1. Si l’approche existentielle ne prend pas en compte l’analyse critique des conditions sociales de la situation, elle n’est que dans l’adaptation. Ce que critique Paulo Freire qui oppose à l’approche critique à l’adaptation.

2. Le risque d’une analyse existentielle est d’apprendre aux personnes à s’adapter à n’importe quelle situation, sans mettre en lumière ce qui dans la situation doit être transformée collectivement.

2.1. David Graeber dans Bullshit Jobs, identifie toute une catégorie d’emplois qui en eux-mêmes manque de sens ou sont mêmes socialement nuisibles. Il les oppose d’ailleurs au job de merde, qui sont socialement utiles, mais qui sont caractérisés par de mauvaises conditions de travail, une faible considération et rémunérations.

3. Chez certaines approches du sens du travail, le risque c’est que l’analyse existentielle ne serve aux personnes qu’à trouver du sens y compris dans les pires situations de travail qui devraient être en réalité transformées.

3.0.1. Ces situations de travail doivent être transformées pour plusieurs raisons : trop faibles rémunérations, conditions de travail qui peuvent atteindre à la santé physique ou psychiques, bullshit job ect…

3.1. Après tout, Viktor Frankl a réussi à survivre et à trouver un sens à sa vie y compris dans un camps de concentration et d’extermination. Mais il n’avait pas le choix. Doit-on penser les individus comme s’ils étaient dans une situation aussi contrainte.

4. De même d’une certaine manière on trouve un tel discours hyper-responsabilisant chez Sartre où la subjectivité est toujours sans aucunes excuses par rapport à la situation :

« Car souvent ils n’ont qu’une seule manière de supporter leur misère, c’est de penser:  » Les circonstances ont été contre moi, je valais beaucoup mieux que ce que j’ai été; bien sûr, je n’ai pas eu de grand amour, ou de grande amitié mais c’est parce que je n’ai pas rencontré un homme ou une femme qui en fussent dignes, je n’ai pas écrit de très bons livres, c’est parce que je n’ai pas eu de loisirs pour le faire; je n’ai pas eu d’enfants à qui me dévouer, c’est parce que je n’ai pas trouvé l’homme avec lequel j’aurais pu faire ma vie. Sont restées donc, chez moi, inemployées et entièrement viables, une foule de dispositions, d’inclinations, de possibilités qui me donnent une valeur que la simple série de mes actes ne permet pas d’inférer.  » Or, en réalité, pour l’existentialiste, il n’y a pas d’amour autre que celui qui se construit, il n’y a pas de possibilité d’amour autre que celle qui se manifeste dans un amour; il n’y a pas de génie autre que celui qui s’exprime dans des œuvres d’art : le génie de Proust c’est la totalité des œuvres de Proust; le génie de Racine c’est la série de ses tragédies, en dehors de cela il n’y a rien; pourquoi attribuer à Racine la possibilité d’écrire une nouvelle tragédie, puisque précisément il ne l’a pas écrite? Un homme s’engage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure il n’y a rien. Evidemment, cette pensée peut paraître dure à quelqu’un qui n’a pas réussi sa vie. Mais d’autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les rêves, les attentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêve déçu, comme espoirs avortés, comme attentes inutiles; c’est-à-dire que ça les définit en négatif et non en positif; cependant quand on dit  » tu n’es rien d’autre que ta vie « , cela n’implique pas que l’artiste sera jugé uniquement d’après ses œuvres d’art; mille autres choses contribuent également à le définir. Ce que nous voulons dire, c’est qu’un homme n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme, l’organisation, l’ensemble des relations qui constituent ces entreprises ».

4.1. Il y a cependant ici semble-t-il une confusion chez Sartre dans la définition de la liberté. La subjectivité est toujours libre de vouloir connaître le grand amour, mais elle n’est pas libre d’y parvenir  comme le prisonnier est toujours libre de chercher à s’évader, mais il ne dépend pas de lui d’y parvenir.

4.2. Les stoiciens avait pour cela l’image de l’archer :

« « L’archer doit tout faire pour atteindre sa cible [σκοπός – skopos]. Or, c’est cet acte de tout faire pour atteindre la cible, pour réaliser son but, c’est cet acte qui est, si je puis dire, l’objectif [τέλος – télos] que recherche l’archer, et qui correspond à ce que nous appelons, quand il s’agit de la vie, le souverain bien. Atteindre la cible est une chose que l’on peut souhaiter, mais ce n’est pas une chose méritant d’être recherchée pour elle-même. » Cicéron, Traité des fins, Chapitre 3.

4.3. De ce fait, il n’est possible de juger que de l’effort et non du résultat. On ne peut donc pas juger une personne sur la réussite de son œuvre, mais sur l’effort qu’elle a entrepris pour réaliser une œuvre.

4.3.1. En outre, tous les exemples que prend Sartre ne sont pas équivalents. Ecrire un livre, on peut dire que cela dépend de soi. Trouver le grand amour dépend également de la liberté d’une autre personne. En outre trouver le grand amour, semble dépendre d’une part de hasard de l’existence alors que d’autres situations semblent moins impliquer de hasard.

4.3.2. Là où par contre, il est possible de suivre Sartre, c’est sur sa critique du virtuel ou du possible qui a déjà été aussi effectuée par Bergson, dans Le possible et le réel. Il n’y a pas de grande œuvre qui existe à l’état de virtualité, avant d’avoir été créée.