Travaux en cours

Contes, dessins et pédagogie. Ou l'inverse.

L’inventeur aux ailes d’or

Il était une fois, au pays des bulots, une femme prénommée Anne-Marie. Elle était grande, blonde et ses yeux bleus posaient sur la vie un regard serein. C’était une belle femme comme il en est au pays des bulots. Elle vivait avec son mari, pêcheur de bulots, ses deux grands garçons et son petit chien, pas très loin de l’usine dans laquelle elle travaillait, l’usine de biscottes. Tous les jours de la semaine, elle enfourchait son vélomoteur vers les cinq heures du matin en s’en allait gagner de quoi faire vivre sa famille, qu’il fasse beau ou qu’il vente et pleuve comme souvent au pays des bulots. Cela ne l’empêchait pas d’illuminer la journée de qui la croisait de son grand et lumineux sourire.

Ce sourire, elle le garda malgré sa frayeur, quand un après-midi qu’elle était seule chez elle, elle entendit un grand bruit venant de le ruelle bordant sa maison. Intriguée, elle arriva bientôt à la porte d’entrée et l’entrouvrant, elle jeta un coup d’œil dehors. Un gros nuage de poussière l’empêcha tout d’abord de voir quoi que ce soit. Et petit à petit, une tête émergea en toussant sous les cris moqueurs de goélands. Les yeux écarquillés, elle observait l’apparition. « Vous êtes tombé ? Vous êtes blessé ? » lui dit-elle. Le jeune homme s’épousseta en secouant négativement la tête. Le nuage retombait à terre et elle aperçut avec stupeur les bouts d’ailes dorées qui dépassaient de derrière les épaules de son vis-à-vis. Celui-ci, remarquant son étonnement, leva les bras au ciel et s’excusa : « Désolé si je vous ai fait peur. Je crois que mes ailes ne sont pas encore au point. Heureusement que je ne volai pas trop haut … je ne me suis pas fait mal, merci. » Il s’essuya les mains sur ses pantalons et se présenta. Elle comprit qu’il était inventeur, qu’il se nommait Joanes mais elle avait beaucoup de mal à suivre son propos, tellement intriguée qu’elle était par ces ailes.

Mettant précipitamment ses mains derrière son dos pour s’empêcher d’y toucher, elle évita de poser toutes les questions qui lui venaient. Elle s’obligea à l’écouter. Elle entendit qu’il essayait de mettre au point des ailes de son invention. Il les testait mais elles manquaient encore de fiabilité, sans doute lestées par l’or qui les recouvrait. « Oh ! La mécanique est bonne mais il faut que j’augmente encore la puissance énergétique du mini-moteur pour qu’il compense la masse de la couche de métal, voyez-vous cela n’est pas comparable aux plumes de ces goélands ! ». Ces derniers ricanèrent à ces mots. Il s’adressait maintenant à eux : « Oui, je sais qu’il a fallu des milliers d’années d’évolution pour que vous soyez dotés de vos merveilleuses ailes mais je vais y arriver ! Vous n’imaginez pas tout ce que l’électronique peut faire ! » Ce qui calma un peu les hurlements des oiseaux. Anne-Marie était de plus en plus stupéfaite : « Ils vous comprennent ? » Joanes répondit qu’à force de les côtoyer dans les airs, il avait fini par faire connaissance avec quelques-uns d’entre eux et que ceux-ci ne manquaient jamais une de ses sorties.

Elle proposa à l’inventeur de se rafraichir chez elle et au moment de repartir, il lui communiqua son adresse en lui disant qu’elle serait toujours la bienvenue à son atelier.

Anne-Marie poursuivit alors sa vie au pays des bulots entre son mari, ses deux grands garçons et son petit chien. Elle continua à sourire à la vie même le jour où elle apprit qu’elle devait subir une opération chirurgicale pour empêcher un vilain crabe de grignoter son corps de l‘intérieur. « Puisqu’il le faut … » se disait-elle. L’opération se fit et elle retourna chez elle privée de son sein droit. Elle se posait beaucoup de questions sur sa vie de femme privée de son sein droit. Son merveilleux sourire apparaissait moins sur ses lèvres. Elle allait voir des spécialistes, médecins de femmes, médecins du vilain crabe, médecins de la tête. Rien n’y faisait, la mélancolie la gagnait jusqu’à ne plus vouloir sortir de chez elle. Sa famille ne savait pas trop comment la soutenir dans cette épreuve. Mais un jour que son fils cadet Éric l’aidait à ranger la commode de sa chambre, il trouva un petit papier où était noté le prénom Joanes et une adresse. Il demanda à sa mère ce qu’il devait en faire. Il vit alors dans son regard une lueur qui en avait disparu ces derniers temps. Sa mère lui prit vivement le papier des mains en grommelant. Mais il avait pu mémoriser l’adresse et dès qu’il le put, il laissa un mot pour son père, emprunta le vélomoteur de sa mère et parcourut sans s’arrêter la grande distance qui le séparait de l’atelier de ce Joanes.

Il arriva le soir venu. L’atelier était encore baigné de lumière. Bien qu’ayant eu tout le temps pour l’imaginer durant le long trajet, il entra ne sachant pas trop comment présenter l’affaire. À son grand soulagement, il fut accueilli par : « Bonjour. Entrez, je vous en prie. Vous venez de la part de votre mère ? Ne soyez pas surpris vous lui ressemblez tellement ! » Un peu gêné par le côté sans doute incongru de sa démarche, guidé seulement par la lueur qu’il avait vu dans les yeux de sa mère, Éric raconta. Il termina en demandant à Joanes s’il pouvait faire quelque chose pour elle. Celui-ci se grattait la tête machinalement, signe d’une intense réflexion. Tout à coup, il se précipita vers son ordinateur portable et tapa fougueusement quelques mots. « Ah ! s’exclama-t-il. C’est bien ce que je pensai. Il existe un pays où votre mère pourrait reprendre goût à la vie. Mais, c’est trop tard pour cette nuit, je verrais demain matin. » Et il proposa à Éric de ne pas reprendre la route de nuit mais de rester dormir chez lui. Il en profita pour lui expliquer comment il avait fait la connaissance de sa mère. Il lui montra également les nouvelles paires d’ailes qui étaient maintenant bien au point.

Le lendemain matin, ils s’apprêtaient à partir chacun de leur côté, l‘un en poussant le vélomoteur pour le faire démarrer, l’autre en enfilant ses ailes dorées, quand Joanes rentra précipitamment dans l’atelier. Il en ressortit presque aussitôt portant une seconde paire d’ailes. « Allez, on y va ! » dit-il à Éric. Il décolla dans un doux ronronnement qui attira près de lui une demi-douzaine de goélands. L’un sur la route, les autres dans les airs, ils arrivèrent devant la maison d’Anne-Marie. Dans le silence devenu habituel, auquel même les goélands n’osaient pas déroger, ils avancèrent de concert et trouvèrent la maitresse de maison avachie sur la table devant son bol de café. Elle leva vers eux un regard éteint.

« Anne-Marie, j’ai une surprise pour vous. » annonça Joanes. Interloquée, elle regardait alternativement l’un et l’autre. « Votre fils a eu la très bonne idée de venir me trouver et je pense que je peux vous proposer quelque chose. » et il lui expliqua doucement ce qu’il avait imaginé. Elle ne réagit que très mollement sans dire oui, sans dire non … Ils attendirent tranquillement le retour de son époux Daniel et de leur aîné, partis en mer. Ceux-ci eurent du mal à accepter la proposition qui n’était pas sans dangers mais Éric avait maintenant tant confiance dans le jeune inventeur qu’ils finirent par acquiescer.

Joanes compris qu’il lui faudrait brusquer un peu la femme flétrie qu’Anne-Marie était devenue, et lui posa sans trop d’égards la deuxième paire d’ailes sur les épaules. Daniel l’aida à les enfiler correctement sans qu’elle n’ait de réaction. Elle écouta sans rien dire les ordres du jeune inventeur et décolla en même temps que lui, agitant les ailes dorées qui l’avaient tant intriguée naguère.

En compagnie des goélands qui ne voulaient pas rater ça, ils volèrent pendant un bon moment. Petit à petit, les joues d’Anne-Marie reprenaient des couleurs, le bleu de ses yeux devenait plus vif et elle se mit à écouter les histoires que racontait Joanes. Ils arrivèrent au pays des steppes et le jeune homme expliqua que c’était le but de leur voyage.

Ils atterrirent près de yourtes en peaux de yack. De la fumée en sortait par le sommet. Quelques enfants jouaient aux alentours, surveillés par des femmes à la peau brunie au soleil et aux longs cheveux noirs ramassés en chignons lâches. Des troupeaux de petits chevaux paissaient un peu plus loin. D’autres femmes sortirent des habitations et tournèrent autour d’eux en poussant de petits cris de stupéfaction.

L’une d’elles prit la parole dans la langue que parlait les deux voyageurs. Elle leur posa mille questions et aux réponses de Joanes saisit ce qui les amenaient, si loin de chez eux. Elle expliqua ensuite à ses compagnes de quoi il retournait et celles-ci regardèrent Anne-Marie en souriant largement. Elles l’emmenèrent dans une yourte, la firent s’asseoir parmi elles, lui proposèrent de boire du lait et, à sa grande surprise, baissèrent le haut de leur vêtement en disant « Nous sommes les Amazones. » Elles avaient toutes une cicatrice à la place de leur sein droit !

La première femme qui avait accueilli Anne-Marie expliqua que leur peuple était composé de femmes et que depuis la nuit des temps, pour survivre, elles se coupaient le sein droit afin de chasser et se défendre à l’aide de leurs arcs. Elles lui montrèrent les sachets remplis d’herbes sèches cousus dans le haut de leur corsage pour remplacer l’absent. Elles lui proposèrent de rester parmi elles le temps de comprendre comment elles vivaient ainsi. Ce qu’Anne-Marie accepta, tellement elle était intriguée par ces femmes mythiques dont elle croyait le peuple disparu. Les goélands partirent vers des mers accueillantes. Joanes l’attendrait dans la ville voisine, trouvant à s’occuper en rendant service comme il le pourrait. Les amazones fabriquèrent un petit sachet d’herbes spécialement pour elle.

Les herbes odorantes contribuèrent à apaiser la colère qu’elle ne se soupçonnait pas d’éprouver. Elle apprit à chevaucher les fiers petits chevaux, les takhs, descendants directs des chevaux préhistoriques, laissant sa chevelure blonde flotter derrière elle au plus grand plaisir des enfants pour qui l’image était inhabituelle. Elle apprit aussi à se servir de l’arc. Elle participait à la vie de cette communauté, aidant du mieux qu’elle pouvait, réapprenant à vivre, à sourire.

Le jour où elle réussit à planter un flèche au cœur de la cible alors qu’elle menait le cheval au grand galop, elle comprit qu’elle pouvait maintenant retourner chez elle, retrouver sa vie. Elle demanda qu’on fasse prévenir Joanes.

Le moment du départ arriva. Les adieux furent touchants. En pleurs, Anne-Marie dit sa gratitude mais les amazones étaient fières de lui avoir permis de se retrouver. Elle enfila ses ailes dorées et, au signal de Joanes, décolla gracieusement en faisant de grands signes. Le voyage du retour passa relativement vite tellement elle avait de choses à raconter. Ils arrivèrent au pays des bulots accompagnés par les goélands qui avaient fini par les rejoindre.

Leur approche fit sensation. Daniel et ses fils, l’attendaient sur le pas de la porte, anxieux. Le beau sourire retrouvé leur indiqua qu’ils pouvaient espérer le meilleur pour elle, pour eux. Les cris des goélands, qui avaient eux aussi beaucoup à dire, les empêchèrent un peu de se comprendre mais les rires et les embrassades se passent de mots, n’est-ce pas ? Les voisins attirés par la liesse se joignirent aux remerciements envers Joanes. Un journaliste qui passait par là, se fit raconter l’histoire. Sans parler d’eux, au grand soulagement de la petite famille, il publia un article vantant l’ingénieux système d’ailes dorées. Ce qui permis à Joanes de connaitre un franc succès et je sais que quand vous le verrez passer dans les airs avec ses ailes dorées, vous aurez une petite pensée pour le beau sourire retrouvé d’Anne-Marie.

Pour Anne-Marie qui s’est envolée avec ses ailes dorées un jour de mai.

Une autre Anne-Marie, Bois d’Arcy le 8 juillet 2018

 

 

 

 

 

posted by anniedim in Les contes d'Anne-Marie and have No Comments

No comments

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

buy windows 11 pro test ediyorum