La place de l’oral à l’école : dire pour moins souffrir

Mis en valeur aux épreuves du brevet et du baccalauréat, l’oral semble prendre une place de plus en plus grande dans le parcours des élèves de collège et lycée, et l’engouement pour les concours d’éloquence, les ateliers de lecture à voix haute, la réalisation de podcasts ou de conférences façon Ted Talk illustrent à quel point la parole des élèves est encouragée, dans le but de développer un nombre varié de compétences.
Certaines peuvent apparaître principalement scolaires, telles que :
  • s’exprimer de façon maîtrisée
  • lire de manière expressive
  • réciter des poèmes ou interpréter des textes de théâtre
  • présenter un exposé avec clarté
Ainsi, dans mes cours de français de 1ère, le travail sur l’oral consiste principalement à interroger les élèves sur des textes, puis à les préparer de manière argumentée et chronométrée à proposer des explications linéaires et expliciter le choix d’une œuvre intégrale lue au cours de l’année. Comme on le voit, il s’agit dans tous les cas d’exercices très codifiés portant sur un sujet prédéfini, poussant les élèves à apprendre par cœur une trame développée par l’enseignant pour convaincre, in fine, un examinateur. Pourtant, d’autres compétences liées à l’oral qui apparaissent dans le socle commun de connaissances de compétences et de culture mettent l’accent sur d’autres habiletés. Je pense notamment à :
  • débattre en restant nuancé et en prenant en compte ses interlocuteurs
  • exprimer ses sentiments et ses émotions en utilisant un vocabulaire précis
  • résoudre les conflits sans agressivité
  • éviter le recours à la violence grâce à sa maîtrise de moyens d’expression, de communication et d’argumentation
Ces compétences sociales et émotionnelles ne sont pas purement académiques et excèdent le seul cadre scolaire. Elles visent à permettre à tout élève, comme on le trouve inscrit dans le socle, de “réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen.” Si ces objectifs sont louables, force est de constater cependant qu’aucun programme officiel ne permet à l’élève d’apprendre à “résoudre les conflits  sans agressivité” ni à “exprimer ses sentiments et ses émotions en utilisant un vocabulaire précis”. D’ailleurs, sur quels temps ces compétences doivent-elles être travaillées ? Pendant les 10 heures de vie de classe avec le professeur principal ? Pendant la demi-heure hebdomadaire d’éducation morale et civique avec le professeur d’histoire-géographie ? Pendant les heures d’accompagnement personnalisé consacrées à l’orientation et au soutien scolaire ? Et quels enseignants ont été formés au développement de ces compétences ? Lesquels sont explicitement désignés pour s’en charger ? Le fait est qu’il n’y a pas de place dans les emplois du temps ni dans la formation des professeurs pour favoriser leur acquisition, et qu’elles restent de l’ordre de l’implicite. Pourtant, il serait indispensable d’apprendre aux élèves à verbaliser leurs ressentis, à mieux gérer les conflits inhérents à toute vie sociale, à exprimer leurs besoins de manière non violente, avant que la frustration ne conduise à l’explosion. On a encore tendance à intervenir a posteriori, quand les problèmes de moqueries, d’insultes, de coups, de pleurs, de cris, se posent et qu’il est trop tard. Dans les pays qui développent des programmes et qui dédient des temps à ces compétences sociales et émotionnelles, la relation entre les professeurs et les élèves devient plus personnalisée et plus soutenante, les échanges deviennent plus authentiques, car détachés de toute évaluation et centrés sur la sécurité physique et affective, pas seulement sur les performances scolaires. Les recherches montrent ainsi que ces établissements voient chez leurs élèves les problèmes de comportements, d’absentéisme et de souffrance psychologique diminuer, et les résultats scolaires augmenter. Sur le long terme, ces compétences réduisent les chances de s’engager dans des conduites délinquantes ou à risques, favorisent le bien-être psychologique ainsi que l’insertion dans la vie professionnelle et sociale. Appelées “soft skills” en anglais ou compétences douces, les prendre en compte à l’école contribue à assouplir les relations à soi et aux autres, et à améliorer le climat scolaire : qui dit mieux ? Nathalie Anton Le Potentiel caché de votre ado, Eyrolles (2018)  

« Préliminaires » : un documentaire saisissant sur l’entrée dans la sexualité des ados

A l’orée de ces vacances scolaires, que je souhaite excellentes à tous, en espérant notamment que le succès aux examens aura été au rendez-vous, je voulais évoquer ce documentaire édifiant intitulé Préliminaires”, réalisé en 2019 par Julie Talon et diffusé sur Arte, qui évoque l’entrée dans la sexualité des collégiens et lycéens, et les étapes obligées qu’elle implique. 

Des jeunes de 12 à 23 ans parlent avec pudeur mais sans fard de ces nouveaux rites qui jalonnent un passage souvent éprouvant et humiliant vers des relations sexuelles enfin consenties et épanouies. On y découvre leur désarroi face à des actes présentés comme “démystifiés”, “institutionnalisés”, à faire “dans un certain ordre”, pour éviter de faire partie des “cassos” (les ringards) ou des “ché-quo” (les prudes). L’idée que “tout le monde le fait”, reposant sur  des vantardises souvent fausses, conduit à accepter des attouchements ou des fellations au prétexte que “c’est normal” ou que ce n’est pas “du vrai sexe”.

L’éclairage que ces adolescents et jeunes adultes apportent sur la pression sociale exercée sur les corps à épiler, sur la culture des sextos, des nudes (ou photos de soi dénudées) et des dick picks (photos de sexes en érection), ou encore sur les pratiques banalisées de strangulation ou de pénétration anale mises en scène dans les vidéos pornographiques est incontestablement assez sombre.

La question du consentement y est ainsi abordée de manière frontale : comment savoir s’il ne faut pas se forcer pour passer ces étapes ? Comment se faire accepter sans en passer par là ? Comment exprimer son ressenti à quelqu’un qu’on connaît mal ? Comment dire “je n’ai plus envie” quand les choses sont déjà engagées ?  Combien de jeunes savent que toute pénétration non voulue, y compris digitale ou buccale, constitue un viol ? Tous s’accordent sur le fait que s’il est important d’apprendre à dire non, il est encore plus impératif d’apprendre à l’entendre : “Je disais non non non, et finalement j’ai dit oui pour me laisser faire” ; “C’est un compromis” ; “Au moins, ça met pas de complication dans l’histoire, je le fais, c’est pas si grave”… Les situations d’agression sexuelle et de viol affleurent, avec la difficulté d’en parler ensuite, “par peur”, “par honte”, “parce qu’on ne parle pas de sexe avec ses parents. Et ces situations concernent majoritairement les filles, l’égalité de genre étant malheureusement loin d’être acquise dans ce domaine où l’homme doit posséder le corps des femmes et faire valoir avant tout son propre plaisir.

Autre source de peur et de honte, celle de l’homosexualité notamment masculine, toujours très peu acceptée : les risques de moqueries, d’insultes, de coups empêchent les jeunes homosexuels de vivre des histoires amoureuses comme les autres. “Ce qui est apparu dans mon ventre, ce n’était pas des papillons, c’était un monstre”, explique avec émotion un jeune homme décrivant le moment où il a pris conscience qu’il était attiré par les garçons. “Je suis en colère contre tous les adultes qui m’ont laissé comme ça… Vous n’entendiez pas dans les vestiaires quand on me traitait de pédé, quand on me touchait les fesses dans la cour de récréation ? Je suis en colère contre mes proches, aussi : j’aurais bien aimé qu’ils se manifestent un peu plus et qu’ils me disent : t’es pas un fléau.

Incontestablement, c’est ce silence qui règne encore en maître entre les amants, les amis, les enfants et leurs parents, les élèves et leurs enseignants qu’il faut pouvoir briser, et c’est tout l’enjeu de ce documentaire essentiel qui libère non seulement la parole des jeunes, mais qui nous offre l’occasion d’en parler.

Nathalie Anton

Les garçons et l’homophobie à l’école

Savez-vous que l’insulte « pédé » est celle qui est la plus utilisée dans les cours de récréation ? Même si certains élèves la profèrent par habitude, sans totalement adhérer à ce qu’elle signifie, les enfants saisissent dès le plus jeune âge que le fait d’aimer quelqu’un du même sexe est condamnable, voire dangereux, puisque d’après l’association SOS homophobie, les insultes se doublent de mises à l’écart, de harcèlement et d’agressions.
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/MDE/53/4/Dossier_formation_LGBTphobies_Academie_Poitiers_2019_1125534.pdf
  • Pourquoi parler des garçons aujourd’hui ?
Parce que ce sont ceux qui sont le plus exposés aux insultes homophobes à l’école, comme le révèlent les enquêtes de climat scolaire, et ceux qui témoignent le plus d’agressions auprès de l’association SOS Homophobie (environ 70% de témoignages proviennent d’hommes, contre 30% de femmes).
  • Comment expliquer ce décalage ?
Par le fait que l’homophobie ne repose pas seulement sur le rejet de l’amour qu’un individu éprouve pour une personne du même sexe, mais sur une dévalorisation du féminin par rapport au masculin. L’idée qu’un homme puisse se comporter comme une femme, en adoptant des traits perçus comme féminins, ou en tombant amoureux d’un autre homme, voire en étant passif car pénétré dans la relation sexuelle reste encore pour beaucoup inconcevable. L’insulte « enculé » est à ce titre tout à fait explicite.
  • D’où vient cette dévalorisation du féminin ?
Culturellement, la différence morphologique liée à la reproduction entre les sexes a conduit à une vision complémentaire des rôles, des aptitudes et des traits de caractère : schématiquement, ce que la femme fait, l’homme ne le fait pas ; ce que l’homme est, la femme ne l’est pas. Or cette division des qualités a conduit à une hiérarchie entre les sexes : l’homme est perçu comme le sexe « fort », courageux, autonome, raisonnable, alors que la femme, apparentée au sexe « faible », serait fragile, dépendante et émotive. L’homme, plus spirituel, est vu comme celui qui conquiert, qui entreprend et qui innove, tandis que la femme, perçue comme plus instinctive, a été longtemps cantonnée à mettre au monde, soigner et nourrir. Même si ces stéréotypes de genre évoluent fort heureusement, notamment grâce à la loi qui accorde désormais les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes, il reste plus aisé de valoriser les traits masculins chez une petite fille, que les traits féminins chez un petit garçon. Féminiser le masculin comporte en effet toujours la crainte de dégrader l’image que l’on se fait d’un homme, alors que masculiniser le féminin consiste à rajouter des qualités à une femme. Les preuves abondent : pensez aux pantalons ou couleurs vives autorisés pour les petites filles alors que les robes et le rose sont encore à proscrire pour les petits garçons ; ou bien aux activités sportives compétitives encouragées pour les filles alors que celles impliquant la grâce sont plus boudées par les garçons ; ou tout simplement au fait de valoriser qu’une petite fille soit « presque » un garçon à travers l’expression « garçon manqué », alors qu’à l’inverse, « une fille manquée » pour désigner un garçon est tout bonnement impensable : on sent bien qu’il s’agirait d’une double dégradation, celle d’être une fille, et ratée en plus ! Méfions-nous par conséquent de nos propres biais, et pensons à ne pas enfermer nos garçons dans les cases du virilisme et de l’hétéronormativité. L’homophobie et le sexisme sont intimement liées. Pour lutter contre la honte et la peur qui nourrissent le rejet des différences, il convient de valoriser toutes les qualités chez nos enfants, quel que soit leur sexe, de condamner tout propos ou attitude sexiste et, bien sûr, de mettre en avant le fait que les relations amoureuses entre personnes du même sexe existent ! Nathalie Anton
https://www.eyrolles.com/Loisirs/Livre/le-manuel-qui-dezingue-les-stereotypes-9782416000126/