Oeuvre du concours : L’histoire de Nyab Tais

L’histoire de Nyab Tais(1)

      Mô est une petite fille hmong de Guyane. Comme chaque soir, elle attend impatiemment [1]que sa grand-mère vienne lui raconter une histoire. Quand sa mamie arrive, un frisson traverse la colonne vertébrale de Mô. Que va bien pouvoir lui raconter grand-mère ce soir ? Alors, quand elle la voit s’asseoir dans son fauteuil et reprendre sa broderie commencée depuis un mois, elle ne peut s’empêcher de dire :

– Grand-mère vas-tu me raconter une histoire de tigre, une de nos coutumes ou un de nos savoirs ancestraux ?

– Non ma chérie, ce soir je vais te raconter mon histoire.

Illustration de, Solène Le Cardinal

Mô retient son souffle et sa grand-mère commence :

– Je suis née au Laos en 1949, dans un petit village situé près d’une rivière appelée Nam Sam, dans la province d’Houaphan. Mes parents étaient agriculteurs, j’avais trois frères et nous vivions tranquillement et paisiblement. Mais la guerre a éclaté car des communistes voulaient prendre le pouvoir. Les Français qui étaient au Vietnam, nous ont aidés à les combattre. Mes frères se sont engagés dans l’armée. Les communistes ont gagné et mes parents et moi avons été obligés de fuir la mort que nous réservaient nos ennemis. Je n’ai jamais revu mes frères et mes parents me disaient tout le temps qu’ils étaient mort héroïquement. Nous nous sommes d’abord réfugiés en Taïlande dans des camps, avant d’être accueillis en France. Je n’ai plus revu mes amis, mes voisins, ni le reste de ma famille et j’ignore s’ils sont toujours en vie. En arrivant en France, j’avais 19 ans. La France est un pays différent du mien. Un jour d’automne, le président de la République Française, Valery Giscard d’Estaing nous a proposé de nous installer en Guyane Française. Nous devions construire un village et le cultiver avec la promesse que les lopins de terre gagnés sur la forêt amazonienne deviendraient par la force de notre travail, notre propriété. Nous prîmes l’avion et arrivâmes en Guyane en 1977.

Illustration de, Solène Le Cardinal

Nous fûmes chargés de créer un village dans la commune de Roura. Cacao était une colline perdue dans la forêt et je me souviens des grandes discussions des anciens qui disaient que l’on allait tout défricher. Nous fîmes preuve de solidarité pendant tout le temps du défrichage et de la construction des maisons. Les guyanais nous donnèrent des graines pour l’agriculture. Nous avions amené des plans de riz et d’opium avec nous. Le riz est cultivable sur cette terre, mais pas l’opium. Les Guyanais se fournissaient au Surinam en fruits et légumes mais une guerre civile arrêta tout commerce entre les deux pays. Nous eûmes l’intelligence de vendre dès les premières récoltes, le produits de nos cultures. Et depuis ce temps-là nous vendons des fruits et des légumes à tous les Guyanais. Puis un beau jour je me suis mariée avec ton grand-père et nous avons eu ta mère sur le sol guyanais. Comme tu le sais nous avons gardé certaines de nos traditions dont le nouvel an hmong, un événement important célébré à la nouvelle lune noire, où nous portons nos bijoux et nos costumes traditionnels. Nous avons chacun un costume différent en fonction de nos tribus d’origine. La vie des Hmongs s’est améliorée en Guyane, mais je t’avoue que mon village et la rivière Nam Sam me manquent.

(1) « Nyab Tais » veut dire Grand-Mère en Hmong

 Solène

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