Travaux en cours

Contes, dessins et pédagogie. Ou l'inverse.

Charlie et la fée

Il était une fois au pays des Hêtres, un petit garçon dont le prénom était Jean-Charles. Mais tout le monde l’appelait Charlie. Charlie avait tout pour être heureux : une famille aimante, des jouets, de bonnes notes à l’école, des copains du foot et d’ailleurs. Mais Charlie n’était pas heureux : il avait de grandes oreilles. Sa mère essayait bien de le rassurer mais, c’était sa mère … Son père essayait bien de le rassurer mais, c’était son père … Lui, il entendait les commentaires rieurs derrière son dos et parfois même face à lui. Oh, rien de bien méchant direz-vous, mais à force, ça blesse et ça fait mal. Parfois, quand le vase débordait, il essayait de faire rentrer ces vilénies dans la gorge du moqueur à l’aide de ses poings mais, cela ne résolvait en rien le problème. Alors, Charlie se cachait pour pleurer un petit peu.

C’est ce qui attira l’attention d’Elfie. Elfie était la dernière-née d’une fratrie – ou peut-on dire sœurie ? – de fées. Ses sœurs avaient déjà expérimenté tous les gestes des fées. Elles avaient lancé des sorts, alloué des dons à des bébés et réalisé les vœux de dizaines de personnes méritantes. Elles raillaient un peu cette petite sœur, arrivée bien après elles, de vouloir à tout prix effectuer une action tout à fait inédite. Sans se désespérer, ce n’était pas son genre, Elfie cherchait encore et encore ce qu’elle pourrait bien faire pour devenir une fée accomplie. Un jour, ou était-ce plutôt une fin de journée quand le ciel s’assombrit, elle entendit des pleurs étouffés provenant d’un endroit difficilement accessible. C’est là que se cachait Charlie quand les larmes débordaient de ses yeux. Après force escalades et reptations en tous genres, elle parvint au réduit où se trouvait le petit garçon.

« Bonjour » lui dit-elle, un peu essoufflée. Charlie leva ses yeux embrumés vers elle, surpris. Tout à son chagrin, il ne l’avait pas entendue arriver. Embarrassé par ses larmes, il ne savait pas trop comment réagir à cette intrusion. Il attendit. Elfie regardait autour d’elle. « Tu as trouvé un bel endroit pour venir méditer. » reprit-elle. « Je me nomme Elfie et toi tu dois être Charlie, n’est-ce pas ? » Le petit garçon, interloqué, ne sut que hocher la tête. « Tu te demandes comment je connais ton surnom ? C’est que je suis une fée, enfin pour tout dire une apprentie-fée. Je suis sûre que je vais réussir à t’aider. Vois-tu, je ne suis pas comme mes sœurs, elles sont déjà des fées aux pouvoirs confirmés mais je sens monter en moi un flot de facultés que je n’ai jamais ressenties auparavant. Ce doit être le signe que je suis enfin prête à accomplir mon destin. Si tu l’acceptes,  nous pouvons faire l’essai de mes dons ensemble. » Elfie, toute à la pensée d’avoir enfin trouvé de quoi exercer ses talents naissants, n’en finissait plus de babiller.

Charlie ouvrait des yeux grands comme des soucoupes. Il n’était pas sûr d’avoir bien saisi le discours de la fille. Alors qu’elle lui demandait ce qui lui causait chagrin, il se dit qu’elle n’était pas bien maline pour une fée, si elle n’avait pas remarqué ses grandes oreilles ! « T’as pas vu ce qui me sert d’oreilles, peut-être ? » rétorqua-t-il peu amène. La jeune fille se sentit déstabilisée par cette réponse hargneuse, elle qui offrait son don, mais également parce ce qu’elle avait imaginé un problème autrement dramatique. Si elle avait pu choisir, elle aurait préféré s’essayer à la magie des fées sur une situation plus tragique. Bon, elle qui cherchait depuis si longtemps quelqu’un à aider, elle n’allait pas faire la fine bouche maintenant. D’ailleurs, si ce petit bonhomme se cachait pour en pleurer c’est bien, qu’au moins pour lui, cette affaire était sérieusement cruelle. Restait à savoir ce qu’elle pouvait lui proposer …

Il ne rentrait pas dans ses pouvoirs de transformer physiquement quelque partie du corps. Elle pouvait certes lui faire voir des oreilles moins grandes quand il se regarderait dans une glace mais cela ne supprimerait pas les moqueries. Elle pouvait jeter un sort aux moqueurs mais combien et qui étaient-ils ? De plus, il y aurait toujours le risque qu’un nouvel arrivant le replonge dans ses souffrances. Alors que faire ?

Pendant qu’elle réfléchissait, Charlie s’était quelque peu ressaisi. Voilà déjà quelqu’un qui ne faisait pas de plaisanteries douteuses sur ses oreilles et qui semblait même essayer de l’aider. Il ne croyait pas un mot, bien sûr, de ce qu’elle avait raconté, les filles, c’est bien connu, inventent sans cesse des histoires et prennent les petits garçons pour des poupées sur lesquelles s’exercer dans leurs fonctions de futures mères, il l’avait bien remarqué ! Jamais en retard, comme tant d’autres, pour des remarques sexistes, il se disait que celle-ci devait être en manque de Barbie  … Mais, tant qu’elle ne se moquait pas ! Elle lui changeait les idées et cela ne coûtait rien de voir jusqu’où elle voudrait l’entrainer. Il ne se doutait pas de ce qui allait arriver …

Elfie avait enfin trouvé une idée qui lui semblait géniale. Elle se rappelait parfaitement du dessin animé Dumbo, l’éléphanteau aux si grandes oreilles qu’elles lui permettent de voler. Elle allait lui donner le pouvoir de faire de même. Elle l’emmena donc en haut du bâtiment et lui demanda de lui faire confiance, ce que Charlie accepta du bout des lèvres. Bien sûr qu’il connaissait l’histoire de Dumbo, le prenait-elle pour un analphabète comme ses pieds ? « Quoi, me jeter dans le vide ? » s’exclama-t-il quand il comprit, stupéfait, la proposition de la soi-disant fée. « Oui, tu peux me faire confiance … » répéta-t-elle l’air assuré, alors qu’elle n’en menait pas large. « Comme Kaa … » murmura-t-il dans son absence de barbe. « Allez, vas-y ; tu sais bien que Dumbo est devenu une vedette ensuite ! » N’étant quand même pas si insouciante, elle avait fait bien attention de le placer à la verticale d’un tas de vieux cartons. Respirant un bon coup, le petit s’élança pendant qu’Elfie prononçait les paroles magiques permettant aux grandes oreilles de battre comme les ailes des oiseaux.

Ce qui se passa alors reste un mystère dans le monde des fées. Est-ce parce que les incantations n’étaient pas les bonnes ? Est-ce parce que le temps n’était pas encore venu pour Elfie de devenir une fée accomplie ? Est-ce parce que les oreilles de Charlie n’étaient tout de même pas assez grandes ? Toujours est-il que le malheureux s’écrasa lamentablement dans le tas de vieux cartons. Encore heureux qu’elle y avait veillé ! Charlie éprouva de grandes difficultés à s’extraire de l’amas écrabouillé, tout endolori qu’il était après cette chute digne des meilleurs cascadeurs d’Hollywood. « Espèce de fée de pacotille ! » lui asséna-t-il alors qu’elle le rejoignait, penaude.

Elfie ne s’avouait pas vaincue pour autant. « Attends, ne t’en vas pas, nous allons essayer autre chose … » l’implora-t-elle. « Comment cela, autre chose ? Tu veux ébouillanter mes oreilles, me pendre par les pieds jusqu’à ce qu’elles tombent, les découper avec un couteau de boucher ? Tu es pire que ceux qui se moquent, au moins ils ne cherchent pas à me détruire ! » Charlie ne décolérait pas. Cette fille était dangereuse, fée ou pas. « Attends, je pense à quelque chose sans danger pour toi, je te le jure. » Charlie, indécis maintenant, la laissa parler, sans doute du fait de sa bonne éducation.

Elle le prit par la main et l’entraina au pas de course vers une autre partie de la ville. Charlie était trop occupé à trottiner de manière à rester à ses côtés pour protester. Elle le fit se faufiler par une entrée dérobée dans ce qui se révéla être le théâtre municipal. « Chut, écoute ! » lui intima-telle alors qu’il voulait protester. Ils étaient arrivés juste au moment où Cyrano proclame sa fameuse tirade du nez. Tapi dans l’avant-scène, Charlie ne quittait pas l’acteur du regard, subjugué. A la fin, il se tourna vers Elfie en arborant un large sourire et lui dit : « Je ne sais pas si tu es une vraie fée mais pour moi, tu le seras toujours. J’ai compris … »

Et c’est ainsi que Charlie accepta ses oreilles pour ce qu’elles étaient : des oreilles qui remplissaient merveilleusement bien leur fonction d’oreilles. Comme il les acceptait maintenant, les moqueries cessèrent petit à petit et finirent par disparaitre. La vie de Charlie avait changé du tout au tout grâce à Elfie.

Quant à elle, plusieurs années plus tard, elle se demandait encore ce qui lui avait pris de raconter ces fadaises d’histoires de fées à ce petit garçon si triste à cause de ses oreilles. Elle avait failli le tuer avec ses bêtises, mais heureusement, elle s’était rappelée de la pièce donnée en cette fin d’après-midi au théâtre municipal. Elle reverrait toute sa vie le beau sourire qu’il lui avait retourné et même si elle ne l’a plus jamais rencontré, il est resté dans un coin de sa mémoire, là où sont rangés les souvenirs honteux où se mêlent une sorte de fierté.

Anne-Marie

Granville, le 2 janvier 2019

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