LA NOTION DE GENTRIFICATION

Texte de Marianne Pommier

La gentrification, définie dans le Larousse comme une tendance à l’embourgeoisement d’un quartier populaire, fait partie entière des problématiques actuelles de la ville.

Le projet de la tour Occitanie, Illustration DR, © La dépêche

Souvent appelée dans les médias français « boboïsation », il s’agit d’un phénomène urbain, par lequel des quartiers dits « populaires » perdent de leur identité face à l’arrivée de nouveaux habitants, plus aisés financièrement. Ainsi, les aspects sociaux et économiques du quartier s’en trouvent modifiés, ne permettant pas aux habitants « originels » de rester par la suite.

La gentrification pourrait au début s’apparenter à une mixité sociale, permettant de réunir des personnes de diverses catégories socioprofessionnelles. Cependant, de par l’attractivité décuplée du quartier par les nouveaux arrivants, le prix du foncier augmente par pallier, jusqu’à uniformisation des revenus de la nouvelle population.

Ainsi, les premiers arrivants peuvent être des artistes intéressés par la vie d’un quartier populaire. Puis, cette nouvelle visibilité de la zone attire des investisseurs immobiliers, de secteur public ou privé, permettant un nouveau développement économique. Les commerces s’adaptent à cette nouvelle population ayant plus de moyens, devenant inaccessible pour les autres personnes. Par conséquent, on peut observer deux flux principaux de migrations liés à la gentrification : les habitants « originels » du quartier, qui se voient repoussés plus en marge de la ville ; et les nouveaux habitants, qui « prennent leur place » dans le quartier convoité.

En réhabilitant d’anciens domiciles, la question du mal-logement n’est pas pour autant traitée. Chaque réhabilitation destine le logement à une population ayant plus de revenus et ne permet pas de reloger les habitants les plus pauvres. Ainsi, la question de l’insalubrité semble réglée, mais il ne s’agit que d’une relégation loin des regards, où les seuls logements financièrement disponibles pour ces personnes « expulsées » sont ceux présentant les mêmes défauts. Cette migration se fait vers des quartiers plus pauvres, étant souvent plus en périphérie des villes, mettant donc les populations en difficulté encore plus à l’écart des centres urbains.

Les ramblas de Jean Jaurès, Xavier de Fenoyl, © La dépêche

A Toulouse, c’est dans le quartier Marengo que se recoupent les interrogations actuelles sur la gentrification. Les travaux, commencés cette année et rejoignant la vision de Toulouse 2030, doivent apporter au secteur de la gare une nouvelle mixité sociale.

Mais ce renouvellement urbain est vécu par certains habitants avec une crainte, celle d’être évincée du quartier pour laisser place à des catégories socioprofessionnelles plus élevées. Sur le site de la mairie de Toulouse, on peut lire que le projet de Toulouse EuroSudOuest est un tremplin pour la métropole Toulousaine, et que l’objectif serait d’ « étendre le centre-ville de Toulouse pour qu’il soit à la hauteur de son rang de capitale ». Et c’est justement dans ces mots que prend racine l’appréhension de gentrification : étendre le centre-ville, c’est donner la même qualité au quartier Marengo qu’au centre de Toulouse. Et ces qualités, comme dit précédemment, s’accompagnent d’une valorisation du foncier et donc d’une hausse des loyers, conduisant à un début de gentrification.

Ce programme visant à « valoriser les quartiers aux abords de la gare » remet donc en question le public auquel ces travaux sont destinés. Pour qui construit-on des ramblas sur les allées Jean-Jaurès ? A quoi servira le pôle multimodal à Matabiau ? Faisons-nous enfin venir la ligne grande vitesse jusqu’à Toulouse ? Les habitants actuels du quartier Marengo bénéficieront-ils de ces modifications, ou au contraire en seront-ils victimes ?

Pour aller plus loin =>

• http://www.hypergeo.eu/spip.php?article497

• https://www.mediacites.fr/toulouse/enquete-toulouse/2017/11/14/lombre-de-lembourgeoisement-plane-sur-le-futur-quartier-matabiau/

• http://www.gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=1199394

• https://www.toulouse.fr/web/projet-urbain/amenagements-urbains/centre-ville/un-centre-ville-mieux-partage/point-infos-toulouse-centre?p_p_id=101&p_p_lifecycle=0&p_p_state=maximized&p_p_mode=view&_101_struts_action=%2Fasset_publisher%2Fview_content&_101_assetEntryId=323095&_101_type=content&_101_urlTitle=toulouse-eurosudouest-un-projet-strategique-avec-l-arrivee-de-la-l-1&inheritRedirect=false

Retour de conférence gesticulée

Les membres d’Handi’Apt et l’équipe du séminaire (une partie), © NJ

Bien vue ! cette initiative de donner la conférence sous forme de balade dans le quartier de Bordeblanche. Océane et Mélanie nous ont rejoint place des Pradettes à 9h30. Petit problème d’organisation, mais après avoir laissés des consignes à l’accueil et au LRA, nous sommes partis tranquille espérant retrouver quelques auditeurs en route, hélas !

Un petit effectif donc pour cette « conférence gesticulée » qui nous emmena sur le site d’un futur projet d’inclusion. D’ici quelques mois, un ensemble collectif prendra place et accueillera des personnes handicapées, des personnes âgées, et bien portantes. Comment se fera l’inclusion ?

Sur le site de Bordeblanche, © NJ

Nous sommes allés au centre du terrain, entre nature et culture, puisque le but du jeu a été d’ouvrir ses sens à l’écoute des limites et des frontières. Nous avons cherché à délimiter le territoire, à le contourner et à mesurer le degré d’ouverture avec le quartier. De plus, le soleil était au rendez-vous, ce qui ne gâchait rien.

Comme nous étions peu nombreux, nous avons parcouru ensemble ces terres, puis avons envisagé de faire le tour du quartier. Par la rue Pierre Molette, nous avons pris le sens des aiguilles d’une montre, avons marché puis tourné à droite, etc. Un quartier pavillonnaire où d’anciennes toulousaines côtoient des maisons plus récentes, un artisan pâtissier à domicile, parfois une résidence sécurisée, parfois un établissement scolaire (école Germaine Tillon, l’ethnologue), la Dépêche du Midi, la bibliothèque, peu de commerces.

Bilan devant notre nouvel écran interactif, © NJ

De retour dans notre salle, en fin de matinée, Océane a utilisé le tableau blanc interactif pour nous aider à faire le bilan de cette matinée d’observations. En violet nous avons tracé le parcours effectué, en bleu nous voyons les sens d’inclusion, le cercle rouge indique la place des Pradettes, en jaune les voies rapides traversantes…

 

Handi’Apt et les limites de l’inclusion

 

Affiche Ville & Handicap

La démarche pédagogique très innovante qu’initient nos deux intervenantes se fera à partir d’un travail in situ sur le programme de Bordeblanche. En effet, Handi’Apt accompagne un groupement Architectes (David  Weidknnet de IDP) et Promoteurs sur un projet d’habitat intergénérationnel à Bordeblanche (phase concours) – Populations cibles : PSHM/P, personnes âgées et familles.

Une matinée qui s’annonce plutôt créative…

La question et le questionnaire

Quelle est la question ?

En fait, tout peut se résumer à : quelle est LA question que l’on se pose ? Certains étudiants n’ont aucune idée au sujet d’une question à poser. Ce la pose-t-il vraiment ? Il y a des grandes questions, dites fondamentales, que chacun d’entre nous se pose; elles sont parfois trop intimes pour être écrites, mais elles sont là.

C’est ces ou cette question-là qu’il faut arriver à poser, à travers un terrain, un objet d’étude qui n’est finalement qu’un prétexte à LA question. Par exemple, l’image que j’ai placée en haut du billet renvoie-t-elle à une seule question ? Chacun d’entre nous peut en élaborer plusieurs :

• Que fait une canette de bière à cet endroit ?

• Y a-t-il confrontation entre dedans/dehors, habitants/étranger ?

• Dans quel quartier sommes-nous ?

Bref, on peut pousser le questionnement jusqu’à épuisement. Et se questionner à nouveau sur ses propres questions :

• Pourquoi cette canette est-elle intrigante ?

• Comment peut-on en arriver à poser une canette à cet endroit ?

• La canette est-elle vide ?

Pour commencer à répondre à ces questions, nous allons élaborer une méthode. Se renseigner auprès des riverains et des habitants, de l’appartement, de l’immeuble, du quartier. Se renseigner sur la fréquentation de la rue, du quartier, sur la fréquence de cet événement. Provoquer des rencontres et être présent pour observer les lieux, les interactions, les événements de la rue… Au bout de quelques heures nous aurons une réponse à notre question. Mais nous aurons aussi d’autres questions.

En revenant sur l’ouvrage de Bernard Lahire à propos du rêve, il est possible d’admettre que la formulation des questions peut prendre la forme d’une métaphore ou d’une analogie et qu’elle contient en elle la problématique qui nous intéresse. Dans le cas présent, la problématique tourne autour de la question de la fête dans l’espace urbain, sous entendue que l’alcool participe au festif, et qu’il est peu probable qu’une personne boive seule dans la rue devant une fenêtre. La canette indique soit le lieu de l’événement, soit un moment du trajet. On s’intéressera au regroupement dans l’espace urbain, et par cercles concentriques, aux espaces festifs dans la ville (formels et informels). Inévitablement, le rythme circadien sera convoqué pour délimiter les moments de présence du « monde festif » dans la rue. Est-ce un passage ou une étape, d’où à où ? Etc. Il faudra donc revenir le soir, la nuit, et observer ce qu’il se passe.

 

Le terrain et les analogies

Saint Jean de Luz, © NJ 2018

L’enquête de terrain est un moment particulier dans le travail de recherche en sciences sociales. C’est un espace mental comme le définit Patrick Gaboriau, qui se construit à mesure que progresse l’enquête. « Il suppose un décalage du regard qui permet d’étudier ceux qui agissent sans percevoir nécessairement les principes qui organisent leurs agissements » (Gaboriau, 2018, p. 23). Parce que ce qui différencie le chercheur de l’individu lambda c’est cette capacité à objectiver les faits sociaux et à en donner une explication. Cela n’est pas donné d’emblée, et un long travail de mise à distance est nécessaire. « Le rapport au terrain obligera à penser autrement et instaurera peu à peu une manière de percevoir et un mode de pensée » (Gaboriau, 2018, p. 25).

Cela dit, nous pensons souvent par analogie. De la prime enfance à l’âge adulte, notre manière de voir et de comprendre le monde s’organise à travers nos expériences passées et le fonds constitué des relations vécues. « C’est donc parce que les êtres humains sont en mesure d’intérioriser leurs expériences passées sous la forme de schèmes ou de dispositions, et qu’ils sont soumis par ailleurs en permanence à de nouvelles situations, parce qu’ils sont des produits de l’histoire et qu’ils ont une histoire qui se poursuit, que l’analogie est un phénomène central de leur fonctionnement psychique (Lahire, 2018, p. 298). L’analogie est au centre de notre compréhension du monde. « Avec le cerveau et le système nerveux qui les caractérisent, les être humains sont donc naturellement contraints à opérer des rapprochements analogiques entre les expériences passées et les nouvelles situations qu’ils sont amenés à affronter (Lahire, 2018, p. 298).

Livreur de repas et coureur professionnel, Toulouse, © NJ 2018

Voilà à peu près où j’en étais ce matin en lisant ce fameux livre de Bernard Lahire sur L’interprétation sociologique des rêve (La Découverte, 2018). En faisant une analogie avec le séminaire et les étudiants plongés dans leur enquête de terrain, je me suis demandé ce qu’il se passe en situation de terrain lorsque le chercheur est confronté à une expérience originale qu’il ne peut concevoir à partir d’analogies ? Comment faire pour trouver le moyen d’analyser une situation nouvelle sans plonger dans l’angoisse, si l’on n’a pas de repères ?

Laboratoire de Recherche en Architecture, © NJ 2018

La réponse qui s’impose est de se plonger dans les lectures afin de trouver par analogie, une situation comparable à celle vécue. D’où l’intérêt de lire et de relire sans cesse. C’est un peu le principe du soap opera des années 1950 dans lesquels ils étaient toujours questions d’exposer des situations que la ménagère pouvait vivre à son tour.

Ma lecture se poursuivant, je tombe sur cette autre réflexion digne d’enrichir le contexte de la méthode.

« Ce sont donc des schèmes relationnels qui sont en jeu, dans la cure ou dans l’entretien sociologique comme dans n’importe quelle autre relation interpersonnelle » (Lahire, 2018, p. 309). Ce que Bernard Lahire appelle des analogies par transfert et qui montre l’importance de la relation qui se noue lors des entretiens, des observations participantes et autres relations interactives en générale. Cet élément doit être pris en compte et discuté lors de la restitution.

=> Patrick Gaboriau, Le terrain anthropologique, Paris, L’Harmattan, 2018

=> Bernard Lahire, L’interprétation sociologique des rêves, Paris, La Découverte, 2018

Urbanité et franchissement des limites

« Scènes de violence dans le centre-ville de Toulouse le 1er décembre/ photo DDM Michel Viala » © DDM Michel Viala

Qualifiés de « violences urbaines » , les événements de cette fin de semaine interrogent quant à leur violence réelle et à leur emplacement. Le Monde titre « Après les violences du 1er décembre, le gouvernement face à une crise majeure ». Les journalistes sont-ils dépassés et les mots employés, alors que certains parlent déjà d’insurrection ? De quelle « crise majeure » s’agit-il ? D’une crise de la majorité ou bien d’adolescence ? « Selon le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, 378 personnes étaient toujours en garde à vue dimanche soir, dont 33 mineurs » (10%) est-il encore indiqué dans l’article. Y a-t-il un franchissement des limites urbaines, des limites démocratiques et du dépassement des symboles ? Comment peut-on analyser un tel phénomène ?

L’atteinte aux symboles de la république, comme l’atteste les dégradation de l’Arc de Triomphe dépasse les « traditionnelles » atteintes aux biens de personnes anonymes ou collectives, comme les voitures ou le mobilier urbain. Sur France Culture ce matin, il est question de la « crise des gilets jaunes » et du recul des lois concernant la « taxe carbone ». L’environnement est-il au centre du conflit social ou bien seulement un prétexte ? Les « gilets jaunes » n’ont pas de porte-parole, ils ne s’agit pas d’un mouvement syndical ou politique, mais d’un mouvement spontané issu des classes défavorisées, mais également des milieux populistes. Que se passe-t-il ? Voilà à peine un mois, les rues de Toulouse étaient envahies par une foule venue voir « les machines », ces monstres géants qui arpentaient les rues et ce week-end, la foule saccageait la place Jeanne d’Arc. Mais s’agit-il des mêmes personnes ?

« La réalité quotidienne des masses laborieuses » comme l’écrit The Guardian, s’exprime-t-elle autour de la culture française ?

Emmanuel Todd, présenté comme « anthropologue et historien » à la radio, fait autorité en la matière. Il est titulaire d’une thèse d’anthropologie historique soutenue à Cambridge en 1976, et issu de la bourgeoisie éclairée parisienne. Ces méthodes n’ont rien à voir avec celles de l’anthropologie, il n’a jamais fait de terrain au sens exprimé par Patrick Gaboriau. Invité ce matin à la radio, il tente d’expliquer cette « cartographie des colères des français ». Il commente l’État de la France depuis plus de quarante ans. Cet historien et démographe est donc représentatif d’une parole officielle.  Il met en avant le côté culturel des français et de ce qui fait la culture française sur le versant de l’égalité et des valeurs égalitaires, une des spécificités françaises. De par ses traditions, les français seraient capable de franchir les limites imposées par l’État pour montrer l’absence des valeurs égalitaires. « Le mouvement a quelque chose de défensif » dit-il. L’hypothèse serait que la stratification éducative qui se retrouve dans les cartes montrent que les valeurs traditionnelles françaises entre centre et périphérie se sont déplacées, et que les frontières entre les villes de provinces et les grandes villes sont marquées aujourd’hui, notamment en terme d’éducation, par des différences de traitement du point de vue des inégalités, en terme de transport, de service, mais aussi économiques.

Selon lui, l’État ne serait en aucun cas dépassé par les événements, mais au contraire entretiendrait une stratégie pour mieux contrôler à terme la population. « Le gouvernement cherche le chaos pour provoquer cette rupture » dit-il. Pour s’exprimer, il dispose des cartes commandées par RTL et M6 à l’Institut Harris Interactive et donc en connaît les détails. Si comme le prétend RTL 72% des français soutiennent le « mouvement » des Gilets jaunes, en revanche, il ne représentent que 33% des cadres, etc. Nous ne disposons pas de ces informations, mais les services de la préfecture de Paris et lui oui. Nous ne pouvons simplement qu’observer et attendre.

Dans le même temps, le quartier d’Empalot s’embrasait et pas moins de six voitures ont brûlé ce week-end, d’après mon voisin. S’agit-il du même phénomène ou bien un simple mimétisme ? L’urbanité est ainsi attaquée dans ses valeurs et ses limites, ce qui est particulièrement intéressant au titre de notre séminaire. Par urbanité, nous entendons « manière civile des anciens Romains » selon les Trésors de la Langue Française. L’urbanité caractérise ce qui fait la ville par opposition à la campagne. L’urbanité, c’est aussi cette «  politesse fine et délicate, manières dans lesquelles entrent beaucoup d’affabilité naturelle et d’usage du monde. » L’urbanité c’est encore ce qui était mis en avant pour plaire aux automobilistes lors de la campagne de lancement de la sécurité routières, en 2008.

Campagne de publicité de la sécurité routière, 2008

Notons, au passage que tous les automobilistes disposent d’un gilet jaune, par obligation réglementaire du Code de la route depuis le 13 février 2008. C’est un objet commun à tous, que l’on peut voir sur le coin droit à l’avant de certains véhicules depuis quelques semaines. Dans les années 1980, autour du mouvement Solidarno?? les populations polonaises avaient initié le port d’une résistance (composant électronique) au revers de leur veste pour symboliser l’opposition au pouvoir en place. Une sorte de révolte douce. A l’approche de Noël, les opposants au mouvement coiffront-ils les traditionnels bonnets rouge et blanc ?

 

 

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