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Soirée littéraire du 1er février 2023

Vous trouverez ci-dessous les sujets apparus de façon chronologique tout au long de la soirée. Les noms annotés ci-dessous sont en lien avec un article Internet qui permet d’avoir accès à plus d’informations (biographie, portraits, portfolio, éditeurs, vidéos, etc.) et quand c’est possible, un résumé ou un synopsis de l’œuvre. Juste pour faire envie …

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« Quartier rouge, le plaisir de la gauche » de Michaël Fœssel : peut-on jouir, dans un monde injuste, sans être complice de l’injustice ? La question se pose aujourd’hui alors que nos plaisirs, qu’ils soient érotiques, alimentaires ou festifs, semblent formatés par le capitalisme contemporain et butent sur des impératifs politiques nouveaux : le refus de la violence patriarcale, la préservation du vivant, les exigences sanitaires. Plutôt que de céder à l’ascèse, ce livre nous invite à redécouvrir la dimension politiquement subversive du plaisir. La gauche n’a aucune raison d’abandonner l’allégresse à la pensée réactionnaire et sa défense de l’« art de vivre à la française » opposé au « moralisme progressiste ». A condition d’être partagé, le plaisir est une émotion qui inscrit dans les corps une issue positive à la catastrophe. Dans cet essai, Michaël Fœssel propose de renouer avec les traditions qui articulent plaisirs et émancipation. Il montre que les expériences politiques prometteuses sont celles d’où la terreur et la honte sont absentes.

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« Le voyant d’Étampes » d’Abel Quentin : universitaire alcoolique et fraîchement retraité, Jean Roscoff se lance dans l’écriture d’un livre pour se remettre en selle : Le Voyant d’Étampes, essai sur un poète américain méconnu qui se tua au volant dans l’Essonne au début des années 60. A priori, pas de quoi déchaîner la critique. Mais si son sujet était piégé ? Abel Quentin raconte la chute d’un anti-héros romantique et cynique, à l’ère des réseaux sociaux et des dérives identitaires. Et dresse, avec un humour délicieusement acide, le portrait d’une génération.

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« Le monde sans fin » de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain : l’album illustré raconte la rencontre et le long dialogue entre ses deux auteurs – Jancovici jouant le rôle du guide, Blain du candide – sur les sujets de l’énergie : usage à travers l’Histoire, essor des énergies fossiles, et de l’impact de l’humanité sur son environnement et en particulier sur le climat. Les nombreuses explications sur ces sujets sont accompagnées de métaphores diverses (Iron Man, Mère Nature, etc.) pour en éclairer la lecture ce qui ouvrit sur le débat de l’autorité d’une part et bien sûr, d’autre part, de la problématique et de notre assujettissement énergétique de notre société contemporaine.

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« Lëd », de Carryl Férey : Norilsk est la ville de Sibérie la plus au nord et la plus polluée au monde. Dans cet univers dantesque où les aurores boréales se succèdent, les températures peuvent descendre sous les 60°C.
Au lendemain d’un ouragan arctique, le cadavre d’un éleveur de rennes émerge des décombres d’un toit d’immeuble, arraché par les éléments. Boris, flic flegmatique banni d’Irkoutsk, est chargé de l’affaire.
Dans cette prison à ciel ouvert, il découvre une jeunesse qui s’épuise à la mine, s’invente des échappatoires, s’évade et aime au mépris du danger. Parce qu’à Norilsk, où la corruption est partout, chacun se surveille.
Et la menace rôde tandis que Boris s’entête…

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« Un privé à Babylone » de Richard Brautigan : San Francisco, 1942. Card est un détective privé dont les affaires ne marchent pas très fort. Et pour cause : au lieu de s’occuper de la sordide histoire de cadavre volé dans laquelle l’a embarqué une femme mystérieuse (et fatale, comme il se doit), ou de trouver une nouvelle secrétaire après que la précédente a claqué la porte, Card passe son temps à rêver. En imagination, le voici qui se transporte dans le temps et l’espace à Babylone, où il devient le fin limier le plus célèbre et adulé de la cité antique. Détournement jubilatoire des codes du polar, portrait hilarant et poignant d’un homme pour qui la vie est littéralement un songe, Un privé à Babylone est l’un des joyaux de l’œuvre de Richard Brautigan, et sans doute l’un des romans les plus personnels de cet écrivain culte, devenu le saint patron littéraire de tous ceux qui tournent le dos au monde pour mieux le réenchanter par la fantaisie et la poésie.

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« Tropique de la violence » de Nathacha Appanah : Moïse est un jeune bébé comorien né avec un œil vert et un œil noir, un « fils du djinn ». Abandonné à Mayotte par sa mère, il est recueilli puis adopté par Marie, une infirmière installée à Mayotte depuis quelques années. Elle l’élève comme un Français, d’abord sans difficulté ; puis vers l’âge de treize ans, il devient hostile à sa mère adoptive et à son mode de vie. Marie meurt d’une rupture d’anévrisme et laisse Moïse seul face à un monde rempli de violence et de misère. Il se retrouve à errer dans les rues d’un bidonville surnommé « Gaza » et tombe sous la coupe d’un chef de gang, Bruce.Dans ce court choral, l’histoire de Moïse est racontée par Marie, Moïse lui-même et Bruce, ainsi que par deux autres personnages, Stéphane, un éducateur et Olivier, un policier.

« Vilnius, Paris, Londres » d’Andreï Kourkov : c’est la fin des gardes-frontière et des contrôles de passeports, un immense espoir pour un pays minuscule: le 21 décembre 2007, à minuit, la Lituanie intègre enfin l’espace Schengen. Comme beaucoup de leurs compatriotes, trois couples se lancent dans la grande aventure européenne. Ingrida et Klaudijus tenteront leur chance à Londres. Barbora et Andrius à Paris. Et si Renata et Vitas restent dans leur petite ferme à Anykšciai, eux aussi espèrent voir souffler jusqu’à l’Est le vent du changement. Mais l’Europe peut-elle tenir ses promesses de liberté et d’union? Estampillés étrangers, bousculés par des habitudes et des langues nouvelles, ces jeunes Lituaniens verront l’eldorado s’éloigner de jour en jour. Kukutis, un vieux sage qui traverse l’Europe à pied, le sait bien, lui: «Peu importe la ville où l’on veut atterrir, c’est le voyage lui-même qui est la vie.» Dans ce roman tour à tour drôle, tendre et mélancolique, Kourkov donne un visage à tous les désenchantés du rêve européen.

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« Ailefroide, altitude 3954 » d’Olivier Bocquet et Jean-Marc Rochetette : de Grenoble à la Bérarde en mobylette. Des rappels tirés sur la façade du Lycée Champollion.Avec l’exaltation pure qui tape aux tempes, quand on bivouaque suspendu sous le ciel criblé d’étoiles, où qu’à seize ans à peine on se lance dans des grandes voies. La Dibona, le pilier Frendo, le Coup de Sabre, la Pierre Alain à la Meije, la Rébuffat au Pavé : le Massif des Écrins tout entier offert comme une terre d’aventure, un royaume, un champ de bataille parfois.Car la montagne réclame aussi son dû et la mort rôde dans les couloirs glacés.Récit initiatique d’un gamin qui se rêvait guide et qui devient dessinateur, Ailefroide est tout à la fois une célébration de l’alpinisme, une déclaration d’amour à la haute montagne et une leçon de vie.

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« Ceux qui trop supportent » d’ Arno Bertina ; « fraternité, expertise, pertinence politique… Voilà ce qui se dégage des combats sociaux lorsqu’ils sont vécus de l’intérieur, et non via ces caméras de télévision indifférentes à la joie des ouvriers se découvrant une voix qui porte. Peut-être ces salariés de La Souterraine m’ont-ils séduit, aussi, car je les ai vus lucides mais courageux, et plein d’allant malgré l’épée de Damoclès qu’ils savaient pendue au-dessus de leur tête. (…) Leur intelligence m’a aimanté. » En 2017, Arno Bertina rencontre des salariés en lutte sur le site de l’usine GM&S (équipementier automobile). Au lieu d’y voir un pur écho à son roman Des châteaux qui brûlent, il va recueillir leurs témoignages quatre années durant, et ainsi rendre hommage à la fierté ouvrière, à leur résistance inventive et obstinée. Ceux qui trop supportent est un récit documentaire nerveux, haletant et d’une humanité poignante ; et « Des châteaux qui brulent » : de la masse qu’on formait autour de lui, « avec lui » pour ainsi dire, une main aurait pu s’extraire sans que personne, ensuite, ne soit en mesure de dire qui était au bout, quel bras et quel visage, et elle l’aurait frappé, lui, et ç’aurait été le déclencheur d’autres coups de poing, la curée, le truc pour se vider sur une victime, le bouc émissaire – que nos blessures et nos misères elles changent de camp. » Des châteaux qui brûlent raconte la séquestration d’un secrétaire d’État par les salariés d’un abattoir placé en liquidation judiciaire. Arno Bertina y fait résonner la parole singulière de toutes les forces en présence – comment elles s’affrontent et libèrent des puissances insoupçonnées. Dans le huis clos de l’usine occupée, chacun se découvre du souffle. Ce roman dit les heurts et bonheurs d’une insurrection aujourd’hui.

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« Le dernier hiver du Cid » de Jérôme Garcin : il y a soixante ans, le 25 novembre 1959, disparaissait Gérard Philipe. Il avait trente-six ans. Juste avant sa mort, ignorant la gravité de son mal, il annotait encore des tragédies grecques, rêvait d’incarner Hamlet et se préparait à devenir, au cinéma, l’Edmond Dantès du Comte de Monte-Cristo. C’est qu’il croyait avoir la vie devant lui. Du dernier été à Ramatuelle au dernier hiver parisien, semaine après semaine, jour après jour, l’acteur le plus accompli de sa génération se préparait, en vérité, à son plus grand rôle, celui d’un éternel jeune homme.

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« Paris » de Yann Moix : « la province fournit Paris en combustibles : je décidai donc de m’y brûler, et pas simplement les ailes. Je n’avais pas d’ailes de toute façon. Je n’avais rien, à part cent francs en poche et la chance, grâce à un gardien de nuit complaisant, de pouvoir dormir dans les travées de la bibliothèque du centre Beaubourg, parmi les livres. Du coup j’ai lu. A l’aube, je quittais les lieux, allant traîner mes drôles de guêtres dans les rues. Je n’avais aucune connaissance, pas vraiment d’amis, zéro petite amie. Je n’avais que moi, la solitude qui pesait sur moi, et ce ciel grand cendre au-dessus de ma tête. Je me nourrissais de grec-frites. J’ai fini par rencontrer des gens. Roger Knobelspiess, ex-lieutenant de Mesrine, m’a prêté un minuscule gourbi. J’ai vécu dans un squat. J’allais bien, je ne me plaignais jamais : j’étais heureux car je savais que vingt-cinq ans était un âge inventé pour cette misère marrante, cette mélancolie spéciale, cette errance pathétique. Je me regardais en train d’être ce que je voulais devenir, ou plutôt, je m’observais en train de devenir ce que je voulais être. Paris, c’était l’édition : j’allais donc tout donner pour faire mon trou, me faire un nom, devenir célèbre – ou finir dans le caniveau, sous la pluie battante, m’enrhumer, et mourir. J’ai surjoué tout ça, avec un zeste de romantisme béat, assez content de ma condition, fier de n’être rien et de vouloir beaucoup. J’ai tapé à des portes. Des gens ont été méchants. J’ai insisté. D’autres ont été gentils.
Paris est une galerie de leurs portraits, mâtinée d’épisodes de galériens. J’ai beaucoup arpenté, beaucoup marché, beaucoup espéré, énormément souffert mais je dois dire que jamais je ne me suis ennuyé. Des instants de tragédie ? Il y en eut ; des scènes de comédie : plus encore. Vous allez me suivre ici en train de réussir et de rater, en train de séduire et d’échouer, en train de m’introduire dans cocktails et de m’y faire éjecter, en train de gagner un peu d’argent et d’en perdre beaucoup, en train de me faire quelques amis et de me fâcher avec eux, en train de rire souvent et de pleurer parfois. En train, surtout, d’oublier en moi le provincial, ce qui est toujours une erreur et mène droit au ridicule. Un Rastignac de plus parmi les pots d’échappements. Des débuts dans la vie ? Non : un commencement dans la carrière. Sauf que je n’ai jamais fait carrière dans quoi que ce soit. Voilà en tout cas, chers amis, comment tout a commencé.
»

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Et pour terminer, fut évoqué le film : « Fuocoammare, par-delà Lampedusa » : Samuele a 12 ans et vit sur une île au milieu de la mer. Il va à l’école, adore tirer et chasser avec sa fronde. Il aime les jeux terrestres, même si tout autour de lui parle de la mer et des hommes, des femmes, des enfants qui tentent de la traverser pour rejoindre son île. Car il n’est pas sur une île comme les autres. Cette île s’appelle Lampedusa et c’est une frontière hautement symbolique de l’Europe, traversée ces 20 dernières années par des milliers de migrants en quête de liberté.

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Bibliographie, les livres non présentés mais dont, discussion faisant, on a fait référence

 « Les rites d’interaction » (1974) d’Erving Goffman : la vie sociale est un théâtre, mais un théâtre particulièrement dangereux. A ne pas marquer la déférence qu’exige son rôle, à se tenir mal, à trop se détacher des autres comédiens, l’acteur, ici, court de grands risques. Celui, d’abord, de perdre la face ; et peut-être même la liberté : les hôpitaux psychiatriques sont là pour accueillir ceux qui s’écartent du texte. Il arrive ainsi que la pièce prenne l’allure d’un drame plein de fatalité et d’action, où l’acteur-acrobate – sportif, flambeur ou criminel – se doit et nous doit de travailler sans filet. Et les spectateurs d’applaudir, puis de retourner à leurs comédies quotidiennes, satisfaits d’avoir vu incarné un instant, resplendissant dans sa rareté, la morale toujours sauve qui les soutient.

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Fred Vargas et son œuvre générale.

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Pour notre prochaine rencontre qui aura lieu le 1er mars prochain, nous proposons de piocher dans votre mémoire les œuvres que vous avez parcourues et qui raisonnent avec la phrase d’Annah Arendt : « Le grand isolement c’est de vous entourer de personnes qui pensent comme vous. » Un lien avec les trans-classes décrits notamment dans l’œuvre d’Annie Ernaux ?

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Vous pouvez avoir accès aux dernières œuvres présentées lors de la soirée littéraire du 4 janvier 2023 et du 7 décembre 2022. Évidemment, rien ne vous empêche de reparler d’une œuvre, bien au contraire.

Bonnes lectures à tous

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