Feuilleton : Nouvelle Âme -18

18-

« James n’aurait jamais pu contester sa parentalité avec eux » est la première pensée que j’arrive à articuler par-dessus le brouhaha qui vient de s’emparer du lieu. Un homme partageant les traits de mon aristocrate préféré tient à son bras une femme qui a volé les yeux de James. Tous deux sont vêtus d’élégantes toilettes, dépassant de loin la richesse de celles que j’ai pu apercevoir jusqu’ici. Cependant, quand je remarque leur visage, je me glace. Leur regard dégouline d’arrogance. Pourtant, chaque trait de leur visage est déformé par une hypocrite expression de joie. Si je n’avais pas déjà eu affaire à pareilles gens, j’aurais été bernée aussi.

J’observe la réaction des invités. Mon cœur émet un battement douloureux quand je remarque qu’en réalité, tout le monde ressemble aux hôtes. Une haine masquée de joie. Je comprends alors qu’ici, les bijoux peuvent être les pires armes que je n’ai jamais connues. Je jette un coup d’œil à James. Il a revêtu le même masque que chaque personne présente ici. Pourtant, je sais qu’il est stressé. Sa main est crispée sur ma taille et ses mâchoires sont trop serrées pour que cela passe inaperçu.

James fait un pas vers eux. Ils ne l’ont pas encore vu. Tout le monde se bouscule pour être le premier à saluer les hôtes de la fête, pour montrer qu’il vaut mieux que le voisin d’à côté. Ils n’ont aucun respect, même pour le fils desdits hôtes. Je retiens un haut-le-cœur face à cette mascarade en me serrant un peu plus contre James.

Ce dernier essaie de se frayer un chemin entre les robes et les costumes à queue-de-pie. Mais c’est quand je manque de tomber à cause d’un pied sur ma robe qu’il se stoppe net et se racle la gorge. A nouveau, tout le monde s’arrête.

– Et bien, fait une voix masculine, qui ose se montrer aussi impol…

La foule s’est décalée. Des regards se sont croisés. Le temps s’est arrêté. Une famille est réunie.

Monsieur et Madame Cambridge ont l’air choqué. Pas ému ni heureux, choqué. J’avais beau m’y attendre, mais mon cœur se brise un peu plus quand une expression de dégoût déforme les traits des maîtres de maison. Puis, aussi rapidement qu’un clignement d’œil, tout redevient normal. « Comme il faut ». La mère rejoint son fils et le serre dans ses bras, m’évinçant au passage. Le père lui assène une grande tape dans le dos. Ils pleurent presque de bonheur. Même James joue la comédie en affichant un sourire que je pourrais presque croire ému si je ne le connaissais pas.

Puis tous se tournent vers moi.

Heureusement, James pose ses mains sur mes hanches et tandis que mon cœur s’affole, il dit :

– Mère, père, je vous présente Ambre, ma fiancée.

Il m’avait prévenu qu’il allait dire ça. Je sais que c’est faux. Pourtant, la joie que je ressens, elle, est tout sauf fausse. Une explosion scintillante, qui ferait rougir la plus grande boule à facette inventée. Je suis Ambre, la fiancée de James. Il est James, le fiancé d’Ambre.

Je vais jouer le jeu. Je leur offre un sourire enchanteur tandis que sa mère me couve d’un regard faussement aimant. Son père, lui, dissimule son dégoût avec brio mais, dommage, j’ai tellement eu l’habitude de ce genre de regard que je sais les deviner à des kilomètres, maintenant.

– Nous sommes ravis de t’accueillir dans la famille ! s’exclame une voix crispante, appartenant apparemment à ma « belle-mère ». Nous avons bien cru que James ne se rangerait jamais.

Ce dernier tressaille à côté de moi. Dès que sa mère me lâche, il pose sa main gantée sur ma hanche. Essaie-t-il de me rassurer ? En réponse, je me rapproche imperceptiblement de lui, assez pour que je sente sa poigne se détendre.

Tandis que les parents de James « vont accomplir leur rôle d’hôtes », une foule se masse autour de nous. Les questions fusent, alors James récite le scénario qu’il a concocté. Nous nous sommes rencontrés alors que je n’étais qu’une jeune Âme. Ça a été le coup de foudre. Cela fait quelques mois que nous sommes ensemble. Nous n’avons pas voulu attendre plus longtemps. Idyllique. Cela étant, je ne peux pas m’empêcher de fixer la lueur dans son regard. Comment peut-on être si bon acteur ? Il déteste cet endroit, ces gens, et pourtant il s’évertue à m’aider, quitte à leur mentir et à passer pour ce qu’il n’est pas. Je ne le mérite pas.

– N’oublie pas ton but premier.

Je sursaute face à ce murmure. Je sens le souffle chaud de James sur le lobe de mon oreille. Je cligne plusieurs fois des yeux pour retrouver mes esprits. Il a raison.

Je sonde la salle du regard tandis que James continue de répondre aux curieux.

Le hall dans lequel nous nous trouvons est immense. Il relie trois salles que je distingue parmi la foule qui nous entoure. L’une conduit à une salle de bal, tandis que l’autre mène aux balcons situés sur le côté, mais ce n’est pas le ciel d’un bleu pâle se découpant dans l’encadrement des gigantesques fenêtres qui me frappe. Il y a un buffet. Tout le monde s’y sert et discute autour. Il me faut quelques instants pour me rendre compte de la supercherie. Dans les rues que j’ai parcourues, aucune ne comportait de restaurant. « Pour éviter de rappeler de mauvais souvenirs », d’après ma professeur de Droit. Seules les personnes possédant le Sens peuvent sentir le goût des aliments.

Et ici, tout le monde en possède. Sauf que personne n’est un Ange.

Je réprime une grimace de dégoût. Tout le monde triche, ici. Des Âmes restent coincées sur Terre alors que d’autres peuvent profiter d’une mort sans problème car ils ont eu la chance d’être là au bon moment. Ils n’ont pas travaillé comme les Anges, n’ont rien accompli qui mérite ce Sens, ne rendent service à personne. Ils profitent juste du système.

Il faut que je trouve cet Ange.

– Mademoiselle, vous savez bien évidemment danser ?

Je sursaute. En un clin d’œil, je me recompose une façade devant le regard de la mère de James. Elle n’attend qu’une seule erreur pour la pointer.

– Bien évidemment, je réponds.

– Parfait, alors vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que nous rejoignions la Salle de Bal et que vous nous montriez vos talents ?

– Bien sûr que non.

Je ne me démonte pas quand James m’entraîne sur la piste de danse. Heureusement, nous sommes entourés de couples. Je manque même de pousser un soupir de soulagement quand je vois que les parents de James se contentent de nous observer.

James et moi dansons. Nous dansons dans cette société qui a continué à nous empêcher de vivre. Même dans la mort, nous ne pouvons pas être heureux. James a perdu ses parents, j’ai perdu les miennes. Nous dansons devant cette société que nous détestons. Puis nous changeons petit à petit. Nous dansons pour ce contact que nous ne sentirons jamais. Pour cet amour que seul l’esprit peut sentir. Pour cette mort qui nous a rendu vivants.

Ce n’est qu’en quittant la piste de danse, à la fin de notre prestation, que je le vois.

Il est là, sur la piste.

L’Ange.

Amélie

Chapitre suivant la semaine prochaine