Détente : Après tout c’est mon blog !

Amandine vient de m’envoyer un message dans lequel elle m’annonce d’un entretien de Patrick Bouchain sur France Inter, dans l’émission de Laure Adler, L’heure bleue.

« Bonsoir,

Je ne sais pas si vous avez écouté l’entretien de Patrick Bouchain sur France Inter, je me permets donc de vous transférer le lien :  https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-13-mai-2020?fbclid=IwAR2uxlh4rr555_x2JGqd-w6cqYaAbRhRZHvBC4SV0WRK1m189vRT-yz-suc

Bonne soirée »

Max Klinger (1857-1920), L’heure bleue (1890), Leipzig, Museum d.bild. Künste

 

Patrick Bouchain est une star dans son domaine. Sur le site de France Inter, on y voit l’annonce également d’un film d’Encore Heureux programmé pour octobre. De quoi prolonger ce moment…

En passant, Encore Heureux est une des agences qui a concouru pour le projet de réhabilitation de notre école, et au sujet duquel nous attendons les résultats avec impatience. Pour patienter, et parce que je ne supporte pas la programmation musicale de Laure Adler, voilà une nouvelle version de Full House de Wes Montgomery jouée en play along à partir de la version de Jamey Aebersold.

 

Méthodologie : Lire et comprendre un texte

Je vous présente une petite méthodologie personnelle basée sur l’intérêt de l’emploi des couleurs lorsque l’on lit un texte avec pour but d’en chercher toute la profondeur. Elle a pris naissance avec l’utilisation des Stabilo fluo (en pochette de dix), ce qui est une extension du travail de lecture que l’on peut faire avec un seul Stabilo, voire un crayon à papier.

A partir d’un paragraphe, pris dans un article publié (donc bien écrit), je présente cette méthode. Le choix des couleurs se fait a priori, bien que je réserve le jaune pour les notes, le bleu pour les concepts, le rouge pour les conjonctions de coordination, et le vert pour les citations. Les barres rouges séparent les phrases. C’est aussi important de voir comment s’articule le texte. Dans le paragraphe ci-dessus, je cherche les oppositions, les enjeux conceptuels que l’auteur met en avant.

A partir du même paragraphe, j’effectue le même travail en prenant d’autre couleurs, ce qui permet d’approfondir l’analyse. Comme je ne dispose pas de dix couleurs, mais de cinq, l’idée générale est de faire ressortir des idées-forces, et les définitions que l’auteur donne à ces concepts. Tout dépend ce que l’on cherche. Les conjonctions servent à marquer un revirement ou une opposition. L’auteur cherche a démonter que l’action de jouer est un phénomène transitionnel chez Winnicott, un psychanalyste connu. Je vous renvoie à la lecture complet de l’article si vous voulez en saisir le sens.

Ici, j’ai commencé par souligner en bleu les noms des auteurs en jeu. On pointe alors la filiation depuis Freud jusqu’à Winnicott, en passant par Mélanie Klein. Les conjonctions sont toujours soulignées en rouge, les phrases ne sont pas découpées. Winnicott ne s’oppose pas aux travaux de Mélanie Klein, mais bifurque vers une théorie plus ouverte dans le prolongement de leurs travaux respectifs. Le vert pointe des éléments importants se rapportant à la notion de jeu, et notamment ici à l’avancée théorique. Le jaune souligne des éléments de phrase importante dans la compréhension du paragraphe. Ce codage est personnel, et l’importance des couleurs reprend une convention personnelle qui peut être redéfinie à chaque fois. Hormis le rouge qui peut être d’un emploi systématique, les autres couleurs servent à renforcer la pertinence des mots.

Je me sers de cette méthode également pour « corriger » les textes des étudiants. Dans ce cas, j’utilise les couleurs chaudes comme le rouge, le jaune ou le violet pour pointer des erreurs, mais aussi pour marquer les articulations des phrases, et les couleurs froides comme le vert et le bleu pour marquer les concepts, et les éléments bien pensés. Cette méthode m’aide à comprendre.

Vous pouvez utiliser cette méthode empirique pour relire vos propres textes et analyser des articles, des ouvrages ou toute sorte de textes. Cette méthode vous aidera à éclaircir votre pensée comme celle des auteurs, qui, d’une personne à l’autre, n’a pas la même logique. Sur vos propres textes, cette méthode fera ressortir les incohérences, les sous-entendus, les erreurs logiques d’articulation, etc. C’est une bonne manière pour aller plus loin.

=> Remi Bailly, « Le jeu dans l’œuvre de D.W. Winnicott », ERES, « Enfance & Psy », 2001/2, n°15, pp. 41-45

Subjectif, subjectivité

 

Lorsque Nonna Mayer s’attaque au travail monumental que Pierre Bourdieu initie avec La misère du monde, elle ignore sans doute qu’elle prendra ses distances d’avec la méthode de l’entretien pour ne recourir le plus souvent qu’à l’analyse statistique. Habillée en donneuse de leçon, et face à une critique pas toujours objective, la sociologue, devenue par la suite politologue, s’engage dans une critique bercée d’idéologie que l’on peut percevoir au détour d’une formule. Par exemple, lorsque l’auteure s’étonne : « pourquoi n’y a-t-il rien sur les organisations caritatives de toutes confessions, pourtant aux premières lignes de la lutte contre la misère ? » (Mayer, 1995 : 359), c’est ne pas voir ce poncif qui ferait des organisations caritatives des instruments de lutte contre la misère, alors qu’un point de vue plus objectif les positionnerait comme des structures organisant, gérant et finalement entretenant la misère (Terrolle & Bruneteaux, 2010).

De même, dans sa formule lapidaire « un bon sociologue n’est pas forcément un bon enquêteur » (ibid., 363), le lecteur s’étonne de l’emploi de l’adjectif « bon » qui par sa subjectivité et son renversement pose également des questions : un bon enquêteur est-il un bon sociologue ? Rien n’est moins sûr ! Cette pique lancée à l’encontre de Pierre Bourdieu témoigne d’une dureté d’âme à l’égard du sociologue, et si l’auteure constate à plusieurs reprises qu’en matière de méthodologie Bourdieu amorce un virement, change de posture, la posture de Nonna Mayer, elle-même réactionnaire mérite de s’interroger sur la validité de ses propos et de l’origine de cet article. Ce que nous ne ferons pas dans le paysage intellectuel des années 1995, des enjeux de lutte et de l’obtention des postes de prestige. Au demeurant, dans son travail de recherche, Nonna Mayer utilise peu, voire quasiment jamais, l’entretien. Cet article n’est autre qu’un exercice d’application d’une rhétorique sensée donner le change, montrer que Bourdieu se trompe, qu’il fait fausse route, etc. En d’autres termes, Nonna Mayer véhicule implicitement un discours réactionnaire, réducteur et de mauvaise fois, lorsque dans sa conclusion, elle signale, en parlant de la nouvelle génération de sociologues, qu’« ils intervieweront leurs amis et leurs proches, parce que c’est plus facile » (p. 369). J’enseigne justement le contraire, et passant sur le fait que le verbe interviewer ne caractérise pas le domaine de la sociologie dont il est question ici, nous dirons que cette forme conclusive est la tentative échouée d’un trait d’humour. Nous sommes d’accord : la proximité est une facilité de façade qui verse rapidement dans le non-dit et les sous-entendus. Il est beaucoup plus complexe de s’entretenir avec sa propre famille ou ses amis qu’avec un inconnu. Tous les sociologues savent cela. Mais cela n’empêche pas de pouvoir et/ou de vouloir le faire. Il appartient ensuite au chercheur d’objectiver ses rapports sociaux, sa propre subjectivité tout en continuant d’essayer de garder ses amis.

Dans La misère du monde, Bourdieu élabore une nouvelle palette d’outils épistémologiques, à partir de sa connaissance, de son expérience et des limites qu’il s’impose et qu’il impose à son équipe. Effectivement, il s’oppose aux tableaux statistiques et au traitement de l’analyse factorielle des correspondances de La distinction, car il souhaite se rapprocher des agents sociaux qu’il étudie, et leur donner la parole à partir de leur parole elle-même. Certes retravaillée, comme une transcription littéraire, afin de ne pas tomber dans la discrimination par le verbe.

=> Bourdieu Pierre. La misère du monde, (1993), édit. Seuil, 2007, 1460 p.

=> Mayer Nonna. « L’entretien selon Pierre Bourdieu. Analyse critique de La misère du monde ». In: Revue française de sociologie, 1995, 36-2. pp. 355-370

=> Terrolle Daniel & Patrick Bruneteaux. L’arrière-cour de la mondialisation, ethnographie des paupérisés, édit. Du Croquant, 2010, 403 p.

Chroniques d’un printemps perdu (5)

Edward Hopper, Morning sun, 1952, © DR

par Marine Pradon

Dimanche 10 mai 2020, Fer à cheval, Toulouse

J-1. Ça y est, l’heure est au compte à rebours. Demain ressemble au moment qu’on aurait rêver toute notre vie. Bien qu’à mon avis, il en sera autrement. La pluie va s’abattre sur le pays entier et inonder nos rues. Cela ressemble presque plus à un ultime avertissement qu’à un retour à la normale. Si quelqu’un pouvait m’expliquer pourquoi il a fait beau durant 7 semaines (sur 8) et que le jour de notre sortie tend à ressembler aux images du film le jour d’après de Roland Emmerich (2004).

La solitude est pesante, quoique parfois apaisante. Je crois que j’ai compris une chose dans ce confinement : la musique et les livres ont ce pouvoir de combler le vide. Le vide dans notre quotidien, ou le vide dans notre cœur. Et j’écris ce texte avec en fond les douces paroles de Living in a ghost town des Rolling Stones. Je crois qu’il n’y a pas vraiment de chanson plus appropriée aux circonstances que ce tube sorti il y a quelques semaines.

Demain devrait être un jour presque historique, après 56 jours de confinement, nous sommes « libres ». Mais au final, pour ma part il ne s’agit que d’un déconfinement à moitié. Le télétravail continue et je ne sais pas encore pour combien de temps. Je reste enfermée dans moins de 20m2 à travailler sur un ordinateur bien trop grand pour si peu d’espace. Ces conditions me donnent de plus en plus l’impression que mes pensées sont aussi enfermées dans 20m2. Comment l’architecte (ou l’architecte en devenir), qui puise sa créativité au contact des autres et de l’extérieur peut-il travailler efficacement dans une pièce de 17m2 tout au plus ?

Alors j’ai dû apprendre à m’adapter. Peut être aussi car je savais que cette situation serait temporaire. J’ai pu m’impliquer dans mon travail et rester concentrée, mais cela ne peut pas durer éternellement, je le sais. Cette date de véritable déconfinement, je ne la connais pas encore, et c’est frustrant. Frustrant d’apprendre ce métier au travers d’échanges téléphoniques et de visio-conférences.

Nous avons tous dû apprendre à gérer le confinement. Certains dans moins de 20m2 seul, d’autres dans des maisons à la campagne, mais avec 3 enfants à qui il faut faire école; d’autres sur la route entre la maison et le service Covid de l’hôpital où chaque jours on enfile une blouse et un masque 200 fois par jours. Et au final, toutes les situations sont différentes, autant qu’il y a d’individus confinés. Nous ne réagissons pas de la même façon à cette situation. Mais ce qui est sûr, c’est que nous avons tous pris conscience que la vie ne ressemblerait plus à celle que nous avions 2 mois plus tôt. En tout cas, pas en 2020. On retentera notre chance en 2021, peut-être sera-t-elle plus clémente cette fois.

Je n’ai pas vraiment envie de faire de plan sur la comète, imaginer à quoi pourrait bien ressembler cette journée du 11 mai 2020, je risquerai d’être déçue.

« I’m a ghost, living in a ghost town, i’m going nowhere »

 

Rue Cany, Toulouse, © Marine Pradon 2020

 

=> Edward Hopper, Morning sun (1)

=> Edward Hopper, Morning sun (2)

=> Rolling Stones, Living in a ghost town

Interlude : Wes Montgomery Full House theme

John Leslie Montgomery, dit Wes Montgomery (1925-1968), © DR

Un peu de culture ne nuit pas, et dans ces temps de confinement, voici une version massacrée du thème de Full House de Wes Montgomery (1925-1968). Cet autodidacte débute la guitare jazz à 19 ans, alors qu’il souhaite reproduire les solos de Charlie Christian (1916-1942). Ouvrier métallurgiste le jour, il s’entraine et joue la nuit dans les clubs de jazz d’Indianapolis (Indiana) dont il est originaire. Comme il travaille sa guitare le soir, et qu’il ne veut pas déranger ses sept enfants, il joue avec le pouce, une technique qui le rendra célèbre (ainsi que son jeu des doubles cordes à l’octave).

Full House date de 1962. A l’époque, Wes Montgomery a 37 ans. Il se produit en Europe, en Belgique (1965), Londres, Hambourg, hauts lieux du jazz des années 1960.

Voici le thème de Full House interprété par mes soins, qui évoque pour moi le rapport musique et ville des années 1960. Evidemment avec deux guitares ça paraît un peu sec, mais avec de l’imagination… et de l’indulgence. Une version avec solo viendra peut-être plus tard.

 

Wes Montgomery (1925-1968), et sa célèbre L-5 CES © DR

Pendant le confinement, certaines choses s’arrêtent…

La pratique du vélo en ville, photomontage

 

De nombreuses recherches ont été impactées par le confinement depuis le 16 mars dernier. C’est le cas pour toutes celles qui s’occupent des mobilités, et principalement du vélo en ville. J’ai également dû arrêter mon enquête sur le mouvement Castors toulousain, au moins les entretiens. Les contraintes en matière de sortie excluent la pratique du vélo pour les loisirs; seuls les déplacements pour aller faire les courses ou aller au travail sont autorisés.

Il faut donc prendre le temps de réfléchir à cette situation inédite et repenser notre rapport à la recherche. Évidemment, ce temps de confinement est propice à l’écriture, à la lecture et à la réflexion. Cependant, l’état psychologique général associé aux contraintes familiales (l’école à la maison des enfants, le partage de l’espace domestique, la gestion des tensions familiale, etc.) laisse une part d’incertitude quant à l’efficacité du temps consacré. En d’autres termes, on va moins vite et on fait moins de choses parce que le rapport au temps et à l’espace ont changé.

 

Carte de l’état de la pollution de ce matin, http://aqicn.org/map/toulouse/fr/

 

Pourtant il y a des choses qui changent, comme cette carte de la pollution en France qui montre une nette amélioration. J’avais montré la même carte en 2017 (malheureusement l’image a disparue), et l’ensemble virait davantage sur le jaune, voire l’orange. Aujourd’hui tout est vert, à par un capteur à Toulon, suite à un incendie. Cela dit, nous nous éloignons du sujet.

La pratique cycliste a considérablement régressée ces dernières semaines, laissant le temps de penser à l’après confinement, et aux nouvelles questions que nous allons pouvoir poser. Va-t-il y avoir une envolée de vélos en ville ? Les cyclistes vont-ils se saluer en se croisant ? Globalement, les cyclistes seront-ils plus affables et plus propices à la discussion ? Les gens vont-ils laisser leur voiture au garage et prendre une bicyclette ? La crise aura-t-elle permis une prise de conscience à l’échelle individuelle comme mondiale ?

Pour nous permettre de réfléchir davantage, voici le texte d’Edgar Morin proposé par la MJC du Roguet. Il s’agit d’un texte profond qui ne laisse aucune perspective à nos fonctionnements actuels et interroge sur nos certitudes comme sur nos incertitudes. Après tout, c’est bien l’humanité qui est responsable de cette situation. La réponse doit donc être collective.

Pour pousser un peu notre réflexion d’un cran, la MJC du Roguet a ajouté ce lien du mouvement Fridays for Futur qui devrait aider les derniers sceptiques à prendre une décision.

Les couilles sur la table et les gender studies

 

Dit comme ça crument, ça peut paraître un peu osé. Mais le titre est explicite et parle bien de ce rapport du genre que les sciences sociales classent dans les gender studies. Dans ses émissions, Victoire Tuaillon s’intéresse à la question du genre, ou plutôt du rapport entre les hommes et les femmes. Le genre, c’est autre chose que les hommes et les femmes car les sciences sociales ont montré qu’être un homme ou une femme relève d’une construction sociale. Et c’est à l’occasion du confinement que j’ai été écouter certains podcasts plus particulièrement axés sur la ville, comme celui du géographe Yves Raibaud venu parler des villes viriles.

Là, je recopie le texte que l’on trouve aussi sur le podcast.

« La façon dont nous investissons la rue, les bars ou les transports dépend beaucoup de notre genre. Qu’est-ce que ça veut dire, de grandir et de vivre comme un homme en ville ? Comment les choix d’urbanisme et d’architecture façonnent-ils les masculinités contemporaines ? Pourquoi les hommes se sentent autorisés à stationner dans l’espace urbain, et les femmes à seulement le traverser ? On discute du nom des rues, des skateparks, des statues avec le géographe Yves Raibaud, auteur de “La ville faite par et pour les hommes” (éditions Belin). »

Sur le podcast du blog de Victoire Tuaillon

Voilà un sujet qui devrait intéresser toutes et tous les architectes de ce séminaire, car elles ou ils auront affaire à ce genre de barrières, ou de frontières, ou de limites tout au long de leur carrière. Cela me conduit à relire un article un peu ancien (à l’échelle d’un étudiant) d’Alain Birh et Roland Pfefferkorn sur la domination masculine. « Comme les inégalités sociales, celles entre sexes se répètent et se cumulent : elles s’engendrent et se nourrissent mutuellement, en multipliant les avantages au profit des uns et les handicaps au détriment des autres ». Je recherchais un autre article dans les archives du Monde Diplomatique, mais je ne l’ai pas trouvé.

Les podcasts de Victoire Tuaillon sont assez singuliers, très vivants et crus dans leur manière d’aborder concrètement la problématique. Au départ, on se penche sur le nom des rues, « 94% des rues ont un nom de mec »…

Une série de podcasts (73 à ce jour) qui dépasse la question de la ville, mais qui aborde toujours la question du genre. Et dans ce contexte de confinement, ces émissions sont à écouter sans modération. Pour aller plus loin, on ira lire l’ouvrage d’Yves Raibaud, et peut-être aussi ceux de Didier Eribon.

 

 

=> Yves Raibaud, La ville faite par et pour les hommes, Paris : Belin, 2015

=> Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table, Paris : Binge audio, 2019

 

Chroniques d’un printemps perdu (4)

Marine confinée, © Marine Pradon, avril 2020

Lundi 20 avril 2020, Fer à cheval, Toulouse

par Marine Pradon

Eh oui ! notre vie « d’avant » ne reprendra pas tout de suite. Il reste encore beaucoup de questions sans réponses aujourd’hui, alors que nous entamons nos 5 semaines de confinement. Les semaines se ressemblent toutes, et elles vont continuer à se ressembler. Le télétravail me permet de maintenir un rythme qui m’est indispensable. Le télétravail ne cessera pas le 11 mai, ce sont encore de longues semaines de travail à la maison qui s’annoncent. Mais j’ai de la chance de pouvoir continuer mon stage durant cette période. Cette année pour moi était une année charnière. Avant d’entamer ma dernière année d’étude, et après être rentrée d’un an à l’étranger, il m’était indispensable de me rapprocher du métier qui va devenir le mien. Je voulais être sûre de mon choix, appréhender au mieux toutes les contraintes qui s’appliquent au métier d’Architecte. Je savais d’ores et déjà que cette année serait riche d’apprentissages.

Mais cela surpasse mon entendement. Il a fallu s’adapter, d’abord d’une structure à une autre, car j’avais fait le choix de scinder mon année en deux, dans deux entreprises différentes. Mais il a fallu s’adapter également à cette crise sanitaire. Il a fallu comprendre les mécanismes de l’entreprise et les répercussions qu’un tel confinement pouvait provoquer. L’économie du pays entier est touchée, et les petites entreprises sont, malgré les mesures mises en place par l’État, les plus fragiles. Il a fallu s’adapter et répondre présent. Le télétravail n’est pas une situation facile, bien que dans ce secteur cela reste plus adapté que dans d’autres. Mais le télétravail implique une communication parfois plus lente et plus difficile que d’habitude.

Pour ma part il est difficile de séparer le travail du privé, puisque depuis 3 semaines, les deux sont confondus. Je dors, je déjeune, je me douche, je me repose à mon lieu de travail. Inversement, je travaille, je téléphone, je participe à des visioconférences sur mon lieu de vie personnel. La limite n’existe plus, d’autant plus que mes relations sociales personnelles n’existent qu’au travers d’un écran. Cette situation nous rend davantage dépendants des nouvelles technologies, mais sans elles nous ferions face à une crise, il me semble, bien plus grave.

Même si de s’habituer à ces nouvelles méthodes de travail n’est pas facile, je sais que cela reste temporaire. Bien que cette situation puisse durer jusqu’à la fin de mon stage, ce qui correspondrait à 4 mois sur 5, je m’estime chanceuse d’avoir pu continuer cette activité. Je le prends comme une chance, une chance de pouvoir améliorer mes capacités d’adaptabilité, d’autonomie et de communication.

Et puis je pense à Mary Mallon qui a passé 26 ans de sa vie confinée de force, car porteuse saine d’une maladie contagieuse, et je me dis que nous sommes chanceux tout compte fait. Relativisons…

Il s’agit donc d’une année riche d’apprentissages, autant sur le plan professionnel, que personnel. Se retrouver seul et isolé nous permet aussi de ralentir nos vies l’espace d’un instant et de profiter des petites choses de la vie. Mais il ne faut pas se mentir, les moments de repos et les week-ends sont souvent propices à l’ennui. Dans moins de 20m2, les activités sont largement réduites, et il faut se le dire, on se lasse trés vite de ces 4 murs. Mais cela me laisse le temps aussi d’effectuer une petite rétrospective de ces 22 dernières années. Vous savez toutes ces (bonnes) résolutions qu’on prend chaque premier janvier, qu’on ne tient jamais. Alors j’ai décidé qu’après ce confinement, l’heure des vraies bonnes résolutions serait arrivée. C’est maintenant ou jamais. Mieux consommer, consommer local pour aider les producteurs de nos régions qui sont touchées de plein fouet. Marcher davantage et ne prendre les transports en commun qu’en cas de stricte nécessité. Avant je prenais le tramway tous les matins pour me rendre à mon stage, alors qu’il ne me faut que 5 minutes de plus pour faire ce même trajet à pied. Diminuer mon empreinte carbone et rationaliser mes trajets en voiture en faisant davantage de covoiturage (avec un masque tant que ce virus se ballade impunément, évidemment). Faire du sport en plein air. Profiter de mes amis, simplement et pleinement. Dire à mes proches que je les aime, sans avoir à le remettre à plus tard. Prendre des nouvelles des personnes à qui je tiens.

Lire. Dessiner. Profiter. Rire, oui rire, c’est important !

L’après confinement et le métier d’architecte

Illustration pour une ville dystopique, récupérée sur https://rcf.fr/culture/la-dystopie, © DR

 

Une fois mis de côté toute cette pesanteur du climat qui nous entoure, nous pouvons peut-être espérer penser à l’après confinement.

La MJC du Roguet met à notre disposition et notre esprit critique une nouvelle série de textes, issus pour la plupart, cette fois, de philosophes. Sans vouloir radoter, il est intéressant de se pencher sur QUI écrit QUOI. C’est d’ailleurs ce principe qui préside à la fondation d’une méthode critique d’analyse qui part de l’idée que l’auteur apporte ou influence déjà par sa position et ses dispositions. Dans ce que Pierre Bourdieu nomme la théorie des champs, chacun d’entre nous est placé à un endroit précis sur l’échiquier social, à un moment donné et dans un champ donné. Cette place est repérée par une position social (statut professionnel, héritage, piston) issue en partie par des dispositions particulières (diplôme, capital culturel, capital social, réseau de relations, etc.). Comme les champs sont au centre d’enjeux de lutte, pouvoir comprendre de quelle place parle un auteur en dit aussi long, ou tout autant, que l’article lui-même.

L’article de Camille Ferey, doctorante en philosophie à Nanterre, interroge sur cette sorte de manichéisme présent dans le découpage du monde qui nous entoure. N’y aurait-il que d’un côté des bons et disciplinés citoyens, et de l’autre, des mauvais et méchant récalcitrants ? En lutte contre l’individualisme méthodologique, doctrine chère au sociologue Raymond Boudon, calquée sur la doctrine économique capitaliste, Camille Ferey explique que « L’individualisme méthodologique, c’est cette petite voix à la fois grisante et terriblement culpabilisante qui nous murmure ou nous aboie, selon les circonstances, que les phénomènes sociaux sont le résultat direct de nos actions individuelles, que chacun de nous peut provoquer ou empêcher le réchauffement climatique, ou la diffusion planétaire d’une pandémie mortelle. »

C’est cette idéologie que nous voyons à l’œuvre et qui essaie de nous faire croire que nous sommes responsable des causes et des conséquences du Covid-19. « Transformer les comportements plutôt que les modes de production et d’organisation collective, c’est là une stratégie vieille comme le capitalisme. » Aussi, selon elle, il ne s’agit pas de se laisser berner par cette propagande et d’agir dès aujourd’hui pour penser notre monde de demain. Pour Camille Ferey, la société entretient nos peurs, qu’il nous faut dépasser pour prétendre aller plus loin. « Il est urgent de reconnecter la responsabilisation avec la possession du pouvoir, sans quoi les crises entraineront sans relâche un usage autoritaire et arbitraire de la force. »

Illustration du film Arès de Jean-Patrick Bènes, 2016, récupérée sur http://www.syfantasy.fr/23412-une_premire_bandeannonce_pour_ars_la_dystopie__la_francaise

Une réflexion qu’il ne faut pas négliger si l’on veut comprendre le monde. Et qui sera appuyée par l’article assez court du second intervenant. Pour le philosophe Michaël Foessel, professeur à l’Ecole Polytechnique, « Chacun fait désormais pour soi-même l’expérience de ce que le coronavirus ne vient pas de nulle part.  » Et il ajoute : « Que gagnerait-on à reproduire les causes qui, de la réduction du nombre de lits d’hôpitaux à la délocalisation de la production des moyens de survie, ont mené la moitié de l’humanité au confinement ? »

Mais pointer les responsables ou la responsabilité ne suffit ni pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, ni comment nous allons pouvoir en sortir ? Michaël Foessel dresse le bilan d’une planète à la déroute, et amorce à travers son questionnement une tentative de prise de conscience. Et si ce qu’on connaissait avant n’était, en définitive, pas si mal ? Il faudra donc faire le tri, en espérant que l’après ne soit pas pire.

Lorsque j’avais dix ans, je m’étais membre du WWF, par amour pour les animaux, et parce que l’emblème de la fondation était bien sympathique. Le petit panda paraît bien innocent même si dans l’animalité il y a une violence sous-jacente. La lettre du WWF renvoie à nos responsabilités en matière d’écologie : « Les pressions que nous exerçons sur la nature à travers nos modes de consommation et de production non soutenables sont en grande partie à l’origine de la crise sanitaire. » En demandant l’instauration d’un « filet de sécurité » le WWF fait l’annonce d’un véritable programme politique. En relayant l’appel d’Isabelle Autissier, présidente du WWF, cette lettre appelle à la réflexion pour une prise de conscience immédiate et sans concession.

« Brno est une très belle ville, pleine d’opportunités, d’entreprises et d’étudiants », CCI France Internationale, source https://www.ccifrance-international.org/le-kiosque/economie-business/n/brno-le-paradis-des-entreprises-technologiques-1.html, © DR

La dernière contribution est encore le fait d’un philosophe, Abdennour Bidar, qui émane d’un blog. Une fois encore, je précise que je ne suis pas responsable de ces choix, mais qu’il me paraît intéressant d’en proposer le contenu à la réflexion de ce séminaire, étant entendu que ces choix ont été l’objet d’intentions conscientes ou inconscientes de la par de la MJC du Roguet.

Dans ce post, Adbennour Bidar , « français issu d’une famille de convertis à l’islam par le soufisme », propose l’idée que nous étions déjà confiné avant le confinement. Pensons alors à cette sortie de crise sur le mode du changement. « À tout faire, tous ensemble, pour qu’ait lieu enfin la grande révolution que nous attendons hors de ce système insensé qui détruit tout le vivant, nature et société, qui asservit nos existences et étouffe nos âmes… » Car il ne suffit pas croire en un lendemain meilleur, avec un certain optimisme, si nous ne mettons pas la main à la pâte. « Notre optimisme n’aura donc raison que si nous sommes assez nombreux à prendre, dans cette période même de confinement, la décision, la vraie détermination à ressortir demain de chez nous pour nous engager, nous battre au quotidien et au long cours, en commençant par changer notre propre façon d’être et de vivre. »

=> Ensuite, nous avons un manifeste pour un après meilleur qu’un avant. Je laisse le soin à chacune et chacun de lire ces textes et de prendre le temps de réfléchir à votre futur métier d’architecte. Quel texte préférez-vous et pourquoi ? Quelle sera votre responsabilité dans la construction d’une ville ? De l’urbanisme tactique à l’écologie urbaine, il y a différents moyens d’entrer en résilience, selon les vœux d’Isabelle Autissier. Quelle voie choisirez-vous ?

 

 

Chroniques d’un printemps perdu (3)

JAN I BRUEGHEL L’ANCIEN Danse de noces © Mairie de Bordeaux, Lysianne Gauthier

 

Vendredi 17 avril 2020, Fer à cheval, Toulouse

par Marine Pradon

J-32. Plus d’un mois est passé, on pourrait croire que nous sommes plus proche de la fin de ce confinement que du début. Pourtant, une étrange sensation m’envahit. Cette sensation que le plus dur reste à venir. Nous ne retrouverons sans doute pas notre « vie d’avant » de sitôt. La vie reprendra son cours petit à petit et cette année restera gravée dans nos mémoires, c’est certain. Comme il est étrange ce sentiment que le temps a cessé de s’écouler. Les journées sont quasiment toutes identiques, la routine s’installe et on s’y habituerait presque, comme si nous avions toujours vécu dans cette situation. Mais j’avoue que mes 17m2 commencent à me sembler étroit, alors la nuit je rêve de la plage, d’espaces immenses avec pour seule limite l’horizon.

Ces temps-ci, un flou s’installe, sur tout ce qui se passe à l’extérieur, sur ce que ressentent les 3 milliards d’êtres humains confinés. Mais surtout sur l’avenir. Je pense à ceux qui vivent dans la précarité et l’insécurité. Je pense à ceux qui ont la chance d’avoir de grands espaces et d’être entourés par les personnes qui leur sont chères. Je pense aux femmes qui sont enfermées avec un homme violent, mais aussi aux hommes qui peuvent subir des maltraitances. Je pense aux enfants qui vivent ce genre d’horreur, cette prison dans laquelle ils sont enfermés sans moyen de s’en échapper. Je pense aux personnes âgées sans les visites de leurs proches. Je pense aux personnes fragiles, je pense aux soignants, à tous ceux qui œuvrent depuis toujours dans l’ombre.

Tous nos plans sont chamboulés, l’avenir est incertain. Nous sommes contraint à vivre au jour le jour.

Mon immeuble est quasiment vide, nous ne sommes que quatre à être resté. Les autres sont sans doute rentré dans leur famille. Lorsque nous nous croisons nous échangeons quelques mots, à distance bien évidemment. Cela fait du bien d’échanger quelques mots. L’Homme est un être sociable. Le partage, le contact avec autrui sont des caractéristiques de notre humanité. Comme cela me manque de partager des moments avec mes amis, ma famille, d’échanger un sourire avec un inconnu dans la rue par simple politesse. Comme cela me manque de ne plus embrasser ma mère, de ne plus rire avec mes amis en buvant une bière en terrasse, de ne plus cuisiner avec mon père. J’ai pourtant l’habitude de vivre loin de ma famille, cela fait 5 ans bientôt que j’ai quitté le nid, que je me suis installée à 700km de chez moi. C’est ici chez moi maintenant, à Toulouse. Mais aujourd’hui, jamais ma famille ne m’a autant manquée. Alors je dirais que chez moi, c’est ici, et partout à la fois, ce sont ma famille et mes amis mon véritable « chez moi », parce que ces temps-ci, la seule véritable liberté qu’il nous reste est celle d’aimer nos proches.

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