Bien souvent les éducateurs et les éducatrices sont en recherche d’activités déjà clef en main. Or si l’éducation populaire vise le développement du pouvoir d’agir de tous et toutes, elle doit se traduire par développer la capacité de chaque éducateur/trice à créer ses propres activités et supports. L’éducation populaire ne doit pas se transformer en un marché de l’outil d’animation.

L’éducation populaire conscientisante repose sur un ensemble de principes qu’il s’agit d’adapter au contexte d’intervention. C’est pourquoi d’ailleurs Paulo Freire et son équipe commençait par effectuer une enquête participative pour mieux connaître les particularités sociales et culturelles des personnes avec qu’il allait intervenir.

La formation d’éducateur/trice à l’éducation populaire conscientisante ne vise pas à former les personnes à des techniques ou des outils, mais de les former à comprendre des principes généraux et à comment les mettre en œuvre pour créer ses propres activités.

I- Conscientisation :

1) Exprimer et partager des expériences sociales vécues :

Le point de départ de l’éducation populaire conscientisante est l’expression des expériences sociales vécues. Les expériences dont il s’agit de permettre l’expression sont ici des expériences d’injustices sociales, d’oppression sociale : expérience de réification, exploitation, discriminations, violences etc…

Pour recueillir des expériences sociales vécues, il est possible de faire varier plusieurs paramètres. Le recueil peut avoir lieu :

– sous la forme d’une enquête où il s’agit d’aller à la rencontre des personnes sur leurs lieux de vie ou que les personnes mènent elles-mêmes une enquête. Cela suppose ensuite l’organisation d’une restitution collective des résultats de l’enquête. Les techniques d’enquête qui peuvent être utilisées peuvent reposer sur :

+ des entretiens

+ sur des questionnaires

+ sur des méthodes visuelles (par exemple la photographie, de la video)

+ de la cartographie

+ d’arbre généalogique, de frises chronologiques

– cela peut prendre la forme de groupes de parole (ou focus group) :

+ pour sécuriser le partage d’expérience, ces groupes peuvent être des groupes de pair-e-s (ex : groupe non-mixte de femmes)

+ ces groupes peuvent s’appuyer sur des supports visuels (photographies ou films) pour favoriser l’expression des participant-e-s.

– cela peut s’appuyer sur une activité d’expression créatrice :

+ cela peut prendre la forme d’ateliers d’écriture (si les personnes sont en capacité d’écrire leurs expériences avec l’aide de l’animateur/trice)

+ cela peut prendre la forme d’ateliers de créations visuelles (comme par exemple des collages, de la photographie, de la video, de la cartographie ect…)

+ cela peut prendre la forme d’ateliers d’expression corporelle (ex : théâtre, danse…)

2) La problématisation de la réalité sociale et la conscientisation :

Pour problématiser ces expériences sociales vécues et à parvenir à une conscientisation, il est nécessaire que les éducateurs/trices soient formés à au moins une lecture critique du monde issue des sciences sociales critiques : sociologie marxienne, sociologie féministe matérialiste, théorie queer, théorie critique, géographie sociale, approches intersectionnelles, théorie décoloniale ect… Il n’est pas possible de développer une pratique de conscientisation sans une telle formation.

Les activités de conscientisation sont des activités qui produisent une dialectique entre des connaissances provenant de l’expérience sociale vécue et des connaissances théoriques.

Il peut s’agir en particulier d’apprendre aux personnes à analyser les données de l’expérience sociale vécues à partir des connaissances issues des sciences sociales qui montrent comment en réalité ces expériences ne sont pas propre à un individu, ni même simplement au groupe de participants, mais qu’ils s’agit de problèmes sociaux structurels.

Il s’agit d’analyser les situations ou plus généralement les données recueillies à l’oral, à l’écrit, sous forme visuelles en les confrontant avec des connaissances critiques issues des sciences sociales.

II- Praxis

1) Imaginer des inédits possibles :

L’imagination d’inédits possibles à deux fonctions principales : a) prendre conscience que la réalité peut-être autre qu’elle n’est b) prendre conscience que l’on peut transformer la réalité collectivement.

Il est intéressant pour cela que les éducateurs/trices aient des connaissances sur l’histoire et l’actualité des différents mouvements sociaux d’émancipation.

L’imagination des inédits possibles s’appuie sur la puissance créatrice du groupe comme dans le « brainstorming ».

Il existe plusieurs types d’inédits possibles qui peuvent être travaillés :

– imaginer des stratégies d’auto-défense individuelle

– imaginer des stratégies d’auto-défense collective

– imaginer des stratégies d’action collective de transformation

– imaginer des alternatives pour un autre futur.

Cela peut prendre plusieurs formes :

– discussions de groupes

– créations visuelles

– créations narratives (exemple : écriture de micro-récits de science-fiction)

– expression corporelle (ex : théatre, jeu de rôle ect…)

2) Mettre en œuvre une action directe culturelle

L’action directe culturelle est une action qui vise à la fois à conscientiser sur la réalité sociale le public et à agir sur cette réalité sociale en instaurant un rapport de force.

L’action directe culturelle prend souvent la forme d’une production informative ou d’une création esthétique. Le recours à la création esthétique permet de sortir l’action directe du simple champ politique et de la faire entrer dans le champ de la liberté de création artistique. Il est plus difficile pour les pouvoirs politiques ou économiques de s’opposer par la violence à la création artistique.

L’action directe culturelle vise à faire pression sur un pouvoir : économique, politique, administratif…

L’action directe culturelle peut prendre différentes formes :

+ exposition visuelle

+ performance théâtrale, musicale

+ happening collectif (type flash mob)

L’action directe culturelle peut avoir lieu :

– sur internet

– dans l’espace public ouvert

– occupation d’un espace intérieur

NB : Vigilance éthique

Toutes les activités qui sont menées dans l’éducation populaire conscientisante par les éducateurs/trices doivent faire l’objet d’une vigilance éthique. Par exemple, il faut être attentif aux rapports sociaux de pouvoir durant la réalisation des activités, par exemple dans la répartition de la prise de parole.

Conclusion : Quels types de formation peuvent-être utiles à un-e éducateur/trice pour mettre en œuvre de l’éducation populaire conscientisante ?

Formation en sciences sociales pour analyser la réalité sociale (connaissances théoriques et méthodologie d’enquête participative)

– Formation à l’animation de groupe et à la prise de parole

– Formation à des pratiques d’expression créatrices (narratives, visuelles ou corporelles)

– Formation en histoire et sociologie des mouvements sociaux

– Formation à l’action directe non-violente (ou à l’action directe syndicale par exemple)

– Formation en éthique professionnelle