La particule la plus énergétique de l’univers

Ethan est un astrophysicien américain qui répond sur son blog à des questions posées par ses lecteurs. J’ai déjà eu l’occasion de vous proposer une traduction d’un de ces articles. Début Décembre l’un de ses lecteur lui a demandé qu’il explique les rayonnements cosmiques. Je ne résiste pas à la tentation d’en proposer une traduction, cela correspond exactement à certaines parties du programme de physique en terminale S.

Image credit: Pierre Auger Observatory, via http://apcauger.in2p3.fr/Public/Presentation/.

Vous pensez peut-être que les particules produites par les accélérateurs de particules les plus puissants au monde, comme le LHC sont les plus énergétiques que nous ayons jamais observé. Mais tout ce qu’on a créé sur Terre n’est rien par rapport à ce que produit l’univers lui-même ! Dans la catégorie Demandez à Ethan, voyons la question d’un de nos lecteurs, David Hurn qui demande :

Depuis que je suis un lecteur des quatre fantastiques, j’ai toujours voulu tout savoir sur les rayons cosmiques. Pouvez-vous m’aider ?

Voyons un peu ce qu’il en est.

Credit: Stan Lee / Marvel Comics.

Avant même que le premier homme ne quitte la Terre, il était connu que tout là-haut, au-delà de la protection de l’atmosphère terrestre, l’espace était rempli de radiations très énergétiques. Comment savait-on cela ?

Le premier indice est venu de l’observation d’une des expériences d’électrostatique les plus simples que l’on puisse faire, impliquant un électroscope

Image credit: Boomeria’s Honors Physics page, via http://boomeria.org/.

Si vous placer une charge électrique sur cet appareil contenant 2 feuilles métalliques connectées à un autre conducteur, les 2 feuilles vont prendre la charge électrique et se repousser. Comme on s’attend à ce que ces charges se dissipent progressivement dans l’air, des gens ont eu l’idée brillante d’isoler au maximum les deux feuilles et de les placer dans le vide.

Mais même en faisant cela l’électroscope se décharge progressivement.En fait même en placeant un bouclier métallique autour de l’électroscope celui-ci se décharge quand même. Des expériences du début du XXème siècle ont même montré que la décharge était encore plus rapide en haute altitude. Quelques scientifiques ont émis l’hypothèse que la cause de cette décharge était un rayonnement extrêmement énergétique d’origine extra-terrestre.

Image credit: American Physical Society.

Bon, vous connaissez l’histoire en science, quand quelqu’un émet une hypothèse, vous devez la tester. Ainsi, en 1912, Victor Hess mis en œuvre une série d’expérience à bord de montgolfière pour partir à la recherche de ces particules cosmiques de hautes énergies, les découvrant immédiatement et devenant le père du rayonnement cosmique.

Les premiers détecteurs étaient remarquables de simplicité : les expérimentateurs utilisait une simple émulsion  (plus tard ce sera une chambre à bulle) sensible aux particules chargées qu’il plaçait dans un champ magnétique. Quand une particule chargée traverse ce dispositif, on peut apprendre des courbes que trace la particule chargée sur le détecteur deux choses extrêmement importantes :

  • Le rapport entre sa charge et sa masse (il y a un sujet de bac là-dessus : exercice 3 de Antilles 2013),
  • et sa vitesse.
Image credit: Paul Kunze, in Z. Phys. 83 (1933), of the first muon event ever in 1932.

Dans les années 30, les expériences menées aussi bien sur les premiers accélérateurs de particules que pour les rayonnements cosmiques ont apporté un certain nombre d’informations intéressantes. Pour commencer, la plupart des particules cosmiques (autour de 90%) sont des protons, qui arrivent dans une très large gamme énergétique, de quelques mega-électron-Volts (MeV) à des énergies telles qu’on ne savait pas les mesurer.  Le MeV est l’unité des réactions nucléaires – en gros les énergies dégagées par les réactions chimiques sont de l’ordre de l’eV, tandis que les énergies des réactions nucléaires sont de l’ordre du MeV : le million d’électron-Volt. La grande majorité des autres particules étaient des particules alpha, c’est-à-dire des noyaux d’Hélium avec deux protons et deux neutrons, ayant des énergies comparables.

Image credit: Simon Swordy (U. Chicago), NASA.

Quand ces rayons cosmiques frappent le haut de l’atmosphère terrestre, ils intéragissent avec elle, produisant une cascade de reactions qui produit une douche de particules énergétiques, incluant deux nouvelles particules : le positron – la particule d’anti-matière de l’électron, portant la même masse mais une charge opposée – et le muon, une particule instable ayant la même charge que l’électron mais 206 fois plus lourde ! L’existence du positron a été postulée par Dirac en 1930 avant d’être découverte par Carl Anderson en 1932. Il a également découvert le Muon avec l’aide d’un de ses étudiants Seth Neddermeyer en 1936, mais le premier événement induit par un muon a été découvert par Paul Kunze que l’histoire semble avoir oublié. Une chose fascinante est que si vous mettez votre main à l’horizontale, il y environ un muon qui la traverse à chaque seconde.

Image credit: Konrad Bernlöhr of the Max Planck Institute for Nuclear Physics

Chaque muon traversant votre main provient d’une douche cosmique et chacun d’entre eux est une illustration de la théorie de la relativité restreinte ! En effet, ces muons sont créés à une altitude d’environ 100 km, mais la durée de vie moyenne d’un muon est de 2,2 microsecondes ! Même en se déplaceant à la vitesse de la lumière (299 792,458 km/sec), un muon ne pourrait parcourir que 660 mètres avant de disparaître. Cependant, à cause de la dilatation du temps (un petit rappel ? voir l’article correspondant), c’est à dire le fait que les particules se déplaçant à une vitesse proche de celle de la lumière expérimente un temps se déroulant plus lentement du point de vue d’un observateur extérieur, ces muons peuvent voyager jusqu’à la surface de la Terre avant de disparaître.

Accélérons un peu le temps et venons-en aux expériences actuelles dans lesquelles l’abondance et les énergies de ces particules cosmiques ont été mesurées avec une grande précision.

Image credit: Hillas 2006, preprint arXiv:astro-ph/0607109 v2, via University of Hamburg

Les particules ayant une énergie au maximum égale à 100 GeV sont les plus communes avec environ une particule à 100 GeV (c’est 1011 eV) frappant chaque mètre carré de sol à chaque seconde. Cependant , il y a aussi des particules de plus hautes énergies. Elles sont de moins en moins fréquentes au fur et à mesure qu’on monte dans les hautes énergies. Par exemple, il n’y a qu’une particule par an qui frappe un mètre carré de sol avec une énergie de 10 000 000 GeV (10 millions de GeV ou 1016 eV), et pour les plus énergétiques, celles qui culminent à 5 × 1010 GeV (ou 5 × 1019 eV), il faut construire un détecteur carré de 10 kilomètres de côté pour détecter au plus une particule par an !

Image credit: ASPERA / G.Toma / A.Saftoiu.

Ca parait une idée folle de construire un tel détecteur, non ? Et pourtant il y a une raison extrêmement convaincante de le faire : vérifier qu’il existe une valeur limite théorique en énergie pour les rayons cosmiques et une vitesse limite pour les protons dans l’univers.

En réalité il n’y a peut-être pas de limite à l’énergie qu’on peut fournir à un protons dans l’univers : on peut accélérer des particules chargées en utilisant un champ magnétique et les trous noirs les plus gros et les plus actifs de l’Univers peuvent donner des énergies aux protons encore plus grandes que celles que l’on observe. Mais il faut que ces protons voyagent jusqu’à nous pour qu’on puisse les observer et l’univers est plein d’une quantité colossale d’énergie froide : le rayonnement cosmique micro-onde de fond, créé lors du big bang, qui a bien eu le temps de se refroidir depuis plus de 12 milliards d’années !

Image credits: Earth: NASA/BlueEarth; Milky Way: ESO/S. Brunier; CMB: NASA/WMAP.

Le seul endroit où des particules de très très hautes énergies peuvent être créées est autour des trous noirs actifs les plus massifs de l’Univers qui sont tous bien au-delà de notre propre galaxie. Et si des particules ayant une énergie de plus de 5 × 1010 GeV sont créés, elles ne peuvent voyager plus de quelques millions d’années lumière (grand maximum) avant qu’un de ces photons froids du rayonnement cosmique micro-onde interagisse avec lui et produise un pion (une autre particule), évacuant l’excès d’énergie et tombant dans cette limite théorique à l’énergie cosmique connue sous le nom de limite GZK.

Ainsi, les scientifiques ont fait la chose la plus raisonnable qu’il pouvait faire : ils ont construit un détecteur excessivement grand et attendent !

Image credit: Pierre Auger Observatory in Malargüe, Argentina / Case Western Reserve U.

C’est le but de l’osbervatoire Pierre Auger de vérifier que de tels rayonnements cosmiques existent mais pas au-delà de cette limite énergétique incroyablement haute, d’un facteur environ 10 000 000 de fois plus élevé que les énergies atteintes par le LHC ! Cela veut dire que les protons dont nous essayons de trouver la preuve de l’existence se déplacent quasiment à la vitesse de la lumière, à peine plus doucement que les 299 792 458 m/s de la lumière. De combien plus lentement ?

Les protons les plus rapides, ceux à la limite GZK, se déplacent à 299 792 457,999999999999918 mètres-par-seconde, ou si vous faîtes une course entre un photon et l’un de ces protons jusqu’à la galaxie d’Andromède et que vous revenez, le photon arrivera avec une avance de 6 secondes par rapport au proton… après un voyage de plus de cinq millions d’années ! Mais ce rayonnement cosmique ne vient pas d’Andromède mais de galaxies très actives avec des trous noirs supermassifs comme NGC 1275, qui sont à plusieurs centaine de millions voire milliard d’année-lumière. Ce qui veut dire que ces protons que l’on espère détecter auront mis plusieurs centaines voir quelques milliards d’années pour voyager jusqu’à nous !

Image credit: NASA, ESA, Hubble Heritage (STScI/AURA).

On sait meme grace au projet de la NASA  Interstellar Boundary Explorer (IBEX) qu’il y a environ 10 fois plus de rayonnement cosmique là haut dans l’espace profond que ce qu’on détecte sur Terre ou autour de la Terre, grâce à l’héliosphère qui nous protège de la majorité d’entre eux.

Image credit: Adler Planetarium / Chicago

Et voici l’histoire fantastique du rayonnement cosmique, incluant l’aspect que je trouve le plus passionant : les particules de plus hautes énergeis et la limite cosmique énergétique !

Et voici comment se termine l’article d’Ethan. J’espère qu’il vous a bien plu, en tout cas, il contient de nombreuses pistes pour inventer un sujet de bac…

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