La roue de l’infortune 4 : Jamais deux sans trois

Je tousse, une fois, deux fois, trois fois. Je commence à ne plus supporter cette poussière. Le grenier de mon frère est un endroit impraticable. Je retourne les vieux meubles de notre maison d’enfance, des cartons pleins de nos anciens habits, tout, absolument tout, est stocké ici. Il n’a rien voulu vendre. Je ne sais même pas ce que je cherche ici, mais il m’a dit de trouver un carton gris, et sous toute cette poussière, tous les cartons sont gris.

Je l’entends alors pousser un cri de victoire parmi le voile de ce mélange d’ombre et de poussières volantes. Il me dit de descendre, il a trouvé ce qu’il cherchait. Je pars alors tout de suite sous la douche. Je suis certes extrêmement curieuse par rapport à ce carton mystérieux, je ne supporte pas d’être aussi sale de poussière, je crois que je préfère encore la boue, elle ne me provoque pas d’allergies elle au moins.

Je sors donc toute fraîche et enfin véritablement habillée, cependant, je vais devoir mettre mon pyjama à laver, et merci à la régularité de lessive de mon frère, je n’aurais pas à l’attendre longtemps. Le voila justement qui vide le bac à linge, alors qu’il n’a fait la lessive qu’avant hier. Il n’aime pas la saleté, mais à ces trois t-shirts préférés qu’il met constamment. J’abuse un peu, mais il les met quand-même toutes les semaines.

Je le rejoins dans le salon où il a déjà vidé et trié le contenu du carton sur la table. C’est notre collection d’albums photos, qu’il avait évidemment gardée, et dont je n’avais pas entendu parlé depuis des années. Il y a ceux de la famille de notre père, ceux de la famille de notre mère, et ceux contenant seulement les photos de nous quatre, ainsi que toutes nos photos de classe de l’entièreté de notre cursus scolaire. Nous nous posons sur le canapé avec celui où il y a juste nos parents et nous.

Il y a leur mariage, puis la naissance d’Ambroise. Je ne pensais pas voir son corps sous autant d’angles, nous jurons, gênés, par ce manque de pudeur qu’avaient nos parent à mitrailler de photos mon frère enfant sous la douche et pendant le change. Vient ensuite mon tour. Nous nous ressemblons vraiment beaucoup. On partage notre regard bleu marine avec Papa, et les cheveux châtains ondulés de Maman. C‘est ce qu’on appellerait un bon mélange.

Nous avons vécu une enfance heureuse, dans notre maison à la campagne, près de la forêt, à jouer dans la boue et grimper aux arbres. Il y avait un lac à côté aussi. Mes parents avaient construit cette maison de leurs mains avec leurs amis, c’était le projet d’une vie. Les étapes de la construction sont aussi dans l’album. Ils avaient fait attention, et choisi cet emplacement conformément au rêve de ma mère de vivre dans la forêt près d’un lac. Nous n’étions pas isolés non plus, le village n’était pas très loin à pied, c’était le rêve. Un rêve qui, quelques années plus tard, est tombé à l’eau. Je n’ai pas pu retourner à la maison depuis, mais je sais qu’ils ont enterré nos parents là-bas.

Regarder toutes ces vieilles photos me rend nostalgique, me fait du bien, mais j’ai besoin d’air, je n’arriverais pas à rester si longtemps à les observer. J’ai besoin de bouger, de sortir faire quelque chose. Mais pas seule, il faut que je fasse sortir mon frère.

– On va manger une glace ?

– Là ? Maintenant ?

– Oui, et on peut aussi faire un peu de shopping, ce sera bientôt mon anniversaire si tu l’avais peut-être oublié !

– Comment le pourrais-je, tu t’engages toujours à me le rappeler chaque jour de la semaine avant cet évènement planétaire. Je suis sûr que même les arbres sont au courant !

– Mais même, j’aurais bien envie de me balader, et j’ai envie d’une glace.

Il acquiesce à contrecœur avant de me jeter un regard interrogateur, le sourcil levé haut.

– Tu n’es pas enceinte, hein ?

Je hoche la tête à la négative en lui tapant l’épaule. Il tripote un peu son téléphone avant d’enfin se préparer à partir alors que je l’attends déjà devant la porte.

– C’est exactement le même pull que l’autre ! Comment peux-tu hésiter ?

– Mais non, celui-ci est crème, tu es seulement aveugle.

– Oh, alors tu critiques ma vision de la vie ?

Je lève les yeux au ciel. Il n’a jamais vraiment apprécié faire les magasins, seulement lorsque ça l’intéresse vraiment – pas le cas actuel du coup – et quand c’est une nécessité. Autrement, rien ne le sortira de chez lui. Heureusement que je suis là.

– On la prend cette glace, c’est pour ça qu’on est là, je te rappelle !

– Profite ! On a toute la vie devant nous, et surtout, rien d’autre à faire aujourd’hui.

– Je t’assure que si tu veux me parler de l’éternité ou de l’infini je te rappelle que nous sommes misérables comparés à cette immensité, que nous ne sommes rien…

Je me bouche vite les oreilles.

– Arrête de traumatiser les gens avec ça. Pour une fois, le déni peut nous aider !

– Eh bien tu pourras profiter de cette glace, son goût et sa texture, peut-être que ce sera la dernière fois, enfin, si j’étais toi j’en imprimerais la sensation dans ma tête, un jour, tout ça n’existera plus, toi, moi, tout ça …

– Tu es vraiment horrible !

– C’est l’humanité qui est horrible, c’est pour ça que je lutte pour que les gens restent ici le plus longtemps possible.

Je souffle quand on entre chez le glacier. Ce n’est pas encore vraiment la saison, mais ici cela a le mérite d’être incroyable et ouvert toute l’année pour les amateurs, non, les professionnels de dégustation de glace. Je prends de la poire, du chocolat, de la fraise, de l’abricot et de la banane. Mon frère, écœuré par ma commande demande seulement de la vanille et du melon dans un pot.

– Ton cornet va se briser si tu le surcharges trop tu sais ! me lance-t-il.

– Et toi, la glace en pot avec une cuillère en bois gâche le goût !

– C’est pour ça que j’apporte la mienne ! déclare-t-il en sortant un petit sachet de sa poche, duquel il sort une des petites cuillères de sa cuisine.

Nous partons nous asseoir dehors en terrasse lorsque je me prends le coin d’une table, trébuche, et manque de tomber sur quelqu’un. Je relève la tête, gênée, pour croiser le regard d’Oscar. Il me retient le bras pour m’aider à me redresser doucement.

– Tout va bien ?

– Oui, la glace est intacte, merci !

– Espèce de ventre sur pattes, il a dû s’inquiéter de croiser un phénomène ambulant qui ne regarde pas où elle va !

Mon frère s’approche en riant encore de moi puis voit Oscar et s’arrête. Constance pointe son nez derrière son frère.

– Regardez qui voilà, s’exclame Oscar avec une ironie profonde. C’est très étonnant, de vous trouver ici, ma sœur avait soudain envie d’une glace…

Il se prend un coup dans les côtes.

– Oh, moi aussi, c’est le printemps qui arrive ! je lance avant d’entraîner Constance sur le côté. Tu penses que c’est trop, ma glace ?

– Mais non, fais toi plaisir !

– Ambroise dit que s’il y en a trop, on ne sent plus le goût !

– Ne t’en fait pas, il est juste un peu aigri.

Elle retourne au comptoir vers son frère pour commander tandis que je rejoins le mien à notre table, dehors. Il est encore bougon, enfin, pas totalement. C’est lui quoi.

– Pourquoi tu n’aimes pas Oscar ?

Silence.

Je choppe son nez pour faire tourner sa tête vers moi. Je sais qu’il déteste ça, mais ça à le mérite de fonctionner. Je lui répète alors ma question.

– C’est parce qu’il ne m’aime pas en premier.

Je ris.

– C’est alors juste une dispute de gamins ? Elle en pense quoi Constance ?

Il relève la tête.

– Quoi Constance ?

– Elle doit en avoir marre de voir son frère et son ami fâchés, non ?

Il souffle.

– Tu as raison.

Son expression change lorsqu’ Oscar et Constance nous rejoignent à la table. Constance s’assoie à côté de lui et son frère s’installe de mon côté. Nous mangeons nos glaces silencieusement, il y a comme des tensions à cette table. Puis, Oscar prend la parole.

– Alors, vous ne travaillez pas aujourd’hui ?

– Non, il n’y a aucune affaire alors on ira tout-à-l’heure pour la paperasse, répond mon frère.

– Donc, si le monde est débarrassé de criminels, vous serez au chômage ?

– Non, c’est vrai que ta sœur et moi sommes spécialisés dans les enquêtes, mais notre travail consiste à protéger la population, pas seulement des autres.

– Je vois.

Leur micro conversation polie s’arrête et le silence revient.

Tout à coup, un bruit sourd retentit. J’ai l’impression que le sol a tremblé. La panique prend possession de tout le monde. Je sens de la fumée. Je vois de la fumée. Je regarde partout autour de moi. Mon frère s’est levé et a sorti son arme. Je ne savais même pas qu’il l’avait prise. Il m’attrape par le col et m’entraîne avec lui. Au lieu de partir loin, nous allons en direction du bruit.

C’est au centre de la grande place qu’a eu lieu la détonation. La fumée ici est presque noire et nous fait tousser. Je n’arrive pas bien à distinguer ce qui a provoqué tout ça. Le but a dû être de viser cette place très prisée en heure de pointe, mais qui ? Mon frère s’est éloigné pour appeler du renfort. Je manque de trébucher sur quelque chose. Je regarde attentivement par terre et je manque de renvoyer ma glace. C’était une personne, morte.

Après quelques pas, j’en découvre une autre. J’essaie de contenir mes émotions, de garder mon sang-froid. Je me jure intérieurement de ne plus regarder au sol. Malheureusement, la fumée commence à se dissiper et remonter, pour découvrir des dizaines de personnes qui gisent sur cette place. L’épicentre est maintenant facilement discernable à la vue de pavés qui ont plus ou moins explosé. Seulement sur place, il n’y a rien, pas de restes de bombe, seulement quelques bouts de tissus et un bâton.

Je me penche pour les inspecter avec précaution. C’est encore du tissu, noir, qui est enroulé autour de quelque chose de blanc. Je tends mon pied dessus pour le faire bouger, mais je me rends compte trop tard que c’est une très mauvaise idée. Cela pourrait très bien s’agir d’une autre bombe, et je ne voudrais certainement pas la déclencher. Mais ma maladresse me permet de ne pas attendre ma réponse longtemps puisque je manque de tomber et fait rouler cette chose. Ce qui est à l’intérieur en sort. C’est un bras humain.

J’ai vraiment envie de vomir. Je traverse la place à la recherche de mon frère, que je trouve agenouillé devant une sorte de boule.

– Ambroise, j’ai vu un… un bras là bas…

Il se relève tout de suite et me prend par les épaules.

– Je sais, je suis vraiment désolé que tu aies à voir ça, d’accord. Je n’aurais pas dû t’emmener ici, Constance va te raccompagner, enfin, c’est plutôt toi qui vas le faire, elle a déjà vomi…

J’acquiesce doucement.

– Comment tu savais que j’ai vu…

Il me retourne, encore par les épaules. Je ne comprends pas tout de suite de quoi il veut parler, jusqu’à ce que je baisse la tête sur cette chose en forme de boule. Enfin, plus ovale, avec des formes noires, des fils, qui en sortent même. Ou plutôt des cheveux. Sauf que si ce sont des cheveux, ça veut dire que cette chose est en fait une… tête.

C’est bon, je peux me pétrifier littéralement. Maintenant que je l’ai réalisé, j’arrive à distinguer un œil derrière ces cheveux. Il faut que je parte sinon je vais vomir moi aussi. Ambroise me retourne dans l’autre sens pour me serrer dans ses bras. Je ne sais pas si j’avais besoin d’un câlin maintenant, son épaule appuie dans ma gorge là où, vu les circonstances, il ne vaudrait mieux pas. Je pense que lui par contre, il en avait besoin, sauf qu’évidemment, il n’aime pas dire les choses. Lorsqu’il me relâche, je comprends dans son regard que c’est l’heure pour moi de partir.

Je marche vite. Je ne me retourne pas, je n’en ai pas envie. La police a déjà sécurisé la zone, je passe sous le ruban jaune et retrouve enfin l’air pur. Peu de gens sont restés dans les environs pour observer. Je pense que tout le monde a préféré rentrer chez eux. Je retrouve la pauvre Constance la tête dans un sac de papier, assise sur un banc, bien à l’écart de toute cette pagaille.

– Tout va bien ? Je demande doucement.

– C’est rien, ne t’inquiète pas, j’ai juste l’estomac assez fragile, ces derniers temps.

J’acquiesce et l’entraîne à petits pas jusqu’au commissariat, en tournant la tête lorsque, tous les trois pas, elle replonge la tête dans le sac pour y régurgiter. Fort heureusement, j’aperçois au loin Oscar au téléphone. Quand il me voit lui faire signe, il accourt immédiatement.

– Qu’est-ce qu’elle a ?

– Vomit… A cause de ce qu’on a vu là-bas, mais je ne préfère pas en parler tout de suite.

Il acquiesce et m’aide à la soutenir, la pauvre n’arrive pas bien à tenir sur ses deux jambes. Une fois au poste, on l’installe aux toilettes et je préfère leur fausser compagnie en me calant au bureau de mon frère. Je profite du calme ambiant dû à l’absence de presque tout le monde pour me remettre de mes émotions.

Ce que j’ai vu là-bas était vraiment affreux. C’est donc quelqu’un qui s’est fait explosé. J’ai une pensée pour mon frère qui va devoir passer du temps avec ces morceaux d’homme pour tenter de discerner son identité. J’espère que ça ne durera pas trop longtemps pour lui, je le connais, il finira la tête dans les toilettes comme Constance.

– Qu’est-ce que vous faites-là mademoiselle ? me surprend une voix forte.

Je tourne la tête vivement et me retrouve face au grand sourire de Michel, le commissaire.

– Je suis la sœur d’Ambroise, vous savez. J’ai raccompagné Constance de la scène de crime, elle ne se sentait pas bien …

– Ah cette pauvre cruche qui a eu l’audace de tomber… Et sinon, jeune fille, pourquoi es-tu toute seule, attends, je vais rester avec toi.

Il prend une chaise et la pose près de moi avant de s’asseoir lourdement. Il se penche en ma direction, il est si proche que j’entends sa respiration, cependant, il respire déjà fort, alors il n’est pas si proche que ça.

– Que faites-vous là alors que toute l’équipe est partie ? Vous êtes le chef non ? je demande doucement, gênée par le silence et sa proximité.

– Ils sont très bien seuls, et puis, je reste là pour tenir compagnie aux demoiselles en détresse comme vous.

– Je ne suis pas en détresse.

– Vous êtes à deux doigts de vomir ou pleurer, j’appelle ça de la détresse émotionnelle ! dit-il fièrement.

– Et la brusquer n’est pas la meilleure manière de l’aider je pense, intervient Kali.

Elle n’est visiblement pas arrivée seule puisqu’un vacarme a empli le commissariat. Ils sont quasiment tous revenus. J’en profite pour m’écarter du commissaire qui n’avait pas bougé d’un pouce. Je cherche mon frère mais ne le trouve pas.

– Il est encore sur place, me dit Kali. Il devrait bientôt arriver. Tu veux rester dans mon bureau ? C’est une pièce fermée, tu y seras au calme.

Ma sauveuse, je me retiens de lui sauter au cou. J’acquiesce simplement et la suis jusqu’à cette sainte pièce isolée du bruit ambiant qui ne cessait d’augmenter. Je m’assois sur sa chaise et elle ne me quitte pas des yeux.

– Je préviendrais ton frère que tu es ici. Reste autant que tu veux.

Elle se retourne pour s’en aller.

– Kali ?

Elle fait demi-tour instantanément pour replonger ses yeux bleus ciel dans les miens.

– Merci beaucoup.

Elle sourit.

– De rien.

Et elle repart.

Je peux enfin respirer. Le commissaire m’a vraiment mise mal à l’aise. Et après toute cette journée ! Il faut que je repose mon esprit. Je ne suis pas particulièrement fragile, mais cette vision d’horreur me reste encore devant les yeux. Même en les fermant je vois encore cette tête et ce bras. Lors de situation de stress ou juste de tension, j’ai toujours besoin de bouger pour évacuer ces sensations, mais là, je me sens toute flasque. Je suis affalée dans ce bureau que je ne connais pas, mais à l’abri du chahut que je vois passer devant la vitre qui donne sur le couloir.

Ce bureau est assez sobre. Il y a un ordinateur, une lampe et un pot à crayon sur le bureau, un tableau sur le mur et des étagères remplies de dossiers. Rien de plus classique. Enfin, c’est plutôt étonnant, il n’y a aucune touche personnelle, ni photos ou simple objet. Ou alors est-ce ça sa personnalité, être maniaque ? Je sais que c’est mal, et vraiment pas conseillé surtout à la police, mais j’ouvre son tiroir pour regarder.

Sa personnalité maniaque est encore une fois mise en valeur, je n’avais jamais vu de tiroir rangé. Il y a ce genre de tapis à bosses qui permet de séparer les différents types d’objets, les post-it, des mouchoirs, des recharges de stylo, ses affaires de police quoi. Dans l’autre tiroir, je ne trouve qu’une photo. Si je me penche bien, je peux voir que c’est moi dessus.

Je me fige un instant avant de me rappeler que le jour où mon frère m’a présentée à ses collègues pour la première fois il y a quelques années, il avait caché des photos de moi partout dans le commissariat pour qu’ils ne m’oublient pas. Je suppose que cette photo n’a jamais été trouvée, sinon elle n’y serait plus. C’était bien celle-ci, elle n’était pas très flatteuse d’ailleurs. Je la prends dans mes mains délicatement.

– Qu’est-ce que c’est ? M’interrompt une voix.

Je sursaute et lève la tête. Kali était là, à l’entrée du bureau, et me fixait le sourcil levé. Ah, génial, je vais faire quoi, lui dire que j’ai fouillé dans son bureau et ses affaires alors qu’elle m’a gentiment proposé de rester ici au calme ?

– Je … eh bien je cherchais un mouchoir pour me moucher et j’ai trouvé cette photo, je mens.

Elle s’approche doucement et se poste derrière moi pour fixer maintenant ma photo étonnée.

– Tu dis l’avoir trouvée où ?

– Dans ce tiroir.

Je lui pointe et elle l’ouvre. Celui-ci apparaît rempli de gâteaux, de chocolats et autres confiseries. Elle me jette un regard que je ne saurais décrire puis se reconcentre sur le tiroir. C’est avec un clic, que la nourriture glisse vers le mur pour faire apparaître cette sorte de tiroir secret. C’était un faux fond.

– Eh bien, voilà une nouvelle chose que j’apprends ici. Je n’utilise jamais ce tiroir, c’est ton frère qui y a caché toutes ces cochonneries lorsque le commissaire a interdit la machine qui les distribuait. Il a dû poser ça là quand il t’a placardée partout dans les bureaux. Je n’avais pas vu. Et les mouchoirs sont juste au dessus !

Elle m’ouvre le premier tiroir pour appuyer son propos. Puis, elle pose sa main sur mon épaule et se penche vers moi.

– Tu te sens mieux ? Tu es encore pâle.

J’acquiesce doucement.

– Je vais t’apporter un truc à boire attends ! Et n’hésite pas à pencher le siège pour te reposer, il est très confortable. Il faut bien que j’ai des avantages à être capitaine !

Elle actionne une manette qui fait pencher le siège presque à l’horizontale puis tend son long manteau sur les épaules. Je crois bien que tout ça m’a fatiguée alors je me laisse faire. Elle me caresse doucement la tête. Je ferme les yeux en l’entendant partir. Je relâche mes muscles. J’ai l’impression de ne plus les sentir, si bien que je me demande si j’aurais la force de lever mon bras. Kali revient rapidement avec ce qui ressemble à un chocolat chaud et me le tend.

Il est vraiment bon. J’avais bien besoin de ça. Je le finis d’une traite avant de me recaler sur le siège. Kali est encore là, à chercher des dossiers, mais ce bruit ne me dérange pas, et me berce même, m’aide à m’endormir.

– Oui, elle n’a pas bougé, je crois bien qu’elle a dormi toute l’après-midi.

Une voix douce résonne dans ma tête. Seulement, je ne veux pas encore me réveiller. Je suis au chaud, confortable. J’entends de plus en plus de bruit autour de moi. Je pense que je vais devoir ouvrir les yeux. Je mets du temps pour m’adapter à la lumière, puis commence à distinguer Ambroise, Kali et Constance près de la porte du bureau, tous me fixent.

– Allez viens, on rentre, me dit mon frère.

En sortant de la pièce, j’interpelle Constance.

– Tu te sens mieux depuis tout à l’heure ?

– Oui, oui, je me suis reposée aussi, ne t’en fais pas.

Sur le trajet vers l’appartement, je me sens toute nauséeuse. J’ai la tête qui tourne, mais je sens une forme d’euphorie. Tous mes mouvements sont si lourds. Quand je rentre, je prends seulement le temps de me changer avant de sauter dans le lit et de m’endormir.

J’ai faim, tellement faim. Je saute hors de mon lit, enfin, je n’étais même pas sous la couverture. Je trouve mon frère sur son ordinateur sur le canapé, il n’est même pas minuit. J’attrape une pomme et m’assois à côté de lui. Il ne me parle pas tout le long. Il travaille, encore et encore. Moi je mange encore comme un cochon : j’ai du jus de pomme partout sur les mains et autour de la bouche, je sens le sucre qui colle partout, mais je continue de manger ma pomme comme ça, je n’ai jamais su comment les autres font pour faire ça dignement. Finalement, je me lève, et en prends une autre, je ne suis pas rassasiée.

– Tu sais, si t’as faim j’ai autre chose que des pommes, me lance mon frère.

– Je sais pas, j’ai envie de vomir, mais j’ai trop faim, y a que ça qui me donne envie.

Il se lève pour me rejoindre. Il se plante devant moi et m’observe.

– Tu es bizarre depuis là.

Non jure, j’ai vu des cadavres et des morceaux de cadavre pour la première fois, je n’allais pas rester sans réaction. Je ne sais même pas comment sa sensibilité à lui tient le coup.

– Après bon, j’imagine que c’était un moment traumatique.

J’acquiesce. Il écarte les bras pour me proposer un câlin mais se rétracte lorsque j’approche trop. Je lève un sourcil.

– Lave-toi les mains, tu vas me salir à manger comme un enfant.

Je souffle mais respecte son souhait avant de lui sauter dans les bras, il faut que j’en profite, ça n’arrive pas souvent. Quand je le lâche, je l’’aide un peu à ranger des photos qu’on avait sorties ce matin. Je m’occupe de ses photos de classe qu’on n’avait pas regardées. Sur celle que j’ai entre les mains, il est le seul enfant à ne pas sourire, il était toujours très sérieux enfant.

A côté de lui, le petit Enzo et son frère Mathis. Eux étaient gentils, mais assez maladroits, toujours dans des coups foireux avec leurs amis dont j’ai oublié les noms, une bande de casse-cous. J’ai la nette impression d’en avoir revu un dernièrement, mais je ne sais plus où. Et à côté, Anne. J’ai une petite pensée pour elle, même si on n’était pas du tout proche. Je n’ai pas eu de nouvelles de Louis depuis qu’ils l’ont enfermé si vite, moi qui pensais que la justice était lente.

Je repose tout ça et pars me recoucher, incapable de rester debout plus longtemps, j’ai bien cru que j’allais tomber, mais cette fois, je prends le temps de me glisser sous les couvertures et d’éteindre la lumière de la chambre.

– Tu viens dans le bac à sable avec moi ?

– Non, j’y vais pas avec les filles, vous savez pas bien construire ! me répond Enzo en me narguant.

– Même pas vrai, tu sais que mes châteaux sur plus beaux que les tiens, tu as trop peur d’être nul !

Je lance un coup d’œil fière à mon beau château qui se dresse derrière moi. J’en suis très fière, depuis nos vacances à la plage, je suis une pro : merci à toutes les techniques piquées à Ambroise. Enzo fixe aussi mon château et s’avance. Mais je suis futée, je le retiens par le pull avant qu’il ne détruise mon œuvre. Si il l’avait fait, je crois bien que j’aurais pleuré.

– Tu allais faire quoi là ? je le dispute.

– J’allais le voir de plus près, me répond-il avec un sourire mauvais.

– Enzo, arrête d’embêter les filles et viens, on a des choses plus importantes à faire ! l’appelle son grand frère Mathis.

Celui-ci accourt vers son frère aussitôt dit. Je me moque de lui.

– Bah alors, le toutou va voir son maître !

Lucas grogne à côté d’eux, c’est l’autre chien de Mathis. Mon frère à moi se rapproche, il est plus grand que nous tous.

– Qu’est-ce qui se passe encore ? Vous embêtez ma sœur ?

Ils secouent tous la tête, et se rapetissent. Seul Mathis garde la tête levée. Ils se toisent du regard sous le silence complet de nous autres. C’est Lucas qui intervient et coupe leur duel de regards.

– Laisse nous, on a compris tu es grand, tu es bizarre, maintenant pars ou tu seras seul comme Gaspard !

Gaspard est le dernier frère de Mathis, il a toujours été mis à l’écart. Il me faisait de la peine, mais il refusait mon amitié. Mon frère prend très mal cette phrase puisqu’il se jette sur eux pour commencer à les frapper. Moi, je pars me cacher plus loin dans la cour retrouver mes copines qui dansent.

Je me réveille en sursaut. En nage. En pleurs.

Je n’ai peur de rien cette fois-ci, seulement d’avoir raison.

Je me jette hors de mon lit et trottine encore à moitié endormie jusqu’au salon. Je dois trouver les photos. Je l’ai reconnu. Je l’ai revu. Petit. Enzo. C’est lui, j’en suis sûre, et c’est terrifiant. Je mets enfin la main sur les photos de classe et le voit.

Il avait ces longs cheveux noirs qu’il ne voulait pas couper. Ils avaient de quoi bien recouvrir son visage, comme la tête que j’ai vue détachée au sol. Et ses yeux, je n’étais pas très proche de lui, mais il avait les mêmes yeux noirs, petits et mi-clos, un teint bronzé et un sourire espiègle. C’était bien lui. Celui qui s’est fait exploser sur la place ce matin.

Il faut que je m’assois. Je l’avais connu et je ne pensais pas le voir un jour comme ça ! Qu’est-ce qui lui est passé par la tête ? Il était sournois mais n’avait jamais vraiment été violent. Jamais à ce point. Cela fait trop de gens que je connais qui meurent en si peu de temps. Peut-être qu’une malédiction s’abat sur nous. Sans trop me contrôler, je me mets à pleurer. De fatigue, de cette situation, de tous ces évènements tragiques.

– Daphné ? Il est tôt, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

Je sanglote trop pour parler. Pour seule réponse, je lui pointe Enzo sur la photo. Après un temps à la fixer, il relève la tête, grave. Il a compris.

– Il est tôt mais tant pis, on y va.

Il est six heures du matin et nous sommes déjà garés sur le parking du commissariat. Le trajet était silencieux. On se pose à son bureau. On examine les photos en tentant de trouver son motif, de comprendre ce qui est arrivé, en vain.

– Comment as-tu su ? me demande-t-il doucement.

– Il était dans mon rêve, je l’ai reconnu.

Ambroise passe une main sur mon épaule quand Kali déboule dans le hall un grand café à la main. Elle s’arrête pour nous fixer un moment.

– C’est une heure bien tôt pour vous ! Je suis toujours la première à arriver.

Mon frère tourne l’écran de l’ordinateur pour lui montrer les correspondances entre les photos d’Enzo et celles du cadavre. Kali plisse le nez.

– Voilà qui est peu commun. Il va falloir interroger la famille. J’appelle le commissaire et tu t’occupes de ça ?

Mon frère acquiesce. De mon côté, je suis trop fatiguée, je pose ma tête sur mes bras croisés et m’endors, tentant de rattraper ma dernière nuit.

Lorsque je me réveille, le commissariat est plein et les gens y courent partout. Mon frère n’est pas à son bureau. Je le trouve dans le hall avec une vieille dame. Mme Bertou ? Nan, elle aurait bien trop peur pour sortir de chez elle. Je plisse les yeux et discerne les traits de la mère d’Enzo. Elle a l’air affolée, et pleure toutes les larmes de son corps sur l’épaule de mon frère. Mathis surgit derrière eux, le regard vide. Ils me rejoignent au bureau pour les interroger. Elle me salue rapidement mais lui reste de marbre.

Elle n’avait rien vu venir. Son fils était distant depuis quelques jours particulièrement, mais il l’avait toujours un peu été alors cela ne l’avait pas alarmée. Il ne lui parlait plus beaucoup depuis quelques années. De même pour Mathis, il n’avait pas vraiment fait attention, ou supposé qu’il était simplement de mauvaise humeur. Il était quand même plus proche d’Enzo qui l’avait toujours adulé comme un dieu. Mais celui-ci ne l’avait jamais poussé à la malveillance, d’où son étonnement.

Il leur est demandé de rester au commissariat quelque temps pour régler des papiers, rédiger leur témoignage. Gaspard n’est pas là puisqu’il fait ses études loin, et vu l’heure il doit maintenant être en cours alors il ne répond pas. Il nous faut maintenant attendre. Au moins le laboratoire nous a confirmé l’identité du cadavre, mais nous n’avons pas encore l’autorisation pour faire une perquisition chez lui. Sa mère nous a donné son double des clés mais il nous faut une autorisation supérieure et il est encore tôt. Je décide de reprendre ma sieste quand on me tape sur l’épaule.

– Tu veux faire comme hier ? me propose Kali. Je dois encore travailler un peu mais je prendrais une chaise pour te laisser mon fauteuil, tu y seras plus au calme.

J’acquiesce immédiatement. Je sais qu’elle ne fera pas trop de bruit et c’est toujours mieux qu’au milieu de cette fourmilière de gens qui me passent à côté. Pendant que je m’installe, elle me ramène de nouveau un chocolat chaud que j’avale d’une traite avant de sombrer dans un sommeil lourd.

Un gros bruit retentit. Je suis encore devant cette explosion ? Non, je suis bien réveillée, au commissariat. Les gens bourdonnent plus vite. Ils prennent leurs gilets pour sortir. Mais moi je suis sereine, je veux dormir. C’est peut-être un feu d’artifice. J’ai bien chaud, je suis confortable. Kali n’est plus là, c’est bien. J’ai cette chambre pour moi toute seule. Mais ce n’est pas une chambre, c’est un bureau ! Je ris seule quand Kali et Ambroise font irruption dans la pièce.

– Oh, coucou ! je les salue en agitant le bras.

Mon frère me lance un regard de travers et attrape un gilet par-balle pour l’enfiler. Il joue le policier, c’est rigolo.

– Qu’est-ce qui t’arrive toi ? Il y a une autre explosion et toi tu ris ?

Je hausse les épaules.

– Bon, reste ici, si tu as pris un truc pour te déstresser tu as bien raison.

Je ris, toujours sur ma chaise qui se met à tournoyer. Comme dans un manège. On me caresse le front, c’est peut-être le vent dans mes cheveux ! Je ris encore et m’endors à nouveau.

J’ai envie de vomir. Je me lève douloureusement et sors du bureau. Mon frère est assis à trier des photos. J’y jette un coup d’œil que je regrette rapidement. C’est une nouvelle personne déchiquetée. Je cours aux toilettes où j’y déverse le contenu de mon estomac. Ce n’est qu’une fois avoir repris mes esprits que je comprends que j’ai une compagne de vomi. Je n’ai pas la force de ma lever alors je me glisse jusqu’à la cabine où Constance a encore le visage blanc comme de la craie.

– Tu y étais aussi ? Je ne t’ai pas vue, me demande-t-elle en relevant la tête.

– Je crois que les photos ont suffi, dis-je en m’appuyant contre le mur de la cabine. Vous savez qui c’est ?

Elle se rejette dans la cuvette avant d’acquiescer.

– Un certain Lucas, je ne m’en souviens pas, mais c’est ton frère qui l’a reconnu. C’est un ami de cet Enzo à ce qu’il paraît.

J’acquiesce à mon tour, écœurée. Lui aussi. Je le connaissais moins bien mais ça ne peut être une coïncidence. Deux explosions en deux jours. Sur une autre place à ce que j’ai vu. Qui sera le prochain ? Ce n’est pas comme un tueur en série, c’est plus des suicides en série, et c’est d’autant plus effrayant. Et encore plus lié à Mathis, grand frère d’Enzo et meilleur ami de Lucas. Sera-t-il le suivant ? Ou les as-t-il obligés ? Pourquoi ?

Mon frère me coupe dans mes pensées en débarquant.

– Ce sont les toilettes des femmes.

Il m’ignore. Il a l’air très inquiet.

– Comment tu te sens ?

Je lève un sourcil. Il me coupe pour me demander comment je v…

– Je m’en sors, ça va. Je crois que je ne vais pas vous aider plus longtemps. Je vais faire un tour.

Elle se lève doucement avec son aide.

– Je viens avec toi !

– Non, tu as du travail.

– Et si une autre personne se fait…

– Je vais avec elle, je propose.

Mon frère souffle mais acquiesce. J’avais besoin d’air aussi. Il insiste pour que je porte sa lourde veste de police et je n’ose pas refuser. Il a maintenant l’air bien énervé et tout autant inquiet. Mais il nous laisse partir.

Les rues sont désertes. Seul le vent nous ralentit.

– Tu penses qu’il y aura quelqu’un d’autre ? je demande.

– Tu sais ce qu’on dit, jamais deux sans trois. Même si le frère a vraiment l’air affligé. De toute façon ils le gardent au commissariat, il ne peut rien nous arriver.

Je m’arrête, nous sommes quasiment au milieu de la place du marché qui n’est pas très remplie.

– Je crois que tu as parlé trop vite.

En effet, devant nous, un homme pleure à chaudes larmes. Il a une sorte de gilet par-balles, mais je comprends vite que ça n’en est pas un. C’est un gilet explosif. Je suis presque pétrifiée. Je prends mon courage à deux mains pour relever la tête et croise le regard de Gaspard.

– Toi, dis-je lentement. Pourquoi ? Tu es le seul qui ne suivais pas Mathis comme un chien.

– Je dois faire mes preuves, il n’a jamais voulu de moi.

Il tient dans sa main un bouton rouge, j’imagine que je dois prier pour qu’il n’appuie pas dessus. Je m’interpose devant Constance. Elle me retient du bras.

– Ne fais pas ça, chuchote-t-elle.

– Je vais faire diversion.

– Je ne peux pas te demander ça …

Et pourtant, on savait toutes les deux que c’était notre seul moyen de survie. Alors elle se recule doucement. Je dois continuer à parler.

– Tu n’es pas obligé de faire ça Gaspard.

– Si, je dois faire mes preuves, répète-t-il. Ou je serais tué.

– Alors tu veux me tuer, moi et tous les gens qu’il y a sur cette place ?

– Non.

– Alors ne le fais pas.

– Si ! Il le faut. Mais pars, pars et reste en vie, je ne dois pas te tuer.

Je crois que même si c’est mon souhait actuel le plus cher, je n’arriverais pas à bouger tellement je suis pétrifiée sur place. S’il ne veut pas le faire, je ne vois pas pourquoi il se sent obligé, on pourrait le protéger. J’arrive à faire un pas, main en avant.

– N’avance pas, ou j’appuie !

Je ne respire plus. Je sens quelque chose de dur près de ma côte. Je tâte discrètement et touche une arme à feu. Voilà pourquoi mon frère a tant insisté pour que je prenne sa veste. Je dois gagner du temps avant qu’il arrive, je ne veux pas à avoir à me servir de ça.

– C’est Mathis qui t’oblige ?

– C’est pour lui que je le fais.

– Laisse nous t’aider, on peut te protéger de lui s’il te fait du mal !

– Non ! Je dois le faire.

– Alors tu ne me laisses pas le choix.

Pour appuyer mes paroles, je sors l’arme de mon frère que je braque sur lui. J’entends au loin des sirènes, ça y est, la police est là. Ils courent vers nous, me criant de m’écarter.

– C’est ta copine qui les a ramenés. Tu ne me laisses pas le choix toi aussi.

Il approche doucement son pouce du bouton. Non, il ne peut pas faire ça.

– Non ! j’entends Kali crier au loin.

Alors, je tire.

L’impact me fait lâcher l’arme. Je recule de quelques pas. Le bruit. Mes oreilles bourdonnent. Je crois que je suis un peu sonnée. Mon regard divague. J’ai visé un peu au hasard. Je dois me poser, je dois m’asseoir. Mais je ne peux pas. Je me redresse et regarde autour de moi.

Gaspard est au sol. Il a la main en sang. Je crois que j’ai tiré dans sa main. J’essaie de ne pas trop fixer le sang. Derrière moi, la police s’est bien rapprochée. Mais ils sont tous bien armés, avec des casques et des boucliers. Mon frère est tout devant, moins équipé, mais je lis de la terreur dans ses yeux. De même que dans ceux de Kali, son regard est braqué sur moi, empli d’inquiétude. Je me retourne à nouveau. Gaspard a un objet métallique entre les mains. Non, il ne peut pas faire ça, il ne peut pas !

Je me jette à genoux et tente de lui arracher le couteau. Il résiste fort. Il a beau avoir une main blessée, il réussit à avoir le dessus. Mais je ne désespère pas, je ne peux pas le laisser mourir, lui aussi. On n’était pas proche, mais lui était le plus sympathique de tous, je suis tellement déçue de son comportement, mais il n’a encore blessé personne.

– Écarte-toi ! Je dois mourir ! crie-t-il.

– Non !

Il force un dernier coup qui me fait lâcher, m’entaillant la main au passage. Je me sens tirer de force en arrière. Je me débats mais des bras puissants m’écartent pendant que la police se rapproche encore. Ils allaient se saisir de lui quand je le vois se trancher la gorge.

Je me laisse tomber. Je ne voulais pas voir ça, je ne voulais pas que ça arrive. Dites-moi que je rêve ! Ce n’est pas possible. Je ne suis pas paralysée, je suis choquée, triste et en colère. Je lui en veux. Je leur en veux tous. Il dit y avoir été obligé, on aurait pu l’aider, il n’a pas voulu. Il aurait pu vivre, mais il a préféré mourir pour faire ses preuves ! Je ne peux pas y croire. Et je pleure, je pleure encore et encore.

Je me réfugie dans les bras de celui qui m’avait tirée. Je veux sortir de tout ça, c’est trop. Je n’en peux plus. Je veux dormir, mais je sais que je n’y arriverais pas. On m’emporte, je me laisse porter. Je ne relève la tête qu’au commissariat, où je trouve le regard de Kali, qui me portait depuis le début. Je me sens gênée alors je me redresse.

– Merci …

Elle m’explique qu’ils ont arrêté Mathis, et qu’il s’est laissé faire. Je croise le regard de leur mère, désemparée et aux yeux pleurant à chaudes larmes, sans fin. Je regarde Kali qui me sourit légèrement. Je me rejette dans ses bras. Je ne lui demande pas son avis, mais je crois que j’en ai besoin. Elle ne me repousse pas, et au contraire me rend mon étreinte. Je me laisse aller contre elle et elle me caresse doucement la tête.

– Tout va bien se passer, ne t’en fais pas, me chuchote-t-elle. Viens, je te ramène chez toi.

– C’est chez mon frère…

– Je sais, viens.

J’embarque dans sa voiture et elle me ramène jusqu’à l’immeuble et se gare. Je n’ose pas sortir. Il ne m’est rien arrivée, mais je ne veux pas être seule, toujours pas, je ne peux pas.

– Tu crois que tu peux rester un peu ?

Elle sourit et acquiesce.

– Tout ce que tu veux. Même si tu veux regarder une de ces horreurs de Disney comme ton frère pour bien dormir, je serais là.

Je souris à mon tour, enfin.

– Il ne fallait pas me dire ça.

Elle rit légèrement, et ne souffle même pas, quand j’allume Raiponce – le meilleur des Disney. Cela faisait un moment que je n’avais pas pu me détendre l’esprit. Un moment, elle se lève et me ramène la trousse de soins de mon frère, puis prend ma main. Je l’avais complètement oubliée. Elle soigne ma blessure doucement, et profite de la distraction que m’apporte le film pour mettre du désinfectant. Je râle mais la remercie. Elle me laisse m’appuyer sur ses genoux, la tête sur un coussin. Elle me caresse les cheveux, et je m’endors.

Elisa