Extrait : Angela Davis, Autobiographie (Aden, [1974] 2013)

Septembre 1961

« Ce n’est que dans le cadre artificiel de ce campus isolé et pratiquement réservé aux blancs que je pus me permettre d’entretenir ce comportement nihiliste. (…) Je me disais communiste mais je refusais d’être entraînée dans le petit mouvement qui se déroulait sur le campus parce que j’avais l’impression que les politicards m’avaient manifestement abordée sur un ton protecteur »(p.140) (…) « Je fus frappée par la façon profondément égoïste dont les étudiants réagir à la crise [de Cuba]. (…) Le temps que l’assemblée s’organise, nombre d’étudiants s’étaient déjà enfuis et ils ne purent entendre les discours efficaces que prononcèrent James Baldwin, Herbert Marcuse (…) » (p.141)

« Cela réconfortait de se sentir dans le mouvement et de participer à nouveau à des meetings, à des teach-in et à des manifestations. Mais la crise passée, les choses reprirent leur bonne vieille routine » (p.142)

Angela Davis est une femme intellectuelle connue pour son engagement militant depuis son adhésion au Parti communiste en 1968 jusqu’à sa participation à la Marche des femmes contre Donald Trump (2017).

Pourtant, en réalité, ses expériences militantes sont déjà antérieures. Elle vient d’une famille de parents militants et elle a déjà eu des expériences militantes avant d’arriver à l’Université Brandeis en 1961. Elle a déjà une conscience politique communiste construite par un ensemble de lectures qu’elle a effectué elle-même.

Ce qui est intéressant dans ce passage de son auto-biographie, c’est qu’il remet en question une vision linéaire, originaire et trop intentionnaliste, que l’on trouve chez Sartre, du projet existentiel qui ne laisse pas assez place aux bifurcations, aux aléas produits par la situation.

On peut en effet considérer à la manière de Viktor Frankl que le militantisme est une dimension de l’existence d’Angela Davis qui donne un sens à sa vie.

Mais ce projet existentiel n’est pas aussi stable et linéaire que pourrait le laisser supposer une vision globale de la vie d’Angela Davis. On peut écrire la militante Angela Davis. On pourra dire d’elle qu’elle a été engagée toute sa vie.

Pourtant, le détail de son existence laisse apparaître des périodes de désengagement militant ou des fluctuations de cet engagement en fonction de la situation.

L’extrait laisse apparaître que l’absence d’engagement dans un premier temps ne tient pas à l’absence d’opportunité militante. Il existe bien des groupes militants à l’Université. Mais elle ne les rejoint pas.

L’extrait présente également un épisode de réengagement militant conjoncturel. L’autrice se souvient de son indignation face au comportement d’une partie des étudiant-e-s et s’engage dans le mouvement.

Mais cet engagement ponctuel n’aboutit pas à un réengagement durable. Que manque-t-il pour que cet engagement soit plus durable ? Si l’on en croit l’autrice, le retour de la routine. Le moment d’effervescence politique est trop limité pour l’inciter à s’inscrire durablement dans un engagement militant.