Les formations qui portent sur la prise en charge de la souffrance psychique des militant-e-s tendent en réalité souvent à mélanger plusieurs types de problèmes au risque de nuire à l’analyse de ces questions et à ne servir à fournir que des outils pour de futures formations managériales aux entreprises.

Stress post-traumatique et traumatisme vicariant.

Plusieurs de ces formations mettent en avant le risque de traumatismes que peut induire le militantisme : soit en étant soi-même directement victime de violences, soit en étant témoins de violences. Dans ce second cas, on parle de traumatisme vicariant ou traumatisme secondaire.

Ces faits sont tout à fait exacts et doivent faire l’objet d’une prise en charge psycho-traumatologique. Mais toute souffrance psychique liée au militantisme n’est pas un traumatisme. Il est important de ne pas donner une extension trop importante au trouble post-traumatique au risque de réduire la spécificité de la symptomatologie de stress post-traumatique ou de traumatisme vicariant.

Les conditions de travail militantes

Dans le burn-out militant, on trouve en réalité nombre d’éléments qui sont bien connus de la sociologie du travail, en particulier par exemple dans la sociologie du travail associatif.

Il y a bien souvent, dans ces secteurs professionnels, des problèmes de non-respect des conditions de travail sous pretexte de dévouement à la cause (voir par exemple l’ouvrage de Simon-Cottin Marx, C’est pour la bonne cause).

Des sociologues comme Sandrine Nicourd ou encore Xaviez Denuzat ont parlé de travail militant pour analyser de manière critique les rapports sociaux de travail dans le militantisme comme la division sexuée du travail militant. De même, Maud Simonet a mis en lumière les problématiques de travail gratuit et de ses frontières.

Ainsi, lorsqu’on évoque le droit à la déconnexion des militant-e-s, on est plutôt dans une problématique de conditions de travail, plutôt que dans une problématique qui relève de la psychologie.

Il faut en effet comprendre que la psychologie est une science qui aborde la souffrance psychique à partir du dysfonctionnement du psychisme individuel. Ce n’est pas une approche psychologique qui permet d’étudier les dysfonctionnements de l’environnement social, mais la sociologie.

De ce fait, pour éviter la psychologisation de la souffrance psychique militante, il est nécessaire de partir des facteurs organisationnels (sociologie des organisations) qui peuvent expliquer la souffrance subjective (ce qui relève de la sociologie clinique).

Il ne s’agit pas seulement de réfléchir à des alternatives de prises en charge collectives de la souffrance psychique, mais d’agir sur l’environnement organisationnel, et plus largement d’analyser les déterminants sociaux de la souffrance psychique.

L’approche psychologisante de la souffrance militante conduit au contraire à s’appuyer sur des qualités psychologiques, des compétences psycho-sociales individuelles. Il s’agit par exemple d’être capable de faire preuve d’empathie. Comme si c’était le fonctionnement interne de la personne qui serait à l’origine de sa souffrance militante.

Le risque avec la psychologisation, c’est de laisser à l’individu la responsabilité de sa souffrance psychique, alors que celle-ci a une cause organisationnelle. D’autant plus qu’en lui faisant croire qu’il peut lutter contre sa souffrance psychique par des techniques individuelles, cela conduit à oblitérer les causes organisationnelles sociales de sa souffrance et à créer l’illusion que tout peut être réglé par des gestes individuels.

Valeurs militantes : psychologie ou philosophie ?

On voit également se développer un discours psychologique concernant l’éco-anxiété ou encore le caractère déprimant d’objectifs militants qui seraient inatteignables ou bafoués dans le système actuel.

Le problème, c’est que la question des choix de valeurs des personnes n’est pas une question psychologique, mais philosophique. Il y a un danger à laisser à une science positive comme la psychologie, de nous dire quelles valeurs et quel rapport aux valeurs nous devons adopter dans notre vie.

Par exemple, devons-nous choisir de viser le bonheur personnel ? Devons-nous développer comme qualité humaine l’empathie ? Tout cela relève en réalité de choix philosophiques sur le type de vie que nous voulons mener. Il y a un danger à laisser des études scientifiques psychologiques décider des valeurs personnelles que nous devrions cultiver dans notre vie.

De même distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous (pour reprendre la distinction du philosophe Epictete) renvoie à une réflexion philosophique et non pas psychologique. Il s’agit de poser les limites éthiques de notre action. Là encore, il est dangereux de confier à une science positive de nous dire comment orienter notre vie.

Un exemple de position philosophiquement confuse, que l’on voit apparaitre chez les promeuteurs/trices du « prendre soin de soi », porte sur l’idée d’abandonner le principe de cohérence entre les principes et les pratiques. En gros, cela conduirait à « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ». En réalité, la cohérence est un principe éthique nécessaire. Mais la vraie question est plutôt les limites de la cohérence. Il s’agit plutôt de réfléchir sur quoi il me semble ethiquement important d’être cohérent et où cela devient impossible compte tenu du système dans lequel on vit.

Conclusion :

Il ne s’agit pas de nier l’existence d’une souffrance psychique militante et de ne pas la prendre en compte. Mais le premier enjeu porte sur l’analyse des causes de cette souffrance pour pouvoir agir sur ce qui la cause. La psychologie tend à situer cette cause dans le fonctionnement interne de la personne et à prôner des mesures qui visent à modifier le fonctionnement psychique, relationnel et comportemental des individus.

En outre, il y a un risque à traiter le fait d’être confronté à des évènements potentiellement traumatiques et des situations de burn-out liés à l’organisation des conditions de travail de la même manière. Toutes les souffrances psychiques n’ont pas les mêmes causes et ne nécessitent pas le même type de prise en charge.

Certaines peuvent relever d’une prise en charge psychologique (ce qui est le rôle de la psycho-traumatologie), d’autres relèvent d’une action sur les conditions organisationnelles du travail militant et suppose une analyse sociologique, d’autres enfin sont du domaine de choix de vie philosophiques.

En confondant ces différents éléments, les milieux militants risquent de développer des outils d’éducation populaire autour de la souffrance psychique qui seront repris par le management capitaliste avec pour objectif de rendre les personnes plus résilientes sans rien changer à leurs conditions de travail objectives.

Enfin, il ne faut pas oublier que la vague militante des années 1970 s’est terminé dans un repli sur soi d’abord dans les thérapies alternatives californiennes qui ont ensuite servi à nourrir le développement personnel managérial. Nombre de conseils de lutte contre le burn-out militant, de part leur orientation très psy et individuels, laissent présager une sortie progressive du militantisme au profit d’un souci de soi et de son bien-être comme valeur première.

NB: Une autre thématique à la mode actuellement dans les milieux militants semble également assez confuse: il s’agit de « radicalisme rigide » (voir le livre Joie militante). Cette thématique confond la rigidité des postures de certains militants puristes (ex: le « call out ») et les légitimes débats de fond sur des positions et des orientations qui sont divergentes.

Références :

Caroline de Haas, « Prendre soin de soi quand on milite sur les violences sexistes et sexuelles » – https://www.facebook.com/watch/?ref=saved&v=825679524859693

Melanie Joly – Conférence sur l’activisme durable ? – https://www.youtube.com/watch?v=tLcXKKtWmHA&t=8s

“Burn-out militant” : changer le monde, oui, mais sans s’oublier ! Comment tenir sur la longueur ? –

https://www.axellemag.be/burn-out-militant/

Guide open source de lutte contre le burn-out militant – https://docs.google.com/document/d/1hU1KCXWMAZcpJ568Bv9cBMq3nvcMXQyyRXr_UhgSybQ/edit

Sauver le monde sans s’effondrer – https://amnistie.ca/sites/default/files/2021-04/Manuel_bien-etre_jeunes.pdf