Les suffixes -able, -ible, -uble

able, –ible et –uble expriment la possibilité.

1. -able et -ible sont des suffixes formateurs d’adjectifs à partir de verbes transitifs directs et exprimant la possibilité passive (« que l’on peut » + infinitif)

On observera que les adjectifs en -able ne peuvent guère être suivis d’un complément d’agent introduit par la préposition par (critiquable par certains, par beaucoup, mais : critiquable pour certains, pour beaucoup). Il est donc préférable de définir -able par la tournure active « que l’on peut » suivi de l’infinitif plutôt que par la tournure passive « qui peut être » suivi du participe passé. Le dérivé qualifie celui ou ce qui est l’objet de l’action. Les exemples sont innombrables :

  • absorbable « qui peut être absorbé », applicable « qu’on peut appliquer », communicable, conciliable, convocable, détachable, dissociable, enviable, identifiable, mangeable, maniable, négligeable, partageable, pénétrable, retouchable, simplifiable, vendable, vérifiable.

Certains dérivés impliquent plutôt l’idée d’obligation que celle de possibilité :

  • admirable « qui doit être admiré »,
  • risible « dont on doit rire »…
  • remédiable (rare) « à quoi l’on peut remédier » est issu de remédier, un verbe transitif indirect. Irrémédiable est au contraire usuel.

-able est parfois accolé à des verbes intransitifs employés transitivement :

  • chômable « qui peut être chômé »;
  • sortable « que l’on peut sortir ».

Dans aimable, le sens du verbe aimer est atténué (« qui mérite d’être aimé » d’où « qui cherche à faire plaisir ») et l’on se rapproche de la valeur active. Il n’en était pas ainsi en français classique. Amiable, terme de droit et de mathématique, est employé par la langue courante dans la locution à l’amiable.

2. Plus rarement, able et -ible sont des suffixes formateurs d’adjectifs à partir de verbes intransitifs.

Le dérivé présente un sens actif (« qui peut + infinitif »). Il qualifie ce à quoi (plus rarement celui à qui) on attribue une action. Il est concurrencé dans ce cas par les adjectifs ayant pour origine un participe en -é et -ant, ainsi que par l’ensemble des adjectifs en -if. Ce dernier suffixe, cependant, ne met pas l’accent sur l’idée de possibilité et correspond régulièrement à des substantifs en -tion (on notera toutefois qu’on dit variable et non variatif malgré l’existence du substantif variation).

Adjectifs qualifiant des substantifs de l’inanimé :

  • convenable « qui doit convenir », « qui convient en effet »
  • délectable « qui délecte »
  • durable « qui doit durer »
  • fermentable ou plus fréquemment fermentescible « qui est susceptible de fermenter »
  • flottable (bouée flottable) « qui peut flotter », voir aussi l’infinitif.
  • immuable (muer) « qui ne change pas »
  • périssable « qui est sujet à périr »
  • préalable « qui doit précéder »
  • semblable « qui ressemble à »
  • valable « qui vaut »
  • variable « qui est susceptible de varier »
  • voir aussi lamentable « qui fait se lamenter ». Mais il y a rupture sémantique avec le verbe se lamenter. Lamentable fonctionne comme un synonyme superlatif de mauvais.

Adjectifs qualifiant des substantifs de l’animé :

  • faillible « qui peut se tromper »
  • serviable « qui rend service »
  • viable « apte à vivre », « qui normalement doit vivre » ? ce terme a été encore employé par Proust dans le sens de « praticable ».

Dans ce sens, le suffixe s’accole exceptionnellement à des verbes transitifs :

  • épouvantable « qui épouvante »
  • secourable « qui secourt »

Par extension : le dérivé sert à qualifier le lieu où l’action est susceptible de se dérouler (« où l’on peut + infinitif ») :

  • flottable (rivière flottable) « sur laquelle quelque chose peut flotter »
  • jouable (terrain jouable) « où l’on peut jouer »
  • navigable « où l’on peut naviguer »
  • patinable « où l’on peut patiner »
  • pâturable « où l’on peut pâturer »
  • praticable (chemin praticable) « où l’on peut passer sans danger »
  • skiable « où l’on peut skier »
  • stationnable « où l’on peut stationner »
  • trottable « où l’on peut trotter »
  • Dans carrossable (de carrosse) « où peuvent circuler des voitures », cyclable « où l’on peut faire du vélo », il ne s’agit sans doute pas de dérivés directs de substantifs, mais plutôt de formations issues de locutions verbales du type circuler en carrosse, circuler à bicyclette, qui pallient l’absence de verbes comme carrosser, cycler.

3. Rarement : suffixe formateur d’adjectifs à partir de substantifs :

Le dérivé exprime la faculté de provoquer. Il a le sens de « qui cause, qui produit ». Le substantif de base possède généralement un correspondant verbal de la même famille morphosémantique :

  • confortable « qui procure du confort » / réconforter
  • dommageable « qui cause du dommage » / endommager
  • effroyable « qui cause de l’effroi » / effrayer
  • pitoyable « qui inspire la pitié » / apitoyer

Noter cependant :

  • corvéable « assujetti à la corvée »
  • justiciable « qui doit passer en justice »
  • préjudiciable « qui porte préjudice »
  • sabotable « dont on peut faire des sabots » (Littré)
  • Rentable est, en synchronie, détaché de rente et mis en rapport avec rendement : « avoir un rendement satisfaisant eu égard à la mise, à l’investissement ».

Le dérivé attribue au substantif qu’il sert à qualifier la qualité contenue dans le substantif de base (il a de la charité ? il est charitable). Dans ce cas, able entre dans la série des suffixes -al, el, eux, ique…, formateurs d’adjectifs à partir de substantifs, et l’on peut se demander s’il ne constitue pas un véritable suffixe homonyme du suffixe -able formateur d’adjectis à partir de verbes. On observera cependant que même dans ce cas une idée verbale sous-tend le suffixe -able ; charitable peut se traduire aussi par « qui fait preuve de charité », équitable par « qui fait preuve d’équité » :

  • charitable « qui a de la charité »
  • équitable « qui a de l’équité », « où l’on a fait preuve d’équité »
  • favorable « qui attire la faveur, qui est à l’avantage de » (lorsque le substantif qualifié est de l’animé : « qui favorise »)
  • raisonnable « doué de raison », « conforme à la raison »
  • véritable « conforme à la vérité », « conforme à ce qui est attendu de… »

Créations récentes :

  • clubbable
  • goncourable
  • ministrable « qui peut devenir ministre »
  • papable « qui peut devenir pape »

Ces dérivés ne forment pas de substantifs en -abilité.

Remarque : -able est-il un suffixe ou une flexion? La majorité des adjectifs en -able/-ible sont des dérivés de verbes, et l’on peut se demander si cette finale est un suffixe véritable ou une flexion, au même titre que -ant et -é (ou -u).

-able/-ible sont toutefois plus indépendants du paradigme verbal que les désinences de participe présent ou de participe passé et se rangent donc plutôt du côté des suffixes : en effet, une seule catégorie de verbes, celle des verbes transitifs directs fournit régulièrement des dérivés en -able ; au demeurant, même dans cette catégorie, l’adjectif verbal en -able/-ible est loin d’être toujours attesté : la dérivation en -able/-ible parait difficile avec certains verbes comme agacer, contrarier, ennuyer, fâcher, navrer ou posséder (qui ne sont pas transposables au passif d’action à l’aide de par) ; les verbes intrans. ne servent que très rarement de base à des adjectifs en -able/-ible, de même que les verbes transitifs indirects ; d’autre part, la notion verbale normalement contenue dans la base s’est parfois affaiblie ; certains dérivés, en particulier les dérivés savants, ne correspondent, en synchronie moderne, à aucun verbe, et l’on a créé des dérivés en -able/-ible sur des radicaux nominaux. Il est vrai que cela s’est également produit pour les désinences -ant (gauchisant), é (chocolaté, molletonné, vanillé), u (feuillu), mais avec une fréquence moindre.

Pourtant l’argument essentiel qui permet de penser que -able est un suffixe et non pas une flexion est que les dérivés qu’il sert à construire fonctionnent toujours comme adjectifs, alors que les formes en -é ou en -ant tiennent à la fois du verbe et de l’adjectif. Que la base soit verbale ou exceptionnellement substantivale, la forme en -able appartient sans hésitation possible à la classe des adjectifs : il s’agit donc bien d’un processus de dérivation.

c/qu. Quand le suffixe -able s’accole à des verbes en -quer, on constate la transformation de -qu- en -c-, chaque fois qu’au verbe correspond un dérivé en -cation. Le c a été rétabli dans les dérivés au 16ème siècle par souci d’étymologie :

  • appliquer / applicable (application), du latin applicare
  • communiquer / communicable (communication), du latin communicare
  • confisquer / confiscable (confiscation), du latin confiscare
  • éduquer / éducable (éducation), du latin educare
  • expliquer / explicable (explication), du latin explicare
  • convoquer / convocable (convocation), du latin vocare
  • évoquer / évocable (évocation), du latin vocare
  • révoquer / révocable (révocation), du latin vocare

Deux dérivés font exception : hypothéquer / hypothécable, pratiquer / praticable, dans lesquels les verbes sont dérivés des substantifs hypothèque et pratique issus respectivement du latin juridique hypotheca, emprunté au grec hupothêkê et du latin médiéval practica, emprunté au grec praktikê.

La graphie reste -qu- dans les dérivés qui ne se rattachent qu’à un verbe en -quer et non à un dérivé en -cation. Dans ce cas, le verbe n’a pas de correspondant latin en -care :

  • attaquer / attaquable de l’italien attacare (du francique stakôn),
  • critiquer / critiquable de critique, du latin criticus emprunté au grec kritikos
  • manquer / immanquable de l’italien mancare (du latin mancus)
  • remarquer / remarquable de l’ancien scandinave merke « marque », avec l’influence de l’italien marcare
  • retorquer / retorquable issu du verbe latin en -qu- retorquere
  • risquer / risquable de risque, de l’italien risco (rischio), en grec rhizikon

gu/g Quand le suffixe s’accole à des verbes en -guer, on note la disparition régulière du u devenu inutile devant un a pour conserver le son [g] : conjuguer / conjugable, fatiguer / fatigable, irriguer / irrigable, larguer / largable, naviguer / navigable.

g/ge Quand le suffixe s’accole à des verbes en -ger, un e s’intercale entre le g et le a, afin que la prononc. [?] de l’infinitif soit maintenue : arranger / arrangeable, changer / changeable, diriger / dirigeable, loger / logeable, manger / mangeable, négliger / négligeable, partager / partageable.

c/ç Quand le suffixe s’accole à des verbes en -cer, le c devient ç devant a pour conserver la prononciation [s] de l’infinitif : commercer / commerçable, effacer / effaçable, influencer / influençable, prononcer / prononçable, remplacer / remplaçable.

Le suffixe -able s’accole à toutes les terminaisons possibles. -ible, qui forme beaucoup moins de dérivés, s’accole de préférence à des radicaux empruntés au latin. Ils sont le plus souvent terminés par s ou par t. La plupart des formations en -ible, en effet, sont des formations savantes, qu’elles aient une forme latine correspondante : comestible < comestibilis, convertible < convertibilis, irascible < irascibilis, séductible < seductibilis,… ou qu’elles aient été formées sur des radicaux savants sans qu’il y ait d’adjectifs latins correspondants : combustible / combustion (combustio), convulsible / convulsion (convulsio), fusible / fusion (fusio). Seuls, peuvent être considérés d’origine populaire des mots comme : faillible, lisible, loisible, nuisible, paisible, traduisible.

En position d’infixe, able / -ible appellent volontiers, sauf lorsqu’ils sont accolés à des substantifs (charitable), le suffixe de noms abstraits -ité pour former avec lui la combinaison -abilité, ibilité, parfois aussi les suffixes -isme et -iste : (probable / probabilisme, probabiliste). La correspondance est fréquente entre les substantifs en -(a)tion / -sion / -ssion et les adjectifs en -able / -ible : adorable / adoration, colonisable / colonisation, congelable / congélation, estimable / estimation, imposable / imposition, liquidable / liquidation, négociable / négociation, recommandable / recommandation, réconcili-able / réconciliation, simplifiable / simplification, admissible / admission, compressible / compression, diffusible / diffusion, digestible / digestion, divisible / division, expansible / expansion, explosible / explosion, perfectible / perfection, réductible / réduction, visible / vision.

Le suffixe -able / -ible / -uble remonte au suffixe latin -abilis, ibilis, ubilis.

L’analyse des dérivés se fait souvent aisément, que la base soit un verbe (absorber / absorbable ; punissant / punissable …) ou que le suffixe soit commutable avec -(t)ion (prévisible / prévision…). Autres commutations : -able / -ateur ; -able / -atoire ; -ible / -eur / -ifier ; -ible / -ent : sécable / sécateur, arable / aratoire, horrible / horreur / horrifier, terrible / terreur / terrifier, intelligible / intelligent, tangible / tangent. Dans bon nombre d’exemples cependant, la base n’est pas isolable en français moderne. Il semble pourtant que, fréquemment, le sentiment de la suffixation demeure et que le sens de la possibilité passive soit plus ou moins consciemment perçu, même si le radical n’est pas compris :

  • capable « qui est en état (de faire quelque chose) » < capabilis de capere « être susceptible de »
  • curable « qui peut être guéri » < curabilis de curare « soigner, guérir » / cure
  • friable « qui peut être broyé » < friabilis d’après friare « broyer »
  • inéluctable « contre quoi on ne peut pas lutter » < ineluctabilis de electari « échapper en luttant »
  • inextricable « qu’on ne peut pas démêler » < inextricabilis de extricare « démêler »
  • insatiable « qui ne peut pas être rassasié » < insatiabilis de satiare « rassasier »
  • potable « que l’on peut boire » < potabilis de potare « boire »
  • vulnérable « qui peut être blessé » < vulnerabilis de vulnerare « blesser »

À noter deux exemples entièrement calqués sur le latin : indélébile « qui ne peut pas s’effacer » < indelebilis de delere « détruire », mobile « qui peut être mu » < movibilis de movere « mouvoir », dans lesquels il s’agit effectivement du même suffixe. La variante -uble n’est guère représentée que dans le mot soluble et ses dérivés (insoluble, indissoluble…) ; la finale -ubile, qui apparaît dans volubile, n’est pas analysée en synchronie moderne.

Certains étymologistes considèrent les mots dérivés de substantifs latins en –bulum, comme apparentés au suffixe –bilis : étable < stabula pluriel de stabulum, incunable < incunabulum, rouable < rutabulum, vocable < vocabulum ; à comparer avec jable < du gaulois latinisé gabulum. Et pour les mots en –bulus, ou –bula : érable < acerabulus ; à comparer avec diable < diabolus, fable < fabula, retable de l’espagnol retablo de table.

Parmi tous les suffixes adjectivaux du latin, bilis est un des plus utilisés. On le rencontre en latin archaïque et classique et surtout en latin tardif où il apparait le plus souvent sous la forme –abilis, tous les verbes formés à cette époque relevant de la première conjugaison. Le suffixe est très productif à toutes les époques du français [doutable a pu être employé pour douteux, attrayable pour attrayant, déshonorable pour déshonorant, mourable pour mourant] à partir des 12ème et 13ème siècles où il s’accolait même couramment à des bases nominales, formation dont il ne reste plus que quelques traces. On ne trouve pas d’exemple de ce suffixe dans les plus anciens textes français. Les formes en -able ont très tôt supplanté celles en -ible. Jusqu’au 16ème siècle, on trouve quelquefois les deux formes employées indifféremment : faisable (14ème siècle) / faisible (14ème siècle), responsable (1284) / responsible (1502), vendable (13ème siècle) / vendible (1515). C’est parfois le dérivé en -ible qui a triomphé, en particulier lorsque le radical se termine par un s (divisible (15ème siècle) / divisable, lisible (1464) / lisable (1474), loisible (1295) / loisable (12ème siècle), nuisible (14ème siècle) / nuisable (12ème siècle), paisible (12ème siècle) / paisable (12ème siècle), à comparer aussi : faillible (13ème siècle) / faillable, penible (12ème siècle) / penable (12ème siècle) ; de manière plus générale, lorsque le radical savant est préféré au radical populaire : comprenable (12ème siècle) / compréhensible (15ème siècle), corrompable (12ème siècle) / corruptible (13ème siècle), creable (12ème siècle) / crédible, percevable (14ème siècle) / perceptible (1372), pourrisable / putrescible (14ème siècle), reprenable / répréhensible (14ème siècle), riable / risible (14ème siècle), veable (13ème siècle) / visible (12ème siècle). Les formations récentes sont nombreuses : capturable, dénonçable, éjectable, encerclable, ministrable, objectivable, possédable, relégable, repêchable, révélable, skiable, spécifiable, unifiable Le suffixe est disponible pour la plupart des verbes transitifs directs. Si tous les adjectifs n’existent pas, il ne semble pas impossible de les former, leur présence dans les nomenclatures de dictionnaires ne se justifiant que lorsque l’adjectif est relativement autonome du verbe. Une preuve supplémentaire de la vitalité du suffixe est l’existence de nombreux dérivés négatifs alors que le verbe négatif correspondant n’existe pas : imperçable, incelable, indiscutable, inatteignable, inétreignable, inévitable, infixable, inimaginable, insondable, insoulevable, intrompable, invincible, inviolable, irrassasiable, irréalisable, irréfreinable, irrésistible. La plupart de ces adjectifs ne sont attestés ou usuels qu’à la forme négative. Les dérivations à partir de verbes intransitifs ou pronominaux sont rares, et dans la plupart des cas, de telles formations paraissent impossibles (aberrer, aberrant ; abonder, abondant ; aboyer ; accéder ; (se) bagarrer,; barboter,; batailler ; bavarder ; bégayer ; bifurquer ; blêmir ; (se) coaliser; (se) démener; (se) désister …). On ne rencontre plus de nouvelles formations en français moderne.

Les dérivés en -able ont pratiquement supplanté ceux en -ible. On rencontre cependant quelques nouvelles formations en -ible, dont la plupart ont un caractère savant : coalescible, conceptible, explosible, fusible, impressible, inexhaustible.

en savoir plus : CNRTL.

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