La Hongrie, La politique fiscale et l’Union européenne

Le 18 juin 2022, la Hongrie vient de faire obstacle au texte relatif à l’adoption d’un impôt minimal sur les sociétés par l’Union européenne. Ce projet a été lancé l’an dernier : le 5 juin 2021, les ministres des finances du G7 on adopté un texte sur un principe d’imposition des entreprises. L’idée phare de ce texte est la fixation d’un taux d’imposition minimum de 15 % sur les firmes transnationales. L’an dernier, le débat s’était focalisé sur les géants du numérique, les GAFAM qui apparaissent dans les opinions publiques comme les grands usurpateurs de la fiscalité. Depuis, les institutions européennes se sont approprié ce qui est un enjeu fort de la gouvernance mondiale (on se souvient, qu’en juin 2021, il avait fallu attendre l’intervention de Joe Biden pour que le dossier « décolle » !) et ont élaboré un document qui devrait conduire l’UE à entériner ce projet en premier au sein d’un protocole multilatéral placé sous l’autorité de l’OCDE (140 pays) et dont la date d’entrée en vigueur est prévue pour le 31 décembre 2023. Au sein de l’UE, comme toute procédure intergouvernementale et non fédérale, ce protocole est preneur de temps et porte en lui le germe de son échec programmé.

Pour des raisons nombreuses et fondées, nous sommes en présence de ce que les économistes appellent un défaut majeur de coordination qui prend le nom de « concurrence fiscale« . Ce défaut de coordination s’exprime avec une force particulière au sein de l’Union européenne. Il s’explique par deux séries de facteurs :

1) Les Etats-membres sont incités à jouer la carte des stratégies non coopératives en matière fiscale afin d’attirer les IDE et ainsi stimuler l’activité productive et l’emploi à court terme sur leur territoire (domaine dans lequel l’Irlande par exemple est devenue particulièrement efficace). Bien entendu, ces mêmes Etats ont simultanément intérêt à opter pour des discours politiques plus coopératifs. Tant que la coordination des politiques économiques est multilatérale, les dispositifs d’injonction sont très faibles voire nuls, de sorte que, cyniquement, la coexistence de ces deux postures – le discours coopératif et la pratique non-coopérative – est possible. L’histoire enseigne, qu’en temps de crise, l’incitation à ce type de stratégie à toujours eu tendance à être plus forte : quand on s’appauvrit, on est tenté par des décisions unilatérales et par le repli national. Évidemment, la condition de réussite d’une telle stratégie est son caractère isolé : si tous les États optent unilatéralement pour de la concurrence fiscale, il n’y a plus de concurrence fiscale et les effets macroéconomiques négatifs collatéraux sont majeurs.

2) De part le caractère oligopolistique croissant des marchés mondiaux, les firmes transnationales concernées se sont constitué un pouvoir de marché parfois considérable. C’est ce que montre François Lévêque dans ses travaux. D’abord en 2017 avec « Les habits neufs de la concurrence » et, l’an dernier justement, avec « Les entreprises hyper-puissantes« . Avec la réduction effective de la concurrence notamment sur les marchés stratégiques proches de la frontière technologique, ces firmes se dotent d’un pouvoir d’influence auprès des institutions politiques qui affaiblit sans nul doute la légitimité des décisions prises et qui, de surcroit, augmente parfois de manière considérable l’impact que ces firmes peuvent avoir sur l’économie réelle des territoires (le chantage aux délocalisations peut renforcer lourdement les logiques de concurrence fiscale).

Et voici qu’aujourd’hui le gouvernement Hongrois, autour du très médiatique Viktor Orban, fait obstacle à ce processus réglementaire qui permettra de se doter d’un outil – certes très perfectible compte tenu de son caractère « plus petit dénominateur commun » – pour sortir de la concurrence fiscale. Car dans une économie saine, capable de produire un modèle de croissance soutenable, ce sont les entreprises qui sont logiquement en concurrence tandis que les Etats, eux, coopèrent. Or, nous sommes face à la situation inverse : les entreprises de taille continentale sont incitées à mettre en œuvre des stratégies collusives tandis que les Etats sont acculés à des logiques concurrentielles dévastatrices. A ce titre, on peut affirmer que la gouvernance mondiale est dans l’impasse.

Alors que faire ? La guerre a Ukraine a fait brutalement passer au second plan les choix récents de gouvernance au sein de l’UE qui, notamment grâce à Ursula von Der Leyen, conduisaient à mettre la Hongrie et la Pologne dans un processus de marginalisation. Cette stratégie comporte des risques et se discute mais son but est bien que ces gouvernements prennent explicitement leurs responsabilités quant à leur place au sein de l’Union. La question est cruciale car ce qui se joue est ni plus ni moins que notre capacité à gouverner démocratiquement la mondialisation, à commencer par notre espace intra-européen. En cas d’échec supplémentaire, le modèle alternatif des régimes populistes autoritaires lointains (la Chine) ou proche (la Russie) pourrait séduire d’autres élites politiques au moment même ou le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE s’enclenche.

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