Le bonheur, tentative de définition

J’étais à mon bureau en train de relire le texte de la « morale provisoire » de Descartes, quand le téléphone sonna. – Allo, Katy ?
– Oui, dis-je, qui est-ce ?
– C’est moi, Julie. Tu es dispo là pour que je te parle ?
– Vas-y.
– C’est à propos de ce que tu m’as dit hier…
– Je t’écoute.
– J’ai essayé de définir le bonheur.
– Bonne idée, lui répondis-je, agréablement surprise par cette initiative… Et alors ?
– Je n’y arrive pas, me dit Julie un peu confuse. Je peux venir te voir pour qu’on en discute ?
– Je ne suis pas certaine d’y arriver mieux que toi, la prévins-je, mais au moins je te dirais peut-être pourquoi je n‘y arrive pas !
Quelques minutes plus tard, Julie m’avait rejointe et elle était assise devant moi de l’autre coté de mon bureau.

– Bon alors, tu commencerais par quoi pour définir le bonheur ? Demandais-je à Julie.
– Je commencerais par regarder ce que je ressens quand je suis heureuse me proposa-t-elle.
– Partir de ce qu’on ressent peut-être un début de solution… Mais attention, le bonheur est-il un sentiment ? Est-ce qu’il ressemble à l’amour, à la haine, à la colère par exemple… ?
– Non, c’est plus qu’un sentiment. Un sentiment ne dure pas… Le bonheur si.
– Tu as raison les sentiments sont par nature variables. Ils évoluent, passent par des intensités différentes. Et même si le bonheur ne dure pas toujours aussi longtemps qu’on le souhaiterait, il est dans son concept fixe et stable. On peut définir le bonheur comme un état.
– Un état ? Questionna Julie.
– Oui, une façon de conjuguer le fait d’être au présent. Le substantif « état » vient du verbe « être » considéré au présent. Le bonheur, c’est ici et maintenant.
– Ah ? Mais un bonheur peut être à venir, non ?
– On dira que c’est un espoir… Rien n’est encore certain.
– Où qu’il est passé?
– C’est un souvenir alors… voire un regret, puisqu’il s’agit de ce qui est passé et ne sera plus.
– Mais est-ce que je peux être heureuse maintenant, si je ne suis pas certaine d’être heureuse plus tard ?
– Bonne question, fis-je en m’enthousiasmant ! Qu’en penses-tu ?
– Eh bien vu que le bonheur est un état qui est sensé durer… Si je ne peux pas être certaine que mon bonheur au présent va durer, cela revient à dire que je ne suis pas heureuse, « ici et maintenant ».
– Tu n’as peut-être pas tort ! Et au fond tout cela reviendrait peut-être à dire que le bonheur n’est pas immédiat, mais qu’il se construit. Tu ne crois pas ?
– Comment on le construit alors ?
– Et ce n’est pas tout : n’oublie pas non plus de te demander ce que tu veux construire… Cela implique-t-il par exemple que tu aies satisfait tous tes désirs ?
– On a vu hier que ce n’était pas possible et même que ce n’était pas souhaitable… (voir l’article précédent sur le désir)
– Oui c’est vrai, dis-je en constatant avec plaisir que notre discussion avait porté ses fruits. Alors ne faut-il que tu ne satisfasses qu’un seul désir, le plus cher de tous, pour être heureuse ?
– Oups là le problème c’est que je ne saurais pas lequel choisir. Et tant que je n’aurais pas tout ce dont j’ai envie, je ne sais pas si ça sera le grand bonheur !

A ce moment, je fis une pause dans notre conversation. Dans ma bibliothèque je sortis un recueil de Lettres, maximes, sentences d’Épicure. Puis je tendis l’ouvrage à Julie, en lui désignant ce passage de la lettre à Ménécée que je voulais qu’elle lise :

Il faut […] considérer que, parmi les désirs, les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires, les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns le sont pour le bonheur, les autres pour l’absence de souffrance du corps, les autres pour la vie même. En effet, une étude de ces désirs qui ne fasse pas fausse route, sait rapporter tout choix et tout refus à la santé du corps et à l’absence de troubles de l’âme, puisque c’est la fin de la vie bienheureuse. Car c’est pour cela que nous faisons tout : afin de ne pas souffrir et de n’être pas troublés. Une fois cet état réalisé en nous, toute la tempête de l’âme s’apaise, le vivant n’ayant plus à aller comme vers quelque chose qui lui manque, ni à chercher autre chose par quoi rendre complet le bien de l’âme et du corps. Alors, en effet, nous avons besoin du plaisir quand, par suite de sa non présence nous souffrons, mais quand nous ne souffrons pas, nous n’avons plus besoin du plaisir. Et c’est pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse.

Julie me demanda la permission de relire le texte, ce que je lui accordai, et elle le relit même trois fois. Je lui précisais à cette occasion un point de vocabulaire : « fin » ne signifiait dans ce texte d’Épicure ni « terme » , ni « achèvement », mais « but » ou « objectif ». Il fallait donc comprendre que le plaisir est moteur et but du bonheur. Mais quel plaisir ?

A suivre !

Publié par

LeWebPédagogique

LeWebPédagogique, c'est LA plateforme de blogs de profs pour leurs élèves et étudiants !

Laisser un commentaire

buy windows 11 pro test ediyorum