Travaux en cours

Contes, dessins et pédagogie. Ou l'inverse.

Il menace un autre résident de la maison de retraite avec un fusil chargé

Il était une fois, au royaume des Peupliers, une maison un peu spéciale. Cette maison n’abritait pas une famille comme la plupart des maisons. Elle abritait des vieux … on dit d’ailleurs plutôt des personnes âgées. Agées d’un certain âge, et même d’un âge certain¸ ces personnes ne pouvaient plus vivre dans leurs propres maisons et leurs familles ne s’occupaient pas d’eux autrement qu’en payant d’autres gens pour le faire. Ou alors, ils n’avaient plus de proches assez familiers pour avoir envie de le faire. Des patrouilles de fonctionnaires formés ad hoc sillonnaient le royaume pour les récupérer et les amener dans cette immense maison, au grand soulagement des voisins qui souvent étaient les premiers à les dénoncer. Le royaume des Peupliers se voulait le royaume des Djeuns.

C’était donc une maison pleine de Vieux. Des femmes, des hommes, surtout des femmes. La guerre avec le royaume de Pins avait décimé une bonne partie de la population masculine et le cancer des poumons causé par l’industrie du charbon de bois avait supprimé bon nombre de mâles survivants. La vie dans cette maison s’organisait donc autour des soins que les vieux nécessitent : les laver, les faire manger, les faire jouer, les poser devant la télévision, leur faire avaler des médicaments et les coucher.

 

Des équipes de « soignants » se relayaient donc pour effectuer ces tâches, sans grande compassion. Ils se seraient occupé d’animaux, à part la télévision, cela n’aurait pas changer grand-chose, il faut bien le dire … C’était comme cela qu’au royaume des Peupliers, on attendait le décès de ces pauvres Vieux et surtout Vieilles comme on l’a dit. Le plus important était qu’ils ne se plaignent pas, d’où les médicaments, ce qui permettaient accessoirement une fin de vie avec moins de souffrances physiques tout en donnant bonne conscience.

Dans cette maison pleine de Vieux, il ne se passait jamais rien, la routine seule occupait sa place et si les départs définitifs rythmaient les semaines, ils n’occasionnaient aucunes grandes manifestations de tristesse puisque personne ne reconnaissait plus personne : chacun des résidents était totalement abruti par les médicaments. Et puis un jour, un jour de juillet me semble-t-il, les fonctionnaires spéciaux amenèrent une petite vieille. Cette petite vieille allait changer la vie au royaume des Peupliers. Laissez-moi vous raconter comment.

Elle s’appelait Nicolette. Et Nicolette était une petite vieille super dynamique qui ne s’était pas vue prendre de l’âge. Dans sa tête, elle avait toujours vingt ans ! Il est peu de dire qu’elle ne comprit rien à rien quand elle se retrouva dans cette maison de Vieux. Elle regardait les autres pensionnaires, résignés qu’ils étaient, laisser la place aux Djeuns, acceptant de vivre leur fin de vie sans saveurs ni plaisirs.

Elle décida donc de se faire passer pour une des « soignantes ». Elle saisit très vite l’effet des médicaments sur le comportement apathique des Vieux et jugea bon de ne pas croire en leur pouvoir de guérison, elle qui n’était pas malade. Tous les soirs, elle recrachait consciencieusement les pilules rouges et jaunes que l’on voulait lui faire avaler. Se cachant de tous et faisant semblant de somnoler la plupart du temps, elle réussit à subtiliser une blouse rose et une charlotte en papier. Elle s’attachait également à découvrir les personnalités enfouies sous les anxiolytiques-sédatifs. Elle avait également identifié les couloirs et les emplacements de chambres de plusieurs pensionnaires.

Elle avait notamment repéré un Vieux dont l’aspect lui plaisait particulièrement et elle se demandait ce qu’il aurait à raconter s’il n’était pas sous l’emprise des médicaments administrés.  Une nuit, profitant de la pénombre des couloirs et déguisée dans les habits subtilisés, elle se glissa dans sa chambre. Le secouant légèrement, elle finit par le réveiller. Il grommela et ouvrit grand la bouche, attendant sa potion. Surpris que rien n’atteigne sa bouche, il ouvrit enfin les yeux et se retrouva devant une petite figure simiesque coiffée de la charlotte réglementaire.

Nicolette, sans se démonter, lui expliqua qu’il était possible de ne pas se laisser abrutir et que, malgré leur grand âge, ils pouvaient encore espérer des années de bonheur. Oh, peut-être pas d’immenses bonheurs mais au moins des petits bonheurs au fil des jours. La dictature des Djeuns devait être abolie pour leur permettre de retrouver une certaine joie de vivre plutôt que d’en attendre la fin !  Le Vieux s’était redressé dans son lit et il considérait la petite bonne femme en écarquillant les yeux. Celle-ci lui laissa le temps de retrouver ses esprits en allant s’asseoir au bout du lit.

Bon sang de bonsoir, bien sûr qu’elle avait raison ! Comment avait-il pu se laisser convaincre par tous ces tyrans qu’un vieux n’est plus bon qu’à se laisser mourir en avalant des cachets pour ne pas y penser ? Ce monde de Djeuns fabriqué par des médias toujours prêts à donner des recettes pour « rester jeune », à vilipender ceux qui tardaient à entrer dans les maisons de Vieux, à servir leur propagande sans s’imaginer qu’un jour leur place serait revendiquée par des plus jeunes qu’eux … il était grand temps de réagir.

Les deux complices, entrant dans la Résistance décidèrent de rallier discrètement le plus possible de pensionnaires à leur cause. Au bout de quelques jours, ou plutôt quelques nuits, la petite armée de rebelles ne comptait pas moins d’une vingtaine de personnes, et les toilettes absorbaient maintenant les pilules de ces réfractaires. Restait à imaginer des actions qui permettrait de reprendre du pouvoir sur leurs vies.

 

Forts de leur nombre grandissant, ils squattèrent la salle à manger hors des heures de repas, prétendant avoir trop bien mangé pour en bouger. Quelques-uns commencèrent à apporter des jeux, des livres, des revues et la salle à manger devint insidieusement une salle de vie. Les regards se firent plus clairs même masqués sous des paupières tombantes. Les « soignants » ne s’en aperçurent que trop tard et ne purent réagir assez vite. Il faut dire que ces gens commençaient aussi à y trouver leur compte. Moins de travail avec ces vieux qui se lavaient et mangeaient tout seuls. S’installa alors une sorte de statut quo : vous ne créez pas de problème et on vous laisse la salle à manger.

Tous les Vieux n’étaient cependant pas d’accord avec cette nouvelle façon de vivre dans leur maison. En particulier, le vieux Maurice. Celui-ci avait apporté en douce de chez lui son vieux tromblon datant de la guerre avec le royaume des Pins. Tous ses proches avaient disparu et cette nouvelle joie de vivre l’indisposait plus que de le dire. Il n’aspirait qu’à une fin de vie dans les vapeurs des cachets et lorsque Nicolette et son compère pénétrèrent une nuit dans a chambre, ils se trouvèrent face à la gueule du fusil d’un autre temps. Nicolette eut juste le temps de plonger sous le lit sans prendre garde à ses rhumatismes, ce qu’elle paya fort cher pendant la semaine suivante. Quant à son compère, retrouvant des réflexes oubliés, il parvint à détourner le terrible engin dont le coup partit se perdre dans la nuit au travers de la fenêtre, heureusement ouverte par ces temps cléments.

Le boucan produit par le fusil réveilla toutes les pensionnaires, sauf peut-être quelques-unes qui avec l’âge, avaient perdu une bonne partie de leur audition. Tout ce petit monde se précipita dans la chambre et Nicolette eut juste le temps de cacher la blouse empruntée ainsi que la charlotte sous ses propres vêtements. Le vieux Maurice se débattait en criant qu’il avait eu peur d’une agression et qu’il ne faisait que se défendre. Il prononça quelques excuses envers les personnes présentes et celles-ci eurent le bon goût de les accepter. Quand même honteux à l’idée qu’il aurait pu gravement blesser Nicolette et son complice, il devint l’un de leur plus fervent supporter et retrouva ainsi goût à la vie.

Les soignants étaient de plus en plus charmés par les histoires racontées par les pensionnaires, par leurs esprits maintenant réveillés qui leur permettaient des occupations jusque-là prohibées. Les mamies tricotaient à nouveau ou bien elles fabriquaient de ravissants carnets décorés qui vendus à l’extérieur rapportaient quelques sous. Cela améliorait l’ordinaire de tous. Les papys n’avaient jamais vraiment eu l‘habitude de s’occuper mais certains se rappelaient maintenant des gestes simples de bricolage, ce qui permettait de faire quelques économies. Les médicaments n’étaient plus réservés qu’au traitement de la douleur et des maladies.

 

Mais Nicolette et son compère de la première heure ne voulaient pas s’en tenir là. Leur objectif était de changer la maison de Vieux pour changer la société, ou bien était-ce l’inverse ! Il leur fallait trouver le moyen d’alerter les générations futures de vieux, qu’ils ne se laissent pas enfermer dans ces mouroirs. Une des soignantes eût une idée de génie : il fallait passer par les « Résocios[1] ». Les pensionnaires découvrirent ainsi les joies de la communication virtuelle et purent alerter les Djeuns de la vie qui les attendaient après …

Une réelle prise de conscience secoua alors le royaume des Peupliers. Le roi, jeune homme qui avait reçu la couronne à la mort prématurée de son père, se rendit à la maison des Vieux pour se rendre compte de lui-même. Comprenant enfin les conditions de vie, ou plutôt de mort lente, de ses propres sujets, il tint à orner la poitrine menue de Nicolette de l’Ordre Royal du Coquelicot, plus haute décoration civile du royaume. Une nouvelle vie commença pour tout le royaume où chacun pût enfin trouver une vraie place selon sa propre volonté.

 

Anne-Marie, 22 janvier 2017

Suite à l’atelier d’écriture des Rencontres du CRAP de 2016, je me suis prise au jeu d’écrire un conte à partir d’un titre de faits divers, sans aucun rapport avec l’article en question d’ailleurs … Pour ceux qui seraient intéressés, voici le lien : http://www.nordeclair.fr/6127/article/2016-10-27/roubaix-il-menace-un-autre-resident-de-la-maison-de-retraite-avec-un-fusil

 

[1] Emprunt à Philippe qui se reconnaitra peut-être un jour … bises.

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