Nouvelle Âme – chapitre 23

Après plusieurs mois d’interruption, voici la suite tant attendue du roman Nouvelle Âme : les aventures d’Ambre qui tente de retrouver son frère dans le monde des Âmes. 

23.

Une explosion de sens s’empare de moi.

Tout dans cet open-space n’est que couleur. De la moquette vert sapin, aux innombrables décorations de bureau, aux gens qui sont assis devant. Tout le monde parle, piaille, crie, pleure, triomphe, rit. Les mains s’agitent, pointent des doigts bagués ou vernis, font tinter des bracelets, se soulèvent avec passion. Les corps sursautent de rire, suffoquent sous la tristesse, soupirent de fatigue, tourbillonnent de joie, frétillent de plaisir, se soulèvent de colère. Des milliers d’odeurs s’entremêlent : café, thé, parfum synthétique comme naturel, de parchemin comme de livre neuf, vanille, rose, détergents, et j’en passe.

Chaque ordinateur semble être un univers en lui-même. Chacun a son propre style et il ne fait aucun doute que, rien qu’en observant ces bureaux, on peut percer à jour la personne y travaillant. Tous les styles de vie se mélangent. Des décorations gothiques côtoient les consoles de jeux et les bijoux  »kawaii ». Des oreillers sont posés sur les chaises, tandis que des plaids recouvrent ce que je suppose être des chaises. 

L’élite de la nation. La voilà devant mes yeux. Je m’étais imaginée les Âmes toutes habillées parfaitement, un endroit aussi propre et organisé qu’un hôpital. A ce niveau-là, dire que je me suis trompée est un euphémisme monumental.

Mais ce qui m’étonne le plus, ce sont les gens. Ici, tous les sens sont en ébullition. Ça piaille, débat, crie, exulte, panique, triomphe, soupire, rit. Cela vit. Une jeune fille aux cheveux colorés en bleu et orange débat vivement avec une vieille dame, une fille aux cheveux roux d’à peu près mon âge fait une démonstration sur un tableau à épingle, qu’elle ne cesse de modifier au fur et à mesure que quelqu’un ajoute une idée. Des Âmes passent autour de nous en courant d’un air exalté ou, au contraire, paniqué. Des avions en papier – ou carrément des feuilles froissées pour les plus fainéants – naviguent entre les bureaux, souvent suivis de protestations quand ils sont reçus sur un front.

L’hôtesse nous fait avancer dans l’allée moquettée de vert et mon étonnement ne cesse de croître au fur et à mesure de mes pas. En quelques mètres, j’ai le temps d’apercevoir une vieille dame aux traits asiatiques, un homme représentant selon moi parfaitement l’idée que je me fais d’un Viking, une jeune fille ressemblant trait pour trait à une poupée de porcelaine et un vieillard allant embrasser la vieille femme que j’ai vue tout à l’heure. Le seul bureau vacant est si encombré que je me demande si, au final, je peux vraiment le qualifier de vacant.

Nous arrivons devant un mur de la salle entièrement vitrée, permettant une vue imprenable sur la ville. Cependant, personne ici ne semble s’émerveiller du ciel bien trop clair pour ne pas paraître suspicieux. Tout le monde est focalisé sur un étrange spectacle qui me saute maintenant aux yeux.

-Je te jure que si ton Benjamin fait encore du mal à ma pauvre Jessica, tu le regretteras !

Tous les élèves ont leur attention rivée sur la petite rousse, perchée sur une commode débordante de papier, qui vient de hurler ces mots à un pauvre garçon blond comme les blés bien plus grand qu’elle, se recroquevillant pourtant face à son interlocutrice.

-M-mais Maria, ils souffrent ensemble… Ils ne sont pas faits l’un pour l’au…

Le regard de la rousse se fait orageux et des acclamations désapprobatrices s’abattent sur le pauvre jeune homme, telle une vague qui pourrait le noyer s’il ne murmurait pas des paroles de capitulation.

-Ridicule… ronchonne Clarisse à côté de moi.

Je sursaute. Je l’avais oubliée, celle-là. Je jette un dernier coup d’œil au spectacle qui s’offre devant moi. Tout le monde est absorbé par les excuses que murmure le jeune homme. J’en profite alors pour me pencher discrètement vers Clarisse :

-Pourquoi elles ne m’ont pas contactée ?

Clarisse, dans toute sa splendeur, grogne, lève les yeux au ciel et m’attrape le bras pour m’entraîner plus loin, près d’un ordinateur vacant.

-Elles, fait-elle en appuyant sur le mot, n’ont rien à te dire qui te concerne.

Je rêve ?! Un feu naît en moi. J’ai fait tout ça pour elles, et c’est ainsi que je suis remerciée ?! Bien sûr, je ne m’attendais pas à ce que mon action débloque la situation et que tout coule ensuite de source, mais un petit merci aurait été de trop ?

-Et toi ? Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi tu l’as envoyé ? je grince, en croisant mes bras pour les empêcher d’envoyer valser une tête qui passe par là.

-Parce que j’en avais envie, fait-elle d’un ton indifférent.

C’est trop.

Le feu qui se répandait jusque-là en moi se transforme en incendie. Je saisis un objet – une tasse je crois – sur le bureau derrière moi mais je me fige immédiatement.

J’aurais pu crier au scandale, faire une scène, cracher à Clarisse tout ce que je ressens et à quel point je me sens abandonnée, pour qu’elle comprenne enfin ma détresse. J’aurais pu prendre ce clavier et le jeter par la fenêtre en hurlant à quel point je me sens inutile pour cette cause qui est le seul moyen pour que je retrouve mon frère.

J’aurais pu si deux yeux rieurs ne s’étaient pas placés devant moi, dans une posture ridiculement militaire pour l’air enfantin de son visage.

J’aurais pu si une Yên toute sourire, ne venait pas de se planter face à moi.

Amélie

Chapitre suivant la semaine prochaine.