L’apologie de Socrate

 Mes conversations avec Julie que je connaissais depuis son enfance dépassaient toutes mes attentes et me remplissaient d’une grande satisfaction, très différente de celle qu’un professeur est susceptible d’éprouver face à ses classes. Au lycée, il a vite fait de se sentir comme un instructeur qui mènerait ses troupes à l’examen, la philosophie n’étant plus alors qu’une discipline de bac, un peu comme si Victor Hugo n’avait été qu’un nom de place ou de rue !

Avec Julie au contraire j’avais le sentiment de revenir à l’essence de la philosophie dans son questionnement désintéressé, à cet amour de la sagesse (philo : aimer en grec ; sophia : la sagesse) dont la valeur réside dans ses interrogations plus que dans une obligation de résultats… et au fond de réponse définitive.

Je ne nie pas que Julie, elle, désirerait sans doute en trouver, des réponses définitives, et même qu’elle aimerait sûrement pouvoir les mettre en application, mais là n’était pas l’objectif de la philosophie. Il faudra d’ailleurs qu’à l’occasion je la prévienne, ou simplement que je le lui rappelle (son professeur en classe le lui a déjà peut-être dit), même si le risque c’est qu’elle en soit déçue. Je lui dirai alors que ce qui compte c’est d’être sur le chemin, et non d’être déjà arrivé. Je lui parlerai ensuite de Socrate, père de l’idée philosophique et je lui raconterai son histoire.

A l’époque florissante de l’Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ, le monde intellectuel comptait comme personnages déterminants les sophistes, des sages au sens de savants (de sophia : la sagesse). Sortes d’humanistes, ils avaient beaucoup voyagé, et dispensaient leur culture du monde auprès des jeunes gens de bonnes familles. Ceux-ci, se destinant à une carrière politique qui était la « science » par excellence dans le monde antique, payaient les sophistes pour leur enseignement en rhétorique, afin d’apprendre à faire de beaux discours, capables d’emporter l’adhésion des électeurs. Dans ce contexte, Socrate apparaît comme une personnalité encourageant la pensée mais de façon bien différente de cet enseignement sophistique.

De Socrate, on ne sait que peu de choses, en fait, parfois même contradictoires. Ainsi, Aristophane, dans la comédie « Les Nuées » le fait passer pour un niais, et Platon, plus grand et plus célèbre disciple de Socrate, met au contraire la figure de son maître au centre de la plupart de ses dialogues (même si en réalité, à travers cette figure s’exprime d’avantage le disciple que le maître, et s’il n’y a pratiquement que dans l’Apologie de Socrate Platon est sans doute relativement fidèle à l’histoire réelle de Socrate, à la démarche de celui-ci.)

On raconte que Kairéphon, un ami de Socrate, un jour qu’il était de passage à Delphes, consulte l’Oracle et lui demande s’il existe un homme plus sage que Socrate à Athènes. La Pythie lui répond non. Apprenant cela, Socrate est surpris, et veut vérifier la prophétie. Il se rend auprès de ceux qu’il juge être les plus sages, d’abord les politiques puis les artisans et les artistes…

[…] Je me rendis chez un de ceux qui passent pour être sages, pensant que je pouvais, mieux que là , contrôler l’oracle et lui déclarer : « Cet homme-ci est plus sage que moi, et toi, tu m’as proclamé le plus sage. » J’examinai cet homme à fond ; je n’ai pas besoin de dire son nom, mais c’était un de nos hommes d’État qui, à l’épreuve, me fit l’impression dont je vais vous parler. Il me parut en effet, en causant avec lui, que cet homme semblait sage à beaucoup d’autres et surtout à lui-même, mais qu’il ne l’était point. J’essayais alors de lui montrer qu’il n’avait pas la sagesse qu’il croyait avoir. Par là , je me fis des ennemis de lui et de plusieurs des assistants. Tout en m’en allant, je me disais en moi-même : « je suis plus sage que cet homme-là . Il se peut qu’aucun de nous deux ne sache rien de beau ni de bon ; mais lui croit savoir quelque chose, alors qu’il ne sait rien, tandis que moi, si je ne sais pas, je ne crois pas non plus savoir. Il me semble donc que je suis un peu plus sage que lui par le fait même que ce que je ne sais pas, je ne pense pas non plus le savoir. » Après celui-là , j’en allai trouver un autre, un de ceux qui passaient pour être plus sages encore que le premier, et mon impression fut la même, et encore je me fis des ennemis de lui et de beaucoup d’autres. […]Après les hommes d’État, j’allai trouver les poètes auteurs de tragédies, auteurs de dithyrambes et autres, comptant bien que cette fois j’allais prendre sur le fait l’infériorité de ma sagesse à l’égard de la leur. Je pris donc avec moi ceux de leurs ouvrages qu’ils me paraissaient avoir le plus travaillés et je leur demandai ce qu’ils voulaient dire, afin de m’instruire en même temps auprès d’eux. Or j’ai honte, Athéniens, de vous dire la vérité. Il le faut pourtant. Eh bien, tous ceux qui étaient présents ou peu s’en faut, auraient mieux parlé de leur poèmes qu’eux-mêmes qui les avaient faits. Je reconnus donc bien vite que les poètes ne sont point guidés dans leurs créations par la science, mais par une sorte d’instinct et par une inspiration divine. […]  je les quittai donc, pensant que j’avais sur eux le même genre de supériorité que sur les hommes d‘État.»

Apologie de Socrate, Platon, 21c, trad. Emile Chambry, Ed. G.F.

« Moi tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien », a ainsi pu dire Socrate à l’homme politique incapable de définir l’idée de justice à laquelle celui-ci se réfère pourtant quand il parle de faire des lois justes, ou à l‘artiste, qui ignore le sens à donner à l‘idée du beau alors même qu‘il prétend la viser à travers ses oeuvres. La démarche socratique est donc humble en son fond et profonde en sa recherche, puisqu’il s’agit à la fois d’accepter son ignorance, et de revenir à l’essence cachée des choses. Il aimerait être sage, sans jamais l’être pourtant définitivement. La quête philosophique requiert de ce fait de la patience, mais non point du repos !

Socrate n’en reste pas à ce jeu de question par lequel il montre à ses concitoyens qu’ils croient savoir plus qu’ils ne savent en réalité. Il entreprend ensuite de montrer à ceux qui se pensent être les moins instruits, qu’ils sont gros d’un savoir, tel l’esclave qui n’a encore reçu aucune formation, mais qui, s’il est bien guidé par le bon enseignement d’un bon maître, accède à la connaissance des mathématiques dans Le Ménon, de Platon. Ce questionnement par lequel Socrate fait prendre conscience à son interlocuteur du savoir qu’il ignorait posséder, il l’appelle la maïeutique, du terme grec maieutikê, qui signifie art de faire accoucher, en référence à sa propre mère qui était sage-femme (sa mère faisait accoucher les corps ; Socrate, lui, faisait accoucher les esprits).

Sans doute parce que cette démarche fondée sur l’amour d’une sagesse que l’on possède par le fait même qu’elle nous échappe, dérangeait les prérogatives de certains dans la cité athénienne, Socrate fût traduit en justice. (voir Apologie de Socrate, Platon) Le procès s’articula autour de deux chefs d’accusation : l’impiété de Socrate, et la nature corruptrice de son enseignement vis-à-vis de la jeunesse. L’opinion publique athénienne aimait bien peu les hommes qui préféraient se consacrer à la raison plutôt qu’à faire fortune. Socrate choisit de se défendre lui-même et c’est le texte de sa défense que l’on retrouve dans l’Apologie. A l’issu du procès qu’il perdit, Socrate fût condamné à une peine d’empoisonnement à la ciguë et mourut ainsi.

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