Frontières invisibles

Frontières invisibles, Toulouse, photo NJ

Le plus souvent les frontières sont invisibles. Pourtant ce que l’on perçoit en premier sont les frontières physiques : potelets, bornes, plots et variations du sol qui marquent les séparations d’usage ou plutôt d’utilisateurs de la voie publique. Ici la route, là le trottoir.

Dans cette image, le cycliste circule à contre-sens sur la chaussée et se trouve face au véhicule pour qui cette voie a été aménagée. Son allure et sa posture en font un agent social différent des piétons qui restent en contact avec le sol. L’automobiliste est lui aussi hors-sol au sens où ses pieds ne touchent pas la chaussée. A côté d’eux, les passants se dirigent vers leurs destinations en évitant les conflits entre automobiles et bicyclettes. Le cycliste évite les conflits entre piétons et automobile, et ainsi de suite. En cherchant à s’éviter, chacun évite le contact en créant une mini-frontière autour de lui. Entre chaque groupes existe donc des frontières invisibles, où chacun prend conscience de l’autre mais reste à bonne distance, replié dans son habitacle ou surmontant la scène de la rue d’une quinzaine de centimètres. Ou bien encore plongé dans sa sphère intérieure, volontairement ou non d’ailleurs.

Frontières invisibles 2, Toulouse, photo NJ

Ne faisons pas ici l’éloge de la bicyclette (Auger), mais remarquons que chaque agent social (Bourdieu) participe dans sa logique propre à une action soumise à une rationalité en finalité (Weber), du haut de son objet technique (Warnier), dans la pleine maîtrise des techniques du corps (Mauss); corps physique et corps social dissociés volontairement pour mieux appréhender la notion de frontière que suggère ces images.

Ainsi, le cycliste aurait-il la volonté de s’adresser aux piétons qu’il ne pourrait le faire, déjà éloigné par son allure à la poursuite de sa destination. Voudrait-il s’adresser à l’automobiliste qu’il se heurterait au mur de la carapace elle-même mue par un autre but (la climatisation permet désormais de s’enfermer été comme hiver). Les piétons s’adressent-ils pour autant la parole ou bien restent-ils enfermés dans leur « bulle » ? Au-delà des frontières sociales et culturelles qui séparent les individus entre eux, les premiers paravents sont d’ordres psychologiques, entretenus par un climat d’insécurité (Garnier) permanent.

Retour sur la séance du 25 octobre

L’atelier en pleine réflexion, photo NJ

 

Samuel

Voici un petit retour de la séance de mercredi « Apport théorique : morphologie sociale ».

Après être revenu sur quelques éléments de définition de la ville – essayant du moins de préciser de quelle manière on allait l’aborder lors de la séance… – je suis revenu sur quelques travaux qui ont conduit à proposer une analyse socio-spatiale de la ville (les modèles de l’école de Chicago, et plus récemment ceux de la ville à trois vitesses).

Dans une deuxième partie, à travers une présentation rapide de quelques travaux récents, et des méthodologies mises en place, j’ai montré d’autres lectures de la ville :
– l’existence de fragilités « diffuses » dans certains quartiers de Toulouse, peut-être plus difficiles à décrypter que les fragilités « concentrées » dans les quartiers de grands ensembles par exemple, mais bien réelles au regard de certains indicateurs : cartographie des CSP, mais également inquiétudes des habitants vis-à-vis d’une urbanisation rapide et des dynamiques de peuplement en cours, saturation des équipements existants, etc.
– la dégradation des « centres anciens » dans les villes petites et moyennes de la région Occitanie : augmentation de la vacance, appauvrissement des ménages, détérioration des conditions de logement et d’habitat – une dynamique qui contraste avec celle des centres métropolitains, souvent valorisés et gentrifiés.

Mohammed et Marjorie

Ça c’était l’après-midi.

Séance du 25 octobre 2017

On continue…

Suite des méthodes. Le matin Samuel complètera son approche des méthodes quantitatives et l’après-midi, Mohammed et Marjorie poursuivront le travail entamé la semaine dernière autour des méthodes de l’entretien. Comment se familiariser avec les méthodes d’enquêtes de terrain, l’entretien, notamment. Nous profiterons de l’approche par l’expérience directe pour apprivoiser des savoir-faire. Ils seront utile au cours de l’enquête.

Certains étudiants, en effet, vont profiter de leur semaine de vacances pour commencer leur exploration du terrain. Les premières collectes sont importantes. Évidemment, chacun va oublier de noter telle ou telle information, formuler une question de travers, bafouiller devant sa grille. C’est le métier qui entre…

Parvis des Halles, Beaubourg, Paris, photo NJ

Vue de haut, on peut compter, répartir, ordonner, observer les interactions, suivre les actions… Tout un univers à portée de main.

Patrick Gaboriau le 7 février 2018

En avant première… Nous invitons Patrick Gaboriau le 7 février 2018 qui viendra nous parler des Méditations urbaines.

Sont dernier livre porte sur la ville, à travers une démarche singulière et une méthode tout autant originale.

« Dans ces notes quotidiennes rédigées de bon matin, l’auteur se donne comme tâche de dégager deux ou trois réflexions sur des feuillets qu’il glisse ensuite dans une boîte en carton, sorte de boîte à lettres qu’il se confectionne. Dix mois plus tard, il ouvre la boîte et, après une brève recomposition de l’ensemble, cela donne le texte que vous avez sous les yeux, fruit de méditations urbaines d’où se dégage, peut-être, une philosophie de la sincérité. »

Patrick Gaboriau, juillet 2010, photo NJ

« Patrick Gaboriau est anthropologue et directeur de recherche au CNRS. Il publie ici son dixième livre. Il a écrit sur les personnes sans logis, les clochards et la sorcellerie. Ses travaux, centrés sur la France, la Californie et la Russie, concernent l’anthropologie urbaine, l’ethnopsychiatrie et l’épistémologie des sciences sociales. »

Patrick Gaboriau, Méditations urbaines, Paris : L’Harmattan, 2017

Le point de vue de Benjamin

« Voir la ville » – Marges, Limites, Frontières

Val d’Isère, photo X DR

Que m’inspire le séminaire « Voir la ville » – Marges, Limites, Frontières ?

Ces trois mots, souvent fréquents dans notre vocabulaire, sont très complexes dans leurs significations. L’interprétation de ce sujet a laissé place à deux approches.

Tout d’abord, il y a l’approche scientifique: l’huile ne se mélange pas à l’eau car leur densité diffère. Ainsi, les deux fluides forment un mélange hétérogène : l’eau au fond et l’huile à la surface. Ici, la frontière formée entre l’huile est l’eau s’explique par un procédé scientifique.

Puis, les études d’architecture donnent naissances à une approche plus subjective, presque naïve, des corrélations. Le paysagiste Michel Corajoud dit: « Le paysage c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent » 1. Cette citation exprime le paysage comme une limite entre le ciel et la terre. La limite n’est pas seulement un trait qui divise le ciel et la terre, elle est un élément à part entière, c’est le paysage.

Une limite, une marge ou une frontière peut être nette ou diffuse et  incertaine. Si je dessine un cercle, l’intérieur du cercle sera clairement identifiable, de même pour son extérieur. Cependant, si je dessine une série de 10 points tous les 10 mètres, puis une série de 10 points tous les 9,99m et ainsi de suite, le dessin se terminera en une ligne continue. Le passage des points en une ligne s’opère très progressivement, sur une très longue distance. Il devient ainsi difficile de déterminer l’endroit exact où les points forment une ligne. Et pourtant, l’approche scientifique permet de savoir qu’au bout du 10000ème points, une ligne se forme.

Val d’Isère, dessin BL

Le séminaire « Voir la ville » a pour but de nous faire rédiger un mémoire de recherche sur le lieu d’étude de notre choix, en relation avec la notion de « Marges, limites, frontières ». J’ai depuis longtemps étais très intrigué par l’entrée de mon village d’origine, Val d’Isère. En fond de vallée, l’entrée est pratiquée essentiellement que d’un coté du village. J’ai toujours eu le sentiment que cette entrée n’était ni adaptée, ni à l’échelle de sa fréquentation. Elle n’a pas suivi l’évolution du village. Après une longue route sinueuse traversants tous les villages alpins concurrents, on fini à Val d’Isère ! On peut admirer le panneau blanc bordé de rouge qui nous indique notre arrivée. Les jours de grande fréquentation, des flammes scintillent à ses côtés.

Puis, quelques mètres plus loin, la fête est finie. Le rouge barre le nom « Val d’Isère » et annonce un long kilomètres délaissé de vie. Des parkings sur la droite, un squelette de bâtiment en béton sur la gauche. Comme une série de points au milieu d’une ligne continue, ils n’y ont pas leur place. On y roule vite pour retrouver la magie que les agences de vacances nous avaient promise.

 

1Texte publié dans Mort du paysage ? Philosophie et esthétique du paysage (acte du colloque de Lyon, décembre 1981), sous la direction de François Dadognet, « Milieux », Champ Vallon, Seyssel, 1982

Séance du 18 octobre 2017

Atelier de lecture

La matin, nous inaugurerons un nouvel atelier tourné sur l’oralité. Chaque étudiant va proposer un livre et en parler. L’argumentation servira de support d’oralité et d’échange. Ce sera l’occasion de revenir sur la bibliographie, sa mise en forme, ses raisons d’être…

Je présenterai deux ou trois livres.

                      

1) Marlène Haushofer, Le mur invisible, Arles: Actes sud, 1992

« Il était incontestable que pendant la nuit un mur invisible était descendu ou bien s’était élevé et que dans la situation où j’étais il ne m’était pas possible de trouver une explication à ce fait » (p. 26)

2) Zygmunt Bauman, Le présent liquide. Peurs sociales et obsession sécuritaire, Paris: Seuil, 2007

« La vie sociale change quand les hommes commencent à vivre derrière des murs… » (p. 18)

3) Hartmut Rosa, Aliénation et accélération. Vers une théorie critique de la modernité tardive, Paris: La Découverte, 2012

« Il semble exister certaines limites à la flexibilisation et à la dynamisation qui sont peut-être en danger d’érosion dans la modernité tardive, où la stabilité des institutions semble être sur le déclin » (p. 50)

L’après-midi, Mohammed Zendjebil, Marjorie Hervé et moi-même animeront un atelier autour de la question des méthodes d’enquête en sciences sociales. Et nous préparerons peut-être un exercice en taille réelle pour la semaine suivante…

Lecture de marges

De nombreux artistes travaillent sur la question des marges

Dans la livraison de cet été de la revue Flash, un artiste s’est penché sur une petite portion du canal du Midi au nord de Toulouse. Quentin Jouret dresse un relevé précis d’habitats informels sur les berges du canal du Midi, qu’il accompagne de portraits saisis sur le vif.

Extrait 1 du carte blanche à Quentin Jouret

Le hasard fait souvent bien les choses, et sachant la préparation du séminaire en septembre, ses pages se sont découvertes à moi comme une offrande qu’il fallait consommer sans tarder. J’aime le style du dessin, à la fois simple et efficace, et surtout les propos. Les mots donnent à ce contenu une efficacité franche, où chaque portait est saisi dans ce qu’il a de plus parlant.

Extrait 2 du carte blanche à Quentin Jouret

C’est un bon exemple graphique, mais aussi une leçon d’humanité. Je laisse découvrir ce travail.

Flash Le mensuel, Occitanie pyrénées – méditerranée, 6 juillet – 7 septembre 2017 #1639, pp. 8-9

Retour sur la SAM Bagatelle

Centre aéré du quartier de Bagatelle, photo NJ

La SAM Bagatelle n’est pas encore terminée, mais nos étudiants ont participé aux quatre interventions mercredi matin. Lors de cette Semaine Architecturale de Médiation, il a beaucoup été question de frontières, de détournement des règles et par conséquent des limites. Des pays de l’Est, de Bristol à Toulouse, en passant par Nantes, ces questions en ont soulevé d’autres. De l’esprit de la règle à la lecture de la règle, nos quatre intervenants ont abordé la question du point de vue, ou plutôt des points de vue.

Les étudiants de l’atelier Cracker la Ville et du séminaire Voir la Ville réunis pour l’occasion, photo NJ

Merci à Clara Sandrini pour l’organisation de cette séance. Et merci aussi aux intervenants.

Actuellement, les étudiants ont tous défini des thèmes de recherche et parfois même des sujets assez précis. Ils vont poursuivre cette voie par des lectures, à travers la recherche bibliographique, et en se focalisant petit à petit sur leur sujet. La bonne focale est le titre du dernier ouvrage d’Howard Becker qui arrive à point nommé.

Dans son dernier ouvrage, Howard S. Becker, sociologue américain proche de l’école de Chicago, fait l’éloge de l’analogie comme source d’analyse du terrain. En fait, il dresse un bilan de son activité de chercheur et ce livre est pour lui l’occasion de revenir sur différentes études, qui vont de la musique à la consommation de drogue, en passant par les œuvres d’art, ses thèmes de prédilection. Il aborde ses terrains à travers une démarche de sociologie compréhensive, très éloignée dans le raisonnement de la sociologie critique bourdieusienne, mais néanmoins orientée selon une démarche holistique qui permettrait, éventuellement, de croiser ces deux approches.

Il aborde la question des enjeux (sociologie critique) sous une forme différente : « on ne remarque pas toujours ce qui est en jeu dans une situaiton étudiée, parce que certains éléments opèrent à l’arrière-plan » (p. 27). Le raisonnement par analogie ou comparaison est sans doute l’apport le plus intéressant d’Howard Becker et de sa méthode, assez proche de l’ethnologie. Il commence par collecter de manière large et sans savoir a-priori quoi chercher tout en ayant en tête que « ce que l’on a trouvé dans un cas, quoi que ce soit, doit se trouver ailleurs sous une forme voisine » (p. 31).

Il définit ainsi sa méthode : « raisonner par analogie, c’est donc utiliser ce que l’on sait d’une situation pour savoir quoi chercher dans une autre, en partant du principe que ces deux cas doivent avoir d’autres aspects en commun » (p. 65). C’est précisément cette définition qui peut être mise à profit dans cette journée d’étude. Comment les éléments entendus ce mercredi vont-ils raisonner dans la tête de chaque étudiant pour ouvrir sur de nouvelles idées ? En quelque sorte, il s’agit de repousser les limites de la connaissance, et de croiser par analogie de nouveaux apports qui viendront enrichir un état des lieux en train de se faire.

Les étudiants du séminaires arrivent, photo NJ

« Quand j’enquête, je suis à la recherche d’éléments qui semblent avoir de nombreux points communs, mais dont je tâche de voir en quoi ils différent, différences à partir desquelles je découvre de nouvelles variables et de nouvelles dimensions explicatives » (p. 238).

Le côté le plus iconoclaste d’Howard Becker vient de sa démarche qui le positionne davantage du côté des ethnologues que des sociologues. « Lorsque je réunis des données, je renonce au confort d’une problématique ou d’un plan de recherche balisés, au profit de méthodes de travail maximisant les chances de tomber sur des éléments auxquels je n’avais pas pensé, suscitant la prise de conscience de nouvelles possibilités à traiter de manière systématiques » (p. 238).

Tout chercheur est animé d’une insatiable grande curiosité, de même que toute recherche entamée demande une disponibilité constante. Parce que les idées viennent à tout moment et que les déductions ne sont ni prévisibles ni contrôlables, le chercheur doit conserver une attention flottante continuelle.

 

Howard S. Becker, La bonne focale. De l’utilité des cas particuliers en sciences sociales, Paris: La Découverte, 2016

Séance du 11 octobre 2017

Programme de la SAM 2017-2018 Atelier Cracker la Ville, Clara Sandrini

En association avec l’atelier Cracker la Ville, coordonné par Clara Sandrini, les étudiants sont invités le matin à un atelier débat autour de la question des limites et de leurs détournements.

Plusieurs interventions seront proposées à travers des échanges sur « règle et esprit de la règle, de l’usage au détournement », avec quatre interventions complémentaires.

Les étudiants resteront l’après-midi pendant que d’autres affineront leur sujet. Peut-être sera-ce l’occasion de rédiger leur page dans ce blog.

L’espace public et ses limites

L’espace public : limites entre les hommes, Toulouse, photo NJ

Enfin un ouvrage intéressant sur l’espace public

Quatre chapitres composent ce livre de 134 pages, initialement publié à Barcelone en 2011. Il s’agit du premier ouvrage traduit en français de cet anthropologue espagnol, représentant du courant actuel de l’anthropologie sociale. Nous connaissions son existence à travers un article publié en langue française articulé autour de l’histoire de l’anthropologie urbaine où les travaux français dirigés par Jacques Gutwirth et Colette Pétonnet étaient abondamment cités.

Seul, le premier chapitre aborde la question de l’espace public sous l’angle de la critique épistémologique. Les autres chapitres portent sur la ville et, dirons-nous, une politique anthropologique urbaine.
Dans le premier chapitre l’auteur déconstruit la notion d’espace public en commençant par rechercher l’origine de son emploi à travers des textes important des années 1960 à 1980. Peu d’auteurs y font référence, se référant davantage à espace collectif ou espace urbain. Erving Goffman aborde cette notion « d’espace des et pour des relations en public », mais le couple Lyn et John Lofland en donne une définition précise et claire : « par espace public, j’attends ces endroits d’une ville auxquels, la plupart du temps, tout le monde a accès légalement. J’entends par là les rues de la ville, ses parcs, ses lieux de commodité publics. J’entends aussi les bâtiments publics ou les « zones publiques » des bâtiments privés » (p. 28). Se superpose à cette notion, la sphère publique qui constitue le volet politique des rapports sociaux en public pour aboutir à deux sortes de définition de l’espace public : « espace public comme ensemble de lieux en libre accès », et « l’espace public comme milieu où se développe une forme spécifique de lien social et de relation avec le pouvoir » (p. 29).

Cette notion comporte donc une forte connotation politique et des rapports au politique, dans ce que Delgado nomme une « sphère de coexistence pacifique » (p. 30). Il associe cette notion à celle de la société qu’il définit comme « l’association libre et égalitaire de sujets conscients de leur interdépendance, qui établissent entre eux des liens de reconnaissance mutuelle » (p. 31) qu’il associe à la notion de citoyen discutée dans le dernier chapitre. Au centre de se dispositif se trouve une idéologie pacificatrice, proche de la classe moyenne, qui absorbe les rapports de domination dans une approche de démocratie participative où chacun peut avoir accès au contrôle de son existence. « Ils ne considèrent pas l’exclus et l’abus comme des facteurs structurels, mais comme de simples accidents ou contingences d’un système de domination qu’ils pensent perfectible sur le plan éthique » (p. 32).

L’espace public devient un espace démocratique où le citoyen est acteur d’une médiation tendant à assouplir les rapports de domination ou même à les effacer. « Les stratégie de médiation hégéliennes servent en réalité, selon Marx, à camoufler toute relation d’exploitation, tout dispositif d’exclusion, ainsi que le rôle des gouvernements dans la dissimulation et le maintien de toutes sortes d’asymétrie sociales » (p. 33), pour un but inavoué qui serait de « faire respecter les intérêts d’une classe dominante » (p. 34).

Ainsi posé, l’espace public serait la « matérialisation concrète de l’illusion citoyenne » par laquelle les classes dominantes cherchent à « obtenir l’approbation des classes dominées en se prévalant d’un instrument – le système politique – capable de convaincre les dominés de sa neutralité. Elle consiste également à produire le mirage de la réalisation de l’unité souhaitée entre la société et l’Etat (p. 34). Les mécanismes de médiation ne sont là qu’au service de l’Etat pour asseoir sa domination. A ce propos, il n’est pas innocent de voir se profiler l’idée d’une classe moyenne et de vouloir y mettre le plus grand nombre. Cela renvoie aussi à l’idée développée par Pierre Bourdieu selon laquelle les dominés sont dominés par leur domination, le travail de domination étant beaucoup plus efficace lorsqu’il agit sans répression ou que la répression vient de la classe dominée. Dans la mise en place du mécanisme, la transformation des attributs de l’espace en espace idéologiquement pensé permet de passer de la notion d’appropriation à celle d’incivilité dans un rapport citoyen au « vivre ensemble ». Dans ce prolongement, « le conflit ne peut être perçu que comme un anomalie » (p. 39).

Delgado pose ensuite la question de l’anonymat comme outil permettant d’estomper les différences, et de faire croire à une moyennisation des sujets, dans ce qu’il appel un « fraternité imaginaire universelle » (p. 41), pour obtenir une « pacification généralisée des relations sociales » (p. 46). Pour autant, l’anonymat n’est jamais total car les rapports de domination se jouent dans les interactions et les comportements sociaux. Chaque sujet trahit en quelque sorte son statut social dans son rapport aux autres. Le crédo cherchant à vouloir instaurer les valeurs morales de la classe moyenne sont là pour préserver un espace de neutralité, festif, où le citoyen devient acteur.

Manuel Delgado revient sur la notion d’anonymat dans le deuxième chapitre. Mais cela est une autre histoire…

Manuel DELGADO, L’espace public comme idéologie, trad.. Chloé Brendlé, Toulouse : Les réveilleurs de la nuit, CMDE, 2016

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