ANALYSE DE DOCUMENT – Le modèle britannique et son influence (XVIIe-XVIIIe siècles)

Cf. : Leçon sur LE MODELE BRITANNIQUE ET SON INFLUENCE (XVIIe-XVIIIe siècles et fiche de méthode de l’ANALYSE DE DOCUMENT(S)

CONSIGNE : A partir des documents et de vos connaissances, montrez que ces auteurs, en prenant exemple sur l’Angleterre, critiquent implicitement le régime politique français.

Documents :

CORRECTION :

Les textes soumis à notre analyse sont deux brefs extraits tirés des Lettres philosophiques (1734) de Voltaire et de L’esprit des lois de Montesquieu (1748). Ces deux auteurs sont considérés comme faisant partie des chefs de file de la philosophie des Lumières, un mouvement intellectuel avant-gardiste européen qui donnera son nom au XVIIIe siècle. Ce siècle est d’ailleurs une période d’opposition entre la France et l’Angleterre, tant géopolitique que politique. Les deux puissances européennes incarnent en effet deux modèles diamétralement opposés.
Nous montrerons qu’en prenant résolument exemple sur l’Angleterre, ces auteurs formulent une critique acérée du système français.

L’Angleterre exerce une attraction sur les philosophes français. Les écrits de Thomas More (L’utopie) ou de John Locke ont connu une diffusion internationale et les événements du XVIIe siècle (régicide de Charles 1er et Glorious Revolution) ont eu un immense retentissement en Europe. Son développement économique rapide fait leur admiration. Voltaire a même séjourné plusieurs années à Londres.
Il insiste sur le rôle de la Chambre des Communes (document 1, ligne 3). Moins prestigieuse que celle des Lords qui forme avec elle le Parlement, elle a davantage de légitimité selon lui (doc. 1, l. 4), car ses représentants sont élus (au suffrage censitaire). Cela exprime le principe politique de la délégation et du parlementarisme (parlementer pour trouver un consensus par des décisions collégiales, généralement par le vote).
En effet, depuis la Glorieuse Révolution et le Bill of Rights (1689), sorte de constitution, les rois d’Angleterre voient leur pouvoir politique limité. Le Parlement détient en fait le pouvoir législatif et vote le budget de l’Etat (dont l’impôt (doc. 1, l. 4), les rois conservant néanmoins le pouvoir exécutif permettant d’appliquer les lois.
Selon nos philosophes, ce système permet l’adoption de lois justes car précises (doc. 2, l. 2 et 3), un impôt pour tous (principe d’égalité fiscale) mais réparti progressivement en fonction de la richesse (doc. 1, l. 5 à 7). Le système judiciaire qui fait appel à des jurés fait lui aussi l’admiration de Montesquieu (l. 4 à 6). Depuis l’Habeas Corpus de 1679, les sujets anglais bénéficient de la sûreté qui les protège contre les jugements arbitraires.
Un roi qui gouverne, des représentants qui légifèrent, des jugements indépendants : la monarchie constitutionnelle et parlementaire anglaise incarne le principe de la séparation des pouvoirs, cher à Montesquieu (L’esprit des lois).

Derrière cette description favorable de l’Angleterre, on devine une critique implicite de la France. Sans jamais la citer, on l’entrevoit derrière la référence aux « Etats despotiques » (doc. 2, l.1) et à l’absolutisme de la monarchie française, qui sert alors de modèle à de nombreux Etats européens, où les rois depuis le XVIe siècle ont conquis et accaparés la plus grande partie des pouvoirs, politique, judiciaire, militaire et économique.
AU XVIIIe siècle, ils ont définitivement domestiqué les grands seigneurs, réduits à faire la cour et dont le conseil féodal a perdu ses attributions au profit de conseils nommés par le souverain. Par l’administration, l’impôt et la guerre, les rois de France imposent leurs prérogatives au Royaume, mises en scène de façon grandiloquente à Versailles.
Le pouvoir des rois, «  de droit divin », sans partage, autorise le souverain à exercer lui-même la justice, de façon la plus « arbitraire » (doc.1, l. 7) grâce aux lettre de cachet qui lui permettent de faire incarcérer n’importe-qui sans motif précis, de rendre et de faire appliquer des jugements à discrétion. Ce système judiciaire injuste se reflète dans la plupart des tribunaux où les juges en dehors de tout cadre légal peuvent laisser libre cours à leurs interprétations personnelles.
Si les philosophes prennent la précaution de ne pas citer explicitement le Royaume de France, c’est précisément parce-que, la liberté d’expression n’y existant pas vraiment (au contraire de l’Angleterre depuis 1695…), toute attaque directe peut y conduire au cachot et à l’échafaud, sur simple lettre de cachet signée par le roi.

Nous avons donc vu comment l’Angleterre s’impose comme un modèle de bon gouvernement aux yeux des philosophes français du XVIIIe siècle, au travers de la délégation, du parlementarisme ou de la justice. La France absolutiste des Bourbons, « despotique » et « arbitraire » fait figure de repoussoir. En 1734, Voltaire publie ses Lettres anglaises popularisant un modèle anglais qui influencera profondément les revendications de la Révolution française (1789-1799).

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