Plateformes numériques : renouveler les politiques de concurrence en Europe

Dans la dernière note du Conseil d’analyse économique (CAE) publiée en octobre 2020 (« Plateformes numériques, réguler avant qu’il ne soit trop tard« , note CAE n°60, voir lien ci-dessous), les économistes français Marc Bourreau et Anne Perrot (photo ci-dessous) examinent les bouleversements de la concurrence consécutifs à l’implantation des grandes plateformes numériques sur le marché européen.

Ils montrent notamment que ces plateformes sont devenues structurantes de l’économie numérique et conduisent à un processus assez inédit de concentration du capital (et par conséquent de réduction de la concurrence) pour deux raisons qui se combinent :

  1. D’une part, ces activités induisent des économies d’échelle considérables qui impliquent de produire à des volumes très élevés pour amortir les coûts fixes. Par exemple, le cout d’installation, d’entretien et de consommation énergétique des grands data center de Google ou Facebook ne peut être amorti et donc ne peut garantir la pérennité du Business model de ces firmes que sous la condition que le nombre d’usagers du service est très élevé.
  2. D’autre part, il existe un « effet réseau » de la consommation de ces services numériques qui incite à la concentration et valide le principe du « winner takes all« . Par exemple, les usagers qui déposent des vidéos sur Youtube  ont intérêt à ce que celles-ci aient la plus grande visibilité ce qui suppose que le nombre d’usagers de Youtube soit très élevé (cela explique l’échec du français Dailymotion).

En s’appuyant sur des données statistiques robustes, M. Bourreau et A. Perrot dressent 5 constats relatifs à l’évolution du marché du numérique :

a) les GAFAM ont acquis en Europe et dans le monde d’un pouvoir de marché qui les place dans des positions très dominantes sur le secteur du numérique.

b) Les GAFAM disposent de deux business models, un tarifaire (commerce en ligne, vente de système d’exploitation, Amazon, Apple) et l’autre non tarifaire (captation des données des usagers pour les vendre à des entreprises commerciales – Facebook, Instagram, Google) qui se sont révélés particulièrement lucratifs ces dernières années.

c) dans le business model n°2, les données collectées on d’autant plus de valeur qu’elles sont concentrées dans les mains d’une seule plateforme (renforcement du principe « winner takes all »).

d) Les GAFAM ont érigé de fortes barrières à l’entrée sur leurs marchés respectifs.

e) Le fait que ces plateformes se situent sur la frontière technologique exacerbe certaines pratiques anticoncurrentielles (les innovations numériques incitent aux abus de position dominante).

En fin de compte, les auteurs montrent que les effets négatifs sur la concurrence et par conséquent sur l’efficience économique que ces plateformes numériques produisent sont tout à fait significatifs. Une politique de la concurrence plus vigoureuse est requise mais les autorités européennes doivent cependant être attentives à ne pas utiliser trop promptement l’arme du « démantèlement » (Perrot et Bourrreau indiquent qu’il doit s’agir d’une intervention en dernier recourt). Les auteurs plaident en revanche pour un renforcement des politiques préventives : être plus vigilant sur la mesure des abus de position dominante, instaurer une régulation du numérique dont la compétence serait de contrôler la collecte et l’usage des données des utilisateurs avec logiquement un pouvoir de sanction, stimuler l’ouverture et l’installation de plateformes alternatives notamment de type associatives, non gouvernementales, laboratoires d’idées, etc.

Le lien vers l’article :

http://www.cae-eco.fr/plateformes-numeriques-reguler-avant-qu-il-ne-soit-trop-tard

 

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