Travaux en cours

Contes, dessins et pédagogie. Ou l'inverse.

La petite tortue et le grand incendie

Il était une fois, au royaume des Chênes verts,  une petite tortue. Plus précisément une tortue d’Hermann, de ces tortues en voie d’extinction que l’on trouve encore dans deux lieux dans le monde et en particulier dans le maquis du royaume des Chênes verts. Cette petite tortue vivait sa vie de petite tortue dans les fourrés de la forêt de chênes verts, de pins parasol, de pins d’Alep et de chênes lièges. Elle se délectait de jeunes pousses mais aussi de cistes cotonneux, de lentisques odorants et autres plantes du sous-bois. Elle trouvait parfois de la marjolaine ou du romarin pour donner d’autres goûts. Elle était encore jeune, une trentaine d’années ; sa carapace s’ornait de petites tâches jaunes du plus bel effet, caractéristiques de cette espèce et elle était courtisée par les mâles des environs.

Elle vivait en bonne intelligence avec les autres animaux du maquis, les lièvres et les sangliers, les serpents de toutes sortes et les oiseaux bien sûr, sans parler des insectes et des gastéropodes ; même si elle trouvait que les cochons sauvages étaient de plus en plus nombreux et envahissants. Un jour, l’un d’eux, un chenapan, l’avait retournée en passant à toute vitesse et elle n’arrivait pas à se retrouver les quatre pattes sur terre. Cela l’avait occupée une bonne journée et elle avait bien cru sa dernière heure arrivée cette fois-là. C’est un autre sanglier qui l’avait aidée en fouissant la terre de son groin à côté d’elle. Elle s’était sentie propulsée à quelques pas mais cette fois-ci dans le bon sens. Comme elle était très polie et surtout très soulagée, elle avait tout de même remercié sans grommeler ce deuxième olibrius.

Mais bon, en général, tout ce monde était de bonne fréquentation et s’entendait correctement. Jusqu’aux hommes dont elle voyait les pattes de temps en temps. Elle connaissait chaque pouce de son territoire et pratiquement tous les animaux résidents ou de passage. Il faut bien reconnaitre que les terres explorées par la petite tortue étaient bien limitées, c’est qu’une tortue ne se déplace pas aussi vite que vous et moi …

Et voilà qu’un jour d’été, elle dégustait sans se presser de délicieuses feuilles de ciste ; a-t-on déjà vu d’ailleurs une tortue se presser ? Et voilà donc qu’un jour d’été, elle entendit le bruit d’une galopade effrénée. Elle avait beau tourner sa tête en tous sens, elle ne voyait rien de spécial pourtant ce bruit continuait et semblait faire trembler la terre. Elle percevait également une sorte de mugissement terrible dont elle ne comprenait pas la provenance. Il lui semblait également sentir une odeur inconnue, très désagréable. Mais que se passait-il donc ?

La galopade s’approchait, elle se tourna lentement vers d’où elle provenait. Le ciel s’était obscurci d’oiseaux s’enfuyant à tire d’ailes. Tout à coup, débouchèrent plusieurs hardes de sangliers, dont elle ne reconnaissait aucun membre. Des lièvres couraient aussi en sautant, évitant ainsi assez gracieusement de se retrouver au milieu des impressionnants fonceurs. Elle rentra précipitamment la tête et les pattes sous sa carapace pour écarter le danger d’être écrasée. Elle sentit quand même que certains lui marchaient dessus, l’enfonçant un peu dans la terre dure. Quand elle fut sûre que tous étaient passés, elle sortit la tête précautionneusement. Les serpents rampaient maintenant dans la même direction accompagnés par des insectes bruissants de panique. Mais que se passait-il donc ?

La petite tortue n’y comprenait rien. D’ailleurs, eût-elle voulu s’enfuir avec les autres animaux qu’elle ne l’aurait pas pu. Et elle commença à percevoir ce qu’il se passait tandis que les retardataires continuaient à passer autour d’elle, la contournant sans s’arrêter. Ses sens étaient sollicités à la fois  par une odeur effrayante et qui devenait suffocante, par un bruit de ronflement terrifiant accompagné des soupirs des arbres qui s’effondraient tordus dans des flammes jaunes et rouges, le tout dégageant une fumée épaisse et âcre. Le feu, c’était donc le feu que tous ces animaux fuyaient.

Dans un sentiment de panique, la petite tortue se rendit compte qu’elle ne pouvait rien faire. A part se réfugier dans sa carapace, car elle savait qu’elle ne pouvait pas déguerpir comme les autres animaux. Deux escargots étaient arrivés à côté d’elle, ils n’en pouvaient plus. Elle leur proposa de partager son abri relatif. Elle se recroquevilla autant que possible dans sa carapace et sentit que les deux petites bêtes se faufilaient à côté de ses pattes. Le bruit devenait assourdissant, l’odeur irrespirable et une chaleur sans nom commença à les entourer de ses tentacules, leur faisant sentir que leur mort était proche. Ils l’attendaient, acceptant leur sort funeste.

Tout à coup, alors qu’elle s’attendait à se faire lécher par les flammes dans une chaleur létale, la petite tortue ressentit un grand choc sur sa coque de protection. Les flammes cessèrent instantanément et elle se retrouvait flottant dans une mare de boue mêlant terre et cendres. L’eau fut vite avalée par le sol. Les deux escargots furent éjectés quand elle sortit la tête et les pattes. Prudemment, ils restèrent enfouis dans leurs coquilles tandis que la petite tortue regardait autour d’elle. Le feu avait été neutralisé par une brusque averse localisée à ses alentours. Mais il poursuivait sa course folle plus loin, dans un grondement qui s’éloignait.

La petite tortue n’en croyait pas sa chance. Parmi les ruines fumantes de ce qui avait été un maquis superbe, elle survivait. Elle n’osait pas trop bouger, toujours traumatisée par ce qui s’était passé. Les vapeurs l’aveuglaient encore, l’empêchant de respirer correctement mais elle vivait ! Plus tard, des pattes d’hommes passèrent près d’elle. Cuirassés dans des habits protecteurs, ils jetaient de l’eau par des sortes de serpents cracheurs sur les débris fumants. Ils continuèrent en s’avançant vers l’incendie qui continuait à faire rage.

Un long moment passa, sans aucun autre signe de vie sur cette terre dévastée. Jusqu’à ce qu’elle se sentit soulevée par des mains d’homme. Elle se retrouva dans un lieu totalement inconnu où d’autres tortues d’Hermann l’accueillir comme une héroïne en lui faisant fête.

Dans ce centre de protection des tortues d’Hermann, elle devint une attraction. Elle fut prise en photo d’innombrables fois et devint la référence de toutes les campagnes de lutte contre les incendies. Des gens vinrent de tout le royaume des Chênes verts pour admirer la rescapée d’un des plus grands feux de forêt. Ils prirent conscience de la disparition de milliers d’animaux dans ces catastrophes et commencèrent à prendre soin des alentours de leurs maisons.

C’est ainsi qu’au royaume des Chênes verts, les sous-bois sont dégagés, de grands pare-feux sont aménagés dans le maquis et par temps de grands vents, après une période de sécheresse, de nombreux guetteurs scrutent les forêts en prévenant du moindre départ de feu. La flotte d’avions Canadair, comme celui qui avait sauvé la vie de la petite tortue, a été renouvelée et agrandie. Moyennant quoi, il arrive que quelques départs de feu aient encore lieu au royaume de Chênes verts mais plus aucun grand incendie n’a décimé une population de tortues d’Hermann.

 

Anne-Marie, Sainte Maxime, le 28 juillet 2017

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