Comment peut-on être Persan ?

Les Lettres Persanes de Montesquieu s’inscrivent dans un courant littéraire, artistique et esthétique orientaliste. Dans un contexte de baisse des tensions diplomatiques avec l’Empire Ottoman, les cultures du Maghreb et du Moyen-Orient fascinent en Europe de l’Ouest.

Le personnage d’Usbek, dont on lit les impressions sur les habitants de Paris dans notre extrait, est originaire d’Iran (actuel). Il compare l’effet qu’il produit selon la façon dont il se vêtit.
Habillé d’un costume persan, il attire tous les regards, l’intérêt, la bienveillance, les louanges, mais également une forme de violation de son intimité (« je voyais aussitôt cent lorgnettes dressées contre ma figure ») et de négation de son humanité (« comme si j’avais été envoyé du ciel »).
Au contraire, vêtu à l’européenne, il essuie une indifférence quasi-totale. Le seul intérêt que sa personne pourra susciter viendra à nouveau de son exotisme, et le ramènera à la dépréciation de son statut d’Homme (« Comment peut-on être Persan ? »).

Il y a dans les observations d’Usbek une forme d’interrogation quant à ce qui changeait de lui selon ses vêtements. Bien sûr, sa culture, bien qu’elle soit visuellement moins marquée (l’habit étant vecteur d’expression d’un art(isanat), d’une tradition et d’un mode de vie), n’est pas changée ou détruite. Elle devient toutefois une « culture invisible ». Et c’est le regard qui est porté sur elle qui est modifié.
Assez prosaïquement, on pourrait supposer qu’il s’agit simplement des attentes des interlocuteurs qui sont modifiées; on attend de celui qui est différent un discours qui aurait davantage d’intérêt que du discours de celui qui nous ressemble. Toutefois, ici, on comprend que l’attention portée à l’étranger n’est pas seulement celle qui relève d’une volonté d’enrichissement culturel, mais aussi d’une recherche de la mode.

En réalité, l’intérêt pour l’étranger dépend de la place qu’occupe sa culture dans la hiérarchisation que nous en faisons. Le port d’un marqueur culturel ne sera pas perçu de la même façon considérant son origine géographique, nos relations géopolitiques avec son lieu de provenance, etc. Il peut même souvent être davantage objet de crainte que d’attrait.

C’est ce phénomène de hiérarchisation des peuples et de leurs cultures qui justifie également le regard qui est porté sur l’étranger, et sur Usbek. Fut-il d’une autre ethnie, on aurait pu même le regarder comme un animal.

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