L’approche socio-existentielle peut-être mise en œuvre en groupe (éducation populaire), en relation duale (consultation existentielle) ou seul (autoformation existentielle). Elle propose une réflexion sur la place des conditions sociales, des épreuves de vie sur la trajectoire des personnes, ainsi qu’un développement des capacités d’agir collectives et individuelles.

L’approche socio-existentielle vise en particulier à aider les personnes face aux épreuves de vie en tenant compte de la positionnalité sociale des personnes. Elle vise à les aider à faire face entre autres à une détresse psychologique réactionnelle, à une souffrance psychique. Elle se situe en prévention du développement possible de troubles psychiques.

L’approche socio-existentielle est un particulier pertinente pour des personnes qui sont minorisées socialement (en situation de discriminations sociales), mais elle peut présenter aussi un intérêt pour des personnes en situation de privilège social dès qu’il s’agit de travailler sur des problèmatiques qui incluent par exemple du sexisme, du racisme, de l’homophobie ect…

La rupture avec des présupposés :

L’approche socio-existentielle vise à rompre avec un certain nombre de présupposés dans l’approche de la souffrance psychique (en particulier lorsque cette souffrance psychique à une origine sociale) :

– l’origine du problème ne se trouve pas dans le psychisme de l’individu, dans un dysfonctionnement intrapsychique. La souffrance psychique doit être mise en relation avec la positionnalité sociale des personnes et les épreuves de vie.

– il n’y a pas de désir de soumission inconscient chez les personnes socialement dominées, mais des mécanismes externes implicites de contraintes qui peuvent être intériorisés qu’il s’agit de déconstruire pour aider à la personne à s’émanciper.

– il ne s’agit pas seulement d’analyser le passer, mais de travailler également sur les projets d’avenir, les capacités d’action individuelles et collectives.

1. La mise en valeur de l’expérience vécue.

L’approche socio-existentielle ne porte pas sur l’analyse des fantasmes des personnes (contrairement à certaines approches psychothérapeutiques), mais sur leur expérience vécue subjective.

Cette exploration peut s’appuyer sur : l’écriture d’un journal, l’élaboration d’un récit de vie, sur des groupes de parole ect…

Les expériences qui sont partagées sont des expériences sociales ou existentielles (sachant que les expériences existentielles sont toujours modelées également par la positionnalité sociale).

Références : Cappeliez, Philippe. À la lumière de mon passé. Mes souvenirs autobiographiques pour me connaître et me comprendre. Mardaga, 2018

« Petite histoire, grande histoire », Revue Antipodes, n°199. URL : http://www.iteco.be/revue-antipodes/Emancipation/Petite-histoire-et-grande-Histoire

2. La conscientisation

La conscientisation vise à opérer un reframing en passant d’une interprétation interpersonnelle de la situation (micro-sociale) à une interprétation macro-sociale s’appuyant sur l’analyse des rapports sociaux de pouvoir à partir de la positionnalité sociale de la personne.

Cette pratique peut par exemple s’appuyer sur de la « bibliothérapie » : il s’agit de proposer des lectures (en sciences sociales, en philosophie, voire littérature (ou d’autres supports comme des video)) et de les discuter avec les personnes.

L’objectif de la conscientisation porte sur plusieurs dimensions :

– la personne prend conscience de la place des conditions sociales dans sa situation et non pas seulement des actions des individus.

– cela permet de comprendre que de nombreux problèmes qui sont vécus ne sont pas des difficultés individuelles, mais possèdent une dimension sociale et collective, que la personne n’est pas seule à rencontrer ce problème.

– cela permet également de comprendre que les problèmes de souffrance psychique des personnes ne proviennent pas nécessairement des personnes elles-mêmes, mais ont souvent des origines sociales et externes à la personne.

Références :

Kergoat Danièle. Comprendre les rapports sociaux. In: Raison présente, n°178, 2e trimestre 2011. Articuler le rapports sociaux. pp. 11-21. DOI : https://doi.org/10.3406/raipr.2011.4300

Renault, E. (2008). Souffrances sociales: Sociologie, psychologie et politique. Paris: La Découverte.

3. La démytification

Il arrive que les personnes éprouvent une souffrance psychique, mais qu’elles aient du mal à s’expliquer certains aspects de leurs propres comportements dont elles tendent à s’attribuer la cause ou à l’attribuer à d’autres personnes, alors qu’il peut s’agir d’autres types d’explications plus impersonnelles :

– des mécanismes de contraintes et de violences externes peu perceptibles : la personne peut éprouver une souffrance face à une situation, et ne pas comprendre pourquoi elle semble elle-même avoir des difficultés à s’en détacher. C’est par exemple le cas lorsqu’elle est dans un système d’emprise.

– des idées sociales oppressives intériorisées ou des comportements oppressifs intériorisés : la souffrance psychique causée par la situation peut être exacerbée par des idées sociales oppressives qui ont été intériorisées comme l’idée de mérité individuel, des idées sexistes, de l’homophobie intériorisée ect… Il peut s’agir également de mécanismes d’introjection ou d’identification à l’oppresseur ou au système agresseur.

– un sentiment indu de culpabilité ou de honte : la souffrance psychique peut provenir du fait que la personne s’attribue une responsabilité ou l’origine de comportements qui ne peuvent se comprendre qu’en prenant en compte les conditions de la situation, en particulier les conditions sociales. Des personnes victimes de violences sociales vont par exemple s’attribuer la responsabilité des violences qu’elles ont vécues et se culpabiliser de leur attitude.

L’approche socio-existentielle a pour objectif d’aider les personnes à analyser et à déconstruire l’ensemble des micro-contraintes et violences qui assurent leur soumission dans une situation et dont elles n’ont pas conscience. Ces micro-contraintes, dont elles n’ont pas conscience, peuvent générer une culpabilité indue.

Dans le cas de personnes socialement dominantes, ayant eu des propos ou des actes oppressifs, il s’agit de mettre en avant la part de responsabilité de l’individu. Les personnes peuvent intérioriser des comportements de violence, mais il est possible par une réflexion éthique critique, de comprendre le caractère problèmatique de ces comportements. Il est possible également de travailler sur soi pour ne pas les reproduire en en déconstruisant les mécanismes.

Comme le souligne Nicole-Claude Mathieu, on ne peut pas analyser de manière symétrique et identique la conscience de l’opprimé-e et de l’oppresseur car leur place n’est pas la même dans les rapports sociaux de pouvoir. Il est important de responsabiliser les oppresseurs et de déculpabiliser les opprimé-e-s tout en développant leur capacité d’agir.

Références :

Mathieu, Nicole-Claude, « Quand céder n’est pas consentir » – https://infokiosques.net/IMG/pdf/quandceder-pageparpage.pdf

Jamoulle, P. (2021). Je n’existais plus: Les mondes de l’emprise et de la déprise. Paris: La Découverte.

Ferrand Annie, « L’inconscient, ennemi intérieur des femmes », Zinzin zine, 2011.- https://www.zinzinzine.net/inconscient-ennemi-interieur-des-femmes.html

4. L’exploration des inédits possibles

Après l’analyse de la situation (positionnalité sociale, évènements de vie, micro-contraintes, idées oppressives intériorisées, comportements oppressifs intériorisés), il s’agit d’explorer les possibles ouverts par la situation.

Il s’agit de réfléchir aux possibles :

– immédiats

– à moyen terme

– voire à long terme.

Il s’agit en particulier de travailler sur le sens que la personne peut donner à son existence, quels sont ses projets de vie, de réfléchir à la différence entre un projet de vie personnel et à des projets de vie qui peuvent être dictés par des normes ou des contraintes sociales ect…

Il s’agit de réfléchir aux possibles d’action et de développer les capacités d’agir :

– individuels (recherches avec la personne de connaissances juridiques ou d’autres informations susceptibles d’aider la personne à agir sur sa situation individuelle). Cela peut passer par de l’éducation aux droits et de la formation autour du droit de la non-discrimination par exemple.

– mais aussi collectifs (engagement dans des projets collectifs qui permettent à la personne de sortir de l’isolement social et donc de développer du soutien social, d’agir collectivement sur la situation afin d’obtenir une transformation sociale de la situation…)

Références :

Défenseur des droits – https://www.defenseurdesdroits.fr/

Education populaire autonome – http://www.educationpopulaireautonome.org/

Conclusion: 

La subjectivité est construite par la positionnalité sociale et les évènements de vie du sujet, mais il appartient à chacun ensuite d’accepter ou de déconstruire. Cette construction n’est pas pour l’essentiel consciente, la connaissance des processus sociaux et existentiels de construction du moi peuvent aider à déconstruire ce qui a été construit. Tout n’est pas jeter dans ce qui vient de l’extérieur : l’éducation fait partie de ces processus qui contribuent à nous construire. Mais l’on peut également refuser et essayer de changer des aspects de notre construction socio-existentielle.

Mais l’approche socio-existentielle ne se concentre pas uniquement sur la déconstruction de ce qui a été intériorisé d’opprimant par le moi, mais effectue une distinction entre ce qui est interiorisé et ce qui est externe dans l’oppression. L’émancipation du sujet peut certes nécessité d’agir sur soi-même, mais il peut également nécessité d’agir sur la situation.