Aspects du Baroque: corrigé des questions sur un corpus

Textes:

Ronsard, Derniers vers, 1586,  « Je n’ai plus que les os… »

Jean de Sponde, Sonnets sur la mort, 1588, « Mais si faut-il mourir »

Pierre Matthieu, Tablettes de la vie et de la mort, 1613, »Nous naissons pour mourir »

Vanités contemporaines: Le jardin des tarots, Niki de Saint Phalle


Les quatre poèmes proposés relèvent bien du genre de la vanité:

1) Importance des images dans chacun des textes: « Squelette » dans le poème de Ronsard, ; multiplication des images symboliques chez Sponde: « fleurs  » , « ampoule  » , « flambeau  » , voire tout simplement « tableau » (mise en abyme et ironie: même un tableau représentant une vanité n’échappe pas au temps!). Equivalences mises en évidence par le texte de’Matthieu: « la vie est une table  » , « le monde est une mer  » , « la vie est une toile  » .

2)  Inéluctabilité de la mort: verbes d’obligation: « Mais si faut-il mourir  » , début et fin du poème de Sponde; multiplication des vérités générales dans le poème de Matthieu: « nous naissons pour mourir « , « La mort tire tout  » ; emploi du futur simple ou proche qui insiste sur le cours inexorable du temps: « Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble  » , (Ronsard), « sentira » , « hâleront  » , « crevera  » , « éteindra « , « ternira  » .

3) Dépréciation de la vie humaine: vivre n’est que perte, et lente destruction: le poème de Ronsard multiplie les privatifs: « décharné, dénervé, dépoulpé  » , « déassemble  » , « dépouillé » et Sponde va dans le même sens: « éteindra » , « ternira  » , « se rompront  » , « fondre  » . Quant à Matthieu, il compare l’homme à « un forçat« , ce qui assimile la vie à la prison. Cette dépréciation s’attaque également à tout ce qui peut être jugé d’intérêt. On retrouve là le sens premier des « vanités »:  vanité du pouvoir: « ces lions rugissants je les ai vus sans rage  » , chez Sponde, vanité des sentiments pour Matthieu: « L’amour fait de son reste et tremble  » .

4) Cependant chacun de ces textes propose une issue par le biais de la religion qui offre une autre vie: Ronsard évoque le Christ, une vie après la mort où ne subsiste plus que l’esprit, et en affirmant par ailleurs « Je m’en vay le premier vous préparer la place », il suggère de possibles retrouvailles au delà de la mort. Sponde, quant à lui, fait une allusion au Ciel, dont il envisage surtout la colère. Il renvoie plus à l’idée de jugement divin et la tonalité du poème est de fait beaucoup plus menaçante. Il s’agit de mettre en garde les hommes contre tout orgueil malvenu. Quant à Pierre Matthieu, il exhorte à ne pas craindre la mort dans la mesure où elle est justement la voie vers l’éternité. Là encore, la dimension religieuse est prépondérante.

2) Ces poèmes relèvent-ils tous les trois d’une esthétique baroque? Justifiez votre réponse.

Le mouvement baroque se caractérise par le mouvement, la profusion, la théâtralité. L’esthétique baroque va rechercher tous les moyens qui mettent en oeuvre ces éléments. Pour ce faire, les écrivains multiplient les procédés littéraires (on est déjà dans l’ornementation, voire la surcharge décorative). Citons en particulier:

1) Le goût des images: métaphores et comparaisons se multiplient dans les textes baroques. Ainsi le poème de Pierre Matthieu développe une image par strophe: la table de jeu, le navire sur la mer, le tableau comme métaphores de la vie. Il s’agit là de métaphores filées, largement développées sur plusieurs vers. Sponde, à l’inverse, développe ses images sur deux vers tout au plus, toujours pour symboliser la brièveté de la vie: fleurs, ampoule, flambeau, tableau également. Phénomènes météorologiques (orage, tonnerre, torrents, neige) autant d’images très fréquentes chez les baroques pour exprimer l’inconstance du monde. Ronsard également choisit des images frappantes: mourant, le poète est déjà « squelette » avant même sa mort.

2) Le goût de l’accumulation: les baroques ne sont pas des poètes de la nuance et de la subtilité: l’énumération et l’accumulation sont fréquentes: par exemple les adjectifs dans le poème de Ronsard: « décharné, dénervé, demusclé, dépoulpé » (le sens est « dépulpé », comme si la chair humaine était la « pulpe » du corps ). Même goût des répétitions chez Sponde, avec la récurrence de « J’ai vu » (3 fois dans les tercets). La répétition de la même formule qui ouvre et clôt le poème « Mais si faut-il mourir » est également significative.

Pierre Matthieu n’hésite pas non plus avec le mot « mort« , répété 8 fois dans les dix premiers vers du texte, sans compter l’adjectif « immortels » ou la référence au « tombeau« ! Dans le même ordre d’idées, on peut remarquer aussi la fréquence des assonances et des allitérations:  « flambeau…flamme fumeuse » (allitération en f) chez Sponde; jeu de rimes entre « port » et « mort » dans le poème de Pierre Matthieu.

3) Le jeu des contrastes et des retournements: il s’agit bien là d’un procédé propre à illustrer le mouvement et la métamorphose chers aux baroques: Matthieu joue sur un constant entrelacement entre la mort et la vie: « Nous naissons pour mourir et mourrons pour revivre  » : l’antithèse des verbes naître/mourir; mourir/revivre est accentuée par la symétrie de la construction grammaticale. De même, on peut relever l’avant dernier vers: « où se couche la mort là se lève la vie  » : antithèse des termes (coucher/lever; mort/vie), mais symétrie grammaticale.  Ce goût des contrastes peut d’ailleurs aller jusqu’au paradoxe: « la même mort de la mort nous délivre »!

Sponde également accentue les contrastes, en accélérant le rythme: à une transformation radicale qui s’effectue en deux vers: « Ce beau flambeau qui lance une flamme fumeuse/ Sur le vert de la cire éteindra ses ardeurs  » , se substitue un changement plus brutal réduit à un seul vers: « l‘huile de ce tableau ternira ses couleurs  » , voire même à un demi vers: « J’ai vu fondre la neige et ses torrents tarir « . Noter au passage le chiasme qui met en valeur les deux verbes qui traduisent la disparition: « fondre / tarir «  . Pour ces deux auteurs, la brièveté des phrases ou des vers, l’emploi des rejets contribuent à appuyer la brutalité des contrastes décrits.

Quant à Ronsard, il manie le retournement en jouant de l’opposition traditionnelle dans un sonnet entre quatrain et tercet: ainsi  les tercets de « Je n’ai plus que les os », opposent à la brutalité du corps décharné  décrit dans les quatrains l’existence de liens d’amitié, et  l’assimilation de la mort au simple sommeil.   A chaque fois, la thématique du poème se transforme, quitte à trouver au final, une certaine forme d’apaisement, qui, là, se différencie quelque peu de la sensibilité baroque, le plus souvent indécise et torturée.

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