ce principe, qu’il y a nécessairement pour toutes choses une sorte de fond commun d’où elles sortent et sur lesquelles elles reposent, et le problème de la matière se formulait pour elle en ces termes : Quelle est la nature de ce substratum universel. Les premiers Ioniens, on le sait, l’assimilaient tour à tour à l’eau, à l’air et au feu. Démocrite le composait de plein et de vide, d’atomes et d’espace. Platon y voyait une sorte de non-être. Aristote, qui proclamait énergiquement sa réalité, la déclarait inséparable des formes qu’elle contient en puissance et qui la manifestent en s’actualisant; pour mieux dire, il distinguait les matières secondes, toutes plus ou moins déterminées par des formes, telles que nous les observons dans la nature, et la matière première, absolument indéterminée, étrangère à toute forme, que nous pouvons bien imaginer dans notre pensée, mais qui n’est qu’une abstraction vide ou plutôt une impossible fiction. Aussi les stoïciens, après lui, ont-ils soutenu que la matière contient en elle-même le principe de ses qualités et la source de ses mouvements; ils l’ont conçue comme essentiellement vivante : d’où le nom d’hylozoïsme , quelquefois donné à leur doctrine; tandis que les épicuriens, reprenant les idées de Démocrite, dissolvaient la matière en une infinité d’atomes qui se meuvent, s’agrègent et se désagrègent dans l’espace sans bornes par le seul effet de leurs propres forces (Philosophie atomistique).

À partir de Descartes, la matière ne s’oppose plus à la forme, mais à l’esprit. La matière et l’esprit sont en effet pour Descartes deux réalités également substantielles, mais essentiellement distinctes par nature; et il les définit : la première par l’étendue, la seconde par la pensée. De là toute une série de problèmes à peu près inconnus de la philosophie ancienne. En faisant de l’âme humaine la forme d’un corps organisé et vivant, Aristote l’avait par cela même conçue comme présente dans toute l’étendue de ce corps; elle devenait ainsi une sorte de corps invisible, impalpable, contenu dans l’autre, de mêmes dimensions, de même figure que lui, tel que se l’imaginent encore aujourd’hui ces prétendus spiritualistes et autres “chasseurs de fantômes” qui parlent de « photographier l’âme ». Il n’y avait à ce point de vue entre le matériel et le spirituel qu’une simple différence de degré. Pour Descartes, au contraire, la matière est quantité, multiplicité; l’âme est qualité, unité. Dès lors, toutes les propriétés qualitatives que nous attribuons à la matière ne lui appartiennent pas véritablement; elles sont des apparences dont notre pensée seule la revêt. Par là se trouve établie la distinction des propriétés premières et des propriétés secondes des corps, celles-là objectives et se réduisant toutes à l’étendue, celles-ci subjectives et traduisant les modifications de l’étendue en sensations de couleur, de son, d’odeur, de saveur, etc. Mais on comprend que les successeurs de Descartes, approfondissant cette distinction, se soient demandés si l’étendue elle-même ne serait pas, comme la couleur et le son, un produit de la pensée. On sait quelles réponses Berkeley, Leibniz, Kant, Stuart Mill ont fait tour à tour à cette question.

Au XXe siècle, la physique, avec ces deux bouleversements majeurs qu’auront été la théorie quantique et les théories de la relativité (restreinte et générale), la problématique de la matière s’est elle aussi trouvée complètement renouvelée. On ne peut plus penser la matière indépendamment de l’espace et du temps, eux-mêmes solidaires, et le concept de matière, placé également en vis-à-vis avec celui d’interaction, a fini par devenir évanescent, au point que l’on a parlé parfois d’une « dématérialisation de la matière ». Mais même si l’on s’en tient à l’approche classique des philosophes, les problèmes les plus fondamentaux  qui touchent à la matière sont déjà apparents. Ils pourraient, croyons-nous, se ramener à deux, le premier plus particulièrement philosophique, le second scientifique :

1°  Quelles raisons légitimes avons-nous d’affirmer l’existence réelle, objective, de la matière, et quelle est la valeur de la connaissance ou, pour mieux dire, de l’idée que nous pouvons en avoir?

2° Que savons-nous de la nature de la matière? Comment pouvons-nous essayer de nous la représenter?

Sur le premier point, l’accord est à peu près unanime entre les différentes écoles philosophiques classiques. On admet que la réalité de la matière ne nous est pas directement connue : nous la supposons, en définitive, par un raisonnement fondé sur le principe de causalité, pour nous expliquer à nous-mêmes les phénomènes qui se manifestent à nos sens; et, par suite, quelque idée que nous nous en fassions, nous ne la concevrons jamais absolument telle qu’elle est en soi, mais seulement dans son rapport avec nos sensations et les habitudes ou les nécessités de notre pensée. Tous les philosophes du XIXe siècle, aussi bien ceux qui se déclarent disciples de Comte ou de Spencer, que ceux qui se réclament de la Monadologie  (Leibniz, monade) ou de la Critique de la raison pure (Kant, Criticisme), reconnaissent hautement ce principe, bien qu’ils ne voient pas tous peut-être avec la même clarté les conséquences qui en découlent et qu’il arrive parfois à certains d’entre eux de méconnaître.

Si nous examinons maintenant quelles sont en fait les conceptions hypothétiques de la matière sur lesquelles hésitaient encore philosophes et savants immédiatement avant l’âge quantique, nous pouvons d’abord mettre au premier rang la conception atomistique déjà florissante. Elle semblait un des postulats nécessaires de la physique et de la chimie modernes, bien qu’elle eût commencé à la fin du XIXe siècle (notamment en France)  à perdre curieusement une partie de son crédit.

Quoi qu’il en soit, dès cette époque, on suppose que la matière se compose de substances réellement distinctes, séparées même les unes des autres par des intervalles vides, indivisibles, infiniment petites, et cependant occupant une certaine étendue, impénétrables les unes aux autres, et cependant s’influençant les unes les autres par des forces attractives et répulsives, inertes d’ailleurs et ne faisant jamais que recevoir et transmettre le mouvement sans pouvoir le produire par leur propre initiative. Mais cette hypothèse elle-même tend à se compliquer encore, d’une part pour rendre compte des phénomènes de lumière, d’électricité, que seule l’approche quantique permet d’aborder convenablement, et de chaleur, qui a ses propres difficultés, et qui semblent obliger à admettre que les atomes eux-mêmes sont contenus dans un milieu matériel (l’éther), lequel emplit leurs intervalles, d’autre part pour expliquer mécaniquement les forces attractives et répulsives qu’on leur attribue et dont la raison ne peut résider sans doute que dans les mouvements intestins de leurs parties. L’atomisme se trouve ainsi lancé sur la pente d’un progrès à l’infini, car que pourraient être ces parties des atomes, sinon des atomes encore plus petits? Et cet éther qu’on imagine entre les atomes, s’il est matériel, ne doit-il pas aussi, se demande-t-on, se composer d’autres atomes? De sorte que la limite, qu’on croyait avoir atteinte, recule sans cesse devant la pensée. Joignez à cela la contradiction métaphysique d’un indivisible étendu et par conséquent divisible à l’infini, et vous comprendrez que le concept de l’atome ait pu paraître suspect à plus d’un philosophe.

Les plus sceptiques n’y voyaient qu’un artifice, une fiction commode pour exprimer les résultats de l’expérience et les soumettre à l’analyse, mais sans aucun rapport véritable avec la réalité. L’ironie veut que la même défiance se soit poursuivie après même que l’hypothèse atomique ait été admise, mais qu’elle ait simplement changé d’objet, lorsque les physiciens ont abordé celle de l’existence d’objets subatomiques. C’est se qui s’est produit, par exemple, dans les années 1960, quand Murray Gell-Mann a introduit l’hypothèse des quarks pour rendre compte des propriétés des nucléons. Lui-même,semble-t-il, n’y voyait pas au départ autre chose qu’une astuce heuristique …

Mais revenons-ens à l’époque pré-quantique. Dans ce concept de l’atome, deux idées apparaissaient  indissolublement unies, l’idée de l’étendue et l’idée de la force. De là une double tentative pour lui substituer un concept plus simple.

 » Que savons-nous de l’atome, disait Faraday, en dehors de le force? Vous imaginez un noyau que vous appelez a, et vous l’environnez de forces qu’on peut appeler m; pour mon esprit, votre a ou noyau s’évanouit et la substance consiste dans l’énergie de m. En effet, quelle idée pouvons-nous nous former du noyau indépendamment de son énergie? « 

Dans cette hypothèse, qui a eu pour partisans non seulement Faraday, mais Boscovich, Kant, Cauchy, Renouvier, etc., l’élément ultime de la matière, ce n’est plus l’atome, c’est le centre de forces. Il faut concevoir chaque élément de la matière comme un point indivisible autour duquel rayonnent dans toutes les directions des lignes de forces par lesquelles il est en relation avec tous les autres points de l’univers, susceptible d’ailleurs de se déplacer dans l’espace pour se rapprocher ou s’éloigner de certains d’entre eux. Ce qui revient à dire qu’il se constitue et se définit par la somme des actions qu’il est censé exercer sur les autres centres et en subir à son tour. Mais qui ne voit que, dans une telle doctrine l’unité, l’individualité de chaque centre de forces, devient absolument impossible à déterminer ou même à concevoir? Quelle idée d’ailleurs se faire de ces forces, qu’il contiendrait toutes ensemble, puisqu’une force ne nous est connue mécaniquement que par les mouvements qu’elle suscite, empêche ou modifie? N’est-ce pas dire qu’il n’y a rien de plus dans l’univers que des mouvements actuels et virtuels qui dépendent les uns des autres, se continuent et se transforment les uns dans les autres, selon des lois-mathématiques?

De là une autre hypothèse, non plus dynamique, mais purement mécanique, et en quelque sorte géométrique, qui s’efforce de réduire la matière au seul mouvement. L’idée première en remonte à Descartes, mais elle a été reprise  par  W. Thomson (Kelvin) et Lasswitz. Pour eux, la matière est un fluide continu, homogène, dans lequel le mouvement seul déterminerait des unités apparentes. Les prétendus atomes ne sont dans cette hypothèse que des tourbillons, des anneaux tourbillonnants, comme ceux dont les propriétés ont été déterminées par les calculs de Helmholtz et que se sont attachées à mettre en lumière les expériences de Tait.

Mais, tomme l’objectera Stallo,

« le mouvement dans un fluide parfaitement homogène, incompressible, et par suite continu, n’est pas un mouvement sensible. Toute différenciation dans un pareil fluide est purement idéale; malgré le déplacement d’une masse par une autre masse, un espace donné présenterait à chaque instant la même quantité de substance, absolument indiscernable de celle qui y était le moment d’avant. »

En outre, comme l’a vu Maxwell, l’atome tourbillon est incapable d’inertie.

Ainsi toutes les hypothèses proposées jusqu’au début du XXe siècle sont ainsi impuissantes soit à résoudre leurs contradictions internes, soit à s’ajuster complètement avec les faits. Quelle conclusion pouvaient alors en tirer philosophes et physiciens, sinon que leurs conceptions scientifiques de la matière, plus ou moins utiles comme instruments de coordination et d’analyse, ne sauraient prétendre à la vérité absolue? Par cela même qu’elles ne faisaient que simplifier et généraliser les caractères et les rapports des phénomènes sensibles, expliquaient-ils, elles étaient nécessairement symboliques et illusoires comme ces phénomènes eux-mêmes. Elles servaient en quelque sorte à transcrire les apparences dans une langue plus claire et plus cohérente que celle des sens; mais elles ne faisaient pas pénétrer au delà des apparences, et cette langue elle-même était dérivée de la langue des sens et gardait de son origine une irrémédiable relativité. Ces mêmes physiciens et philosophes en déduisaient qu’ils risquaient bien d’être condamnés à ignorer éternellement ce qu’est en soi la matière. On peut se demander aujourd’hui, si après un siècle de progrès étourdissants – des progrès qui ont permis notamment de percer des mystères inimaginables pour les auteurs du XIXe siècle, et de dépasser la « langue des sens » au-delà de toute espérance – ces doutes ne conservent pas la même actualité.

Probablement insoluble pour la science, le problème l’est sans doute aussi pour la métaphysique. Il est vrai que celle-ci n’est pas astreinte dans ses hypothèses aux mêmes conditions que celle-là. Les explications qu’elle propose doivent, non rendre compte du détail des phénomènes, mais s’accorder, sans être d’ailleurs contredites par l’expérience, avec un ensemble d’explications du même ordre, logiquement cohérent et coextensif au système total de nos connaissances. En un mot, toute métaphysique procède d’une cosmovision. Mais celle-ci peut-elle jamais s’affranchir de notre propension à mêler inextricablement nos connaissances à nos désirs?

* Sources :

Phénoménologie

http://www.cosmovisions.com/forme.htm

http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CGES_010_0177

La pratique de la philosophie, E. Clément, C. Demonque, L. Hansen-Love, P. Kahn, Édition Hatier.

Notes de cours

L’Espace

Nous allons discuter ici de savoir si l’espace est quelque chose de donné en soi, s’il s’impose à nous, ou bien s’il n’est pas quelque chose de culturel, de qualitatif et de vécu.

Affirmer cela, c’est dépasser la conception habituelle que nous avons de l’Espace, c’est-à-dire la conception galiléo-newtonnienne. Cette dernière conception de l’ »espace », historiquement située…

I/ Les différents points de vue posés sur la notion d’espace


a. Le point de vue physiologique

Espace = limité au champ de notre perception actuelle et différenciée (haut, bas, droite, gauche) et variable selon le sens qui le perçoit.

b. Le point de vue de l’intuition commune

Espace = milieu homogène, continu et illimité dans lequel nous situons tous les objets et leurs déplacements.

c. Le point de vue de la géométrie

Espace = représentation abstraite de ce milieu, vidé de toute matière et caractérisé par les propriétés suivantes : homogène, isotrope, continu et illimité. (Espace de la géométrie euclidienne qui correspond à celui de la perception tridimensionnelle ou non euclidienne).

d. Le point de vue de la physique

Espace = (depuis Einstein) milieu à 4 dimensions, constitué par la réunion de l’espace à trois dimensions et du temps.

II/ Des approches inconciliables ?

La diversité des approches a quelque chose de décourageant… L’espace est-il une donnée concrète ou bien une conception abstraite, un « ordre idéal » ?

Est-il distinct de son contenu ou bien indissociable ?

La philosophie tout au long de son histoire, apporte à ces questions des réponses on ne peut plus contrastées…

III/ L’espace des philosophes

* Pour Aristote, l’espace = lieu ou enveloppe vide, c’est-à-dire la limite à l’intérieur de laquelle un corps est compris. Une telle conception implique un Univers fini.

* Pour Descartes, l’espace physique = confondu avec la substance corporelle ou matérielle :

« L’espace, ou lieu intérieur, et le corps qui est compris dans cet espace, ne son différents (…) que par notre pensée. » (Principes, II, 10).

L’étendu géométrique constitue l’espace cartésien.?

* C’est le contraire pour Leibniz, l’espace n’est ps une réalité naturelle amis une « idéalité », un « ordre de coexistence » : ce qui signifie que ce sont l’ensemble des mouvements et des situations des choses les unes relativement aux autres qui constituent ce qu’on appelle l’espace, conçu finalement comme un pur système de relation abstraites.

IV/ Une forme « a priori » de la « sensibilité » ?

* Leibniz tend à appauvrir l’espace en le réduisant à ses propriétés logiques. (Cf. Texte distribué en classe).

* Kant souligne au contraire le caractère intuitif de l’espace sensible. Pour lui, l’espace serait une « forme a priori de la sensibilité ».

Il remet ainsi en cause la conception commune selon laquelle l’espace serait une réalité objective indépendante de notre perception et ayant une réalité propre. Kant conçoit l’espace comme une condition de possibilité de l’expérience.

Exclu des « choses en soi », l’espace doit par conséquent être limité aux phénomènes et à l’expérience possible :

« L’espace n’est que la forme de tous els phénomènes externes,c ‘est-à-dire la condition subjective de la sensibilité. » (Critique de la raison pure)

V/ Des perspectives incompatibles ?

* Mais l’espace dont nous parle Kant est celui, inchangé depuis les grecs- qu’avait conçu et formalisé Euclyde plus de 2000 ans auparavant.

* Aujourd’hui, la tendance des physiciens serait plutôt de considérer l’espace comme une « fonction de notre sphère conceptuelle ». Comme l’avait donc bien compris Kant, l’espace n’est pas une donnée naturelle et indépendante de la représentation humaine. Il y aurait même autant d’espaces que d’approches et de perspectives possibles sur notre Univers et notre environnement.

* L’espaces des artistes enfin, notamment à la suite des révolutions esthétiques du XX° siècle (ex : cubisme), nous révèlent un univers éclaté, régénéré dont l’Homme n’est pas forcément le centre…


Textes : L’ESPACE

I/
Que donc le lieu existe, on le connaît clairement, semble-t-il, au remplacement : là où maintenant il y a de l’eau, là même, quand elle en part comme d’un vase, voici de l’air qui s’y trouve et, à tel moment autre espèce de corps occupe le même lieu : c’est que, semble-t-il, il est une chose autre que celles qui y surviennent et s’y remplacent, car là ou il y a maintenant de l’air, là il y avait tout à l’heure de l’eau ; par suite, il est clair que le lieu (que l’étendue) est quelque chose d’autre que les deux corps qui y entrent et en sortent se remplaçant.
En outre les transports des corps naturels simples, comme feu, terre et autres semblables, indiquent non seulement que le lieu est quelque chose, mais aussi qu’il a une certaine puissance : en effet, chacun est transporté vers son propre lieu, si rien ne fait obstacle, l’un en haut, l’autre en bas; mais ce sont là parties et espèces du lieu, je veux dire, le haut, le bas et les autres parmi les six dimensions. Or, ces déterminations, le haut, le bas, la droite, la gauche, ne sont pas telles seulement par rapport à nous ; pour nous en effet, elles ne sont pas toujours constantes mais dépendent de la position que prend la chose pour nous, selon notre orientation ; par suite une chose peut, en restant sans modification être à droite et à gauche, en haut et en bas, en avant et en arrière.
Dans la nature, au contraire, chaque détermination est définie absolument : le haut n’est pas n’importe quoi, mais le lieu où le feu et le léger sont transportés, de même le bas n’est pas n’importe quoi, mais le lieu où les choses pesantes et terreuses sont transportées de telles déterminations différant non seulement par leur position, mais par leur puissance. Les choses mathématiques le montrent également : elles ne sont pas dans le lieu et cependant, suivant leur position relativement à nous, elles sont droite et gauche, mais leur position est seulement objet de pensée, et elles n’ont par nature aucune de ces déterminations.

ARISTOTE
Physique, Livre IV, I, 208a-208b

II/
1. L’espace n’est pas un concept empirique * qui ait été tiré d’expériences externes. En effet, pour que certaines sensations puissent être rapportées à quelque chose d’extérieur à moi (c’est-à-dire à quelque chose situé dans un autre lieu de l’espace que celui dans lequel je me trouve), et de même, pour que je puisse me représenter les choses comme en dehors et à côté les unes des autres, – par conséquent comme n’étant pas seulement distinctes, mais placées dans des lieux différents – il faut que la représentation de l’espace soit posée déjà comme fondement. Par suite la représentation de l’espace ne peut pas être tirée par l’expérience des rapports des phénomènes extérieurs, mais l’expérience extérieure n’est elle-même possible avant tout qu’au moyen de cette représentation.

2. L’espace est une représentation nécessaire * a priori * qui sert de fondement à toutes les intuitions * extérieures. On ne peut jamais se représenter qu’il n’y ait pas d’espace, quoique l’on puisse bien penser qu’il n’y ait pas d’objets dans l’espace. Il est considéré comme la condition de la possibilité des phénomènes, et non pas comme une détermination qui en dépende, et il est une représentation a priori qui sert de fondement, d’une manière nécessaire, aux phénomènes extérieurs.

3. Sur cette nécessité a priori se fonde la certitude apodictique * de tous les principes géométriques et la possibilité de leur construction a priori. En effet, si cette représentation de l’espace était un concept acquis a posteriori * qui serait puisé dans la commune expérience externe, les premiers principes de la détermination mathématique ne seraient rien que des perceptions. Ils auraient donc toute la contingence * de la perception ; et il ne serait pas nécessaire qu’entre deux points il n’y ait qu’une seule ligne droite, mais l’expérience nous apprendrait qu’il en est toujours ainsi […].

4. L’espace n’est pas un concept discursif, ou, comme on dit, un concept universel de rapport des choses en général, mais une pure intuition. En effet, on ne peut d’abord se représenter qu’un espace unique, et, quand on parle de plusieurs espaces, on n’entend par là que les parties d’un seul et même espace. Ces parties ne sauraient, non plus, être antérieures à cet espace unique qui comprend tout, comme si elles en étaient les éléments (capables de le constituer par leur assemblage), mais elles ne peuvent, au contraire, être pensées qu’en lui. Il est essentiellement un ; le divers qui est en lui et, par conséquent, aussi le concept universel d’espace en général, repose en dernière analyse sur des limitations. Il suit de là que, par rapport à l’espace, une intuition a priori (qui n’est pas empirique) est à la base de tous les concepts que nous en formons. C’est ainsi que tous les principes géométriques – par exemple, que dans un triangle, la somme de deux côtés est plus grande que le troisième – ne sont jamais déduits des concepts généraux de la ligne et du triangle, mais de l’intuition, et cela a priori et avec une certitude apodictique.

KANT
Critique de la raison pure,
Esthétique transcendantale, première section.

III/
L’espace est quelque chose d’uniforme absolument; et sans les choses y placées, un point de l’espace ne diffère absolument en rien d’un autre point de l’espace. Or il suit de cela (supposé que l’espace soit quelque chose en lui-même outre l’ordre des corps entre eux), qu’il est impossible qu’il y ait une raison pourquoi Dieu, gardant les mêmes situations des corps entre eux, ait placé les corps dans l’espace ainsi et non pas autrement; et pourquoi tout n’a pas été pris à rebours (par exemple) par un échange de l’Orient et de l’Occident. Mais si l’espace n’est autre chose que cet ordre ou rapport et n’est rien du tout sans les corps que la possibilité d’en mettre, ces deux états, l’un tel qu’il est, l’autre supposé à rebours, ne différeraient point entre eux. Leur différence ne se trouve donc que dans notre supposition chimérique de la réalité de l’espace en lui-même. Mais dans la vérité, l’un serait justement la même chose que l’autre, comme ils sont absolument indiscernables; et par conséquent, il n’y a pas lieu de demander la raison de la préférence de l’un à l’autre.
Il en est de même du temps. Supposé que quelqu’un demande pourquoi Dieu n’a pas tout créé un an plus tôt, et que ce même personnage veuille inférer de là que Dieu a fait quelque chose dont il n’est pas possible qu’il y ait une raison pourquoi il l’a faite ainsi plutôt qu’autrement, on lui répondrait que son illation serait vraie si le temps était quelque chose hors des choses temporelles; car il serait impossible qu’il y eût des raisons pourquoi les choses eussent été appliquées plutôt à de tels instants qu’à d’autres, leur succession demeurant la même. Mais cela même prouve que les instants hors des choses ne sont rien et qu’ils ne consistent que dans leur ordre successif; lequel demeurant le même, I’un des deux états, comme celui de l’anticipation imaginée, ne différerait en rien, et ne saurait être discerné de l’autre qui est maintenant.

G.W. LEIBNIZ,
Troisième écrit, ou Réponse ou seconde réplique de M. Clarke, in Œuvres Paris, Ed. Aubier-Montaigne, 1972, p. 416.

VI/
Pour moi, j’accueille l’image du poète comme une petite folie expérimentale, comme un grain de haschisch virtuel sans l’aide duquel on ne peut entrer dans le règne de l’imagination. Et comment accueillir une image exagérée, sinon en l’exagérant un peu plus, en personnalisant l’exagération ? Aussitôt, le gain phénoménologique apparaît : en prolongeant l’exagéré, on a en effet quelque chance d’échapper aux habitudes de la réduction. À propos des images de l’espace, on est précisément dans une région où la réduction est facile, commune. On trouvera toujours quelqu’un pour effacer toute complication et pour nous obliger de partir dès qu’on parle d’espace que ce soit d’une manière figurée ou non de l’opposition du dehors et du dedans. Mais si la réduction est facile, l’exagération n’en est que phénoménologiquement plus intéressante. Le problème que nous agitons est très favorable, nous semble-t-il, pour marquer l’opposition de la réduction réflexive et de l’imagination pure.

BACHELARD
Poétique de l’espace, Paris, P.U.F., 1958, p. 197.


« la barbarie, c’est la tyrannie de l’inférieur »

Cette citation est de Comte-Sponville. Vous la trouverez  dans le chapitre intitulé La confusion des ordres dans Le capitalisme est-il moral? paru 2006. Inspirée par les analyses de Blaise Pascal sur le ridicule et la tyrannie, elle reprécise ce qu’est le barbare.

Le barbare, c’est étymologiquement le barbaros, l’étranger ( le non-grec) ainsi qualifié parce qu’il ne parle pas notre langue, le grec mais  use d’un langage inintelligible pour nous, pour les grecs, réduit dès lors à un langage inarticulé d’onomatopées , plus proche des cris poussés par les animaux ou des bruits de la nature que d’une parole humaine, où se déploie le logos. Le barbare c’est celui qui n’est pas de ma culture que je renvoie dès lors dans la nature, c’est le sauvage, c’est l’inhumain, quand la diversité culturelle n’est pas reconnu , quand on reste encore dans une vision ethnocentriste de l’humanité.  « Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage. » soutenait déjà  Montaigne dans ses Essais.

Lévi-strauss nous a appris que « le barbare c’est d’abord l’homme  qui croit à la barbarie »  mais c’est aussi selon Comte-Sponville celui qui « ne reconnait aucune valeur supérieure, qui ne croit qu’au plus bas, qui s’y  vautre et voudrait y plonger tous les autres » .

Pour Comte-sponville, les 4 ordres sont

  1. ordre économico-techno-scientifique régi par des impératifs techniques ( simple impératif conditionnels d’habileté) , par la loi du « tout le possible sera fait toujours » ( dite loi de Gabor) et par « la valeur » de l’intérêt, de la performance
  2. ordre juridico-politique ( la loi et l’Etat, opposant au possible, la volonté du souverain ( en démocratie la volonté du peuple souverain)
  3. ordre de la morale ( loi de la nature ou de la raison, de la conscience  bornant la souveraineté sans limites, plus exigeante qu’elle; « l’individu a plus de devoirs que le citoyen »)
  4. ordre éthique: pour Comte-Sponville , l’éthique se distingue de la morale : la morale , c’est « tout ce qu’on fait par devoir » ; l’éthique, c’est « tout ce qu’on fait par amour » . L’amour incarne une valeur suprême; c’est l’amour de la vérité, de la liberté, de l’humanité ou du prochain.

Pour Comte-Sponville , ces 4 ordres sont « nécessaires » mais « aucun n’est suffisant », c’est-à-dire que chacun a besoin de l’autre, et quand on néglige cette interdépendance ou un des ces ordres et leur ordre, on tombe alors  soit dans l’angélisme ( quand on néglige les ordres inférieurs pour tomber dans la tyrannie du supérieur) soit dans la barbarie ( quand on néglige les ordres supérieurs pour sombrer dans la tyrannie de l’inférieur).

Il me semble qu’aujourd’hui c’est la barbarie qui s’expose le plus clairement à nos regards et en particulier la barbarie technocratique, qui se manifeste par une tyrannie des experts mais aussi une tyrannie du marché  et de la richesse.

Voilà deux des nombreux exemples  de cette barbarie quotidienne:

  • l’exploitation du  gaz de schiste désormais autorisée par l’Etat, le Ministère de l’écologie sur le sol du sud de la France, tout près de chez vous!


DANGER – Gaz De Schiste. 1/7 (Doc CHOC)

Retrouvez la suite du documentaire sur Dailymotion et des informations ici:

http://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/gazdeschistes_site_final.pdf

 

  • le nouveau visage de l’agriculture et de l’élevage aux USA et très bientôt ( ou même déjà !) dans vos assiettes :

 

buy windows 11 pro test ediyorum