Une écriture brillante au service du plus abject des crimes

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Lolita eut un impact majeur sur la carrière de Vladimir Nabokov et permit à l’écrivain russo-américain de connaître le succès à l’international. Ce roman a été publié pour la première fois en France, en 1955, car aucun éditeur américain n’acceptait de le publier en raison des thèmes qu’il aborde. Très mal interprétée, parfois qualifiée d’apologie de la pédophilie, l’œuvre a été accueillie par une grande controverse à sa sortie. En effet, Lolita a suscité diverses réactions, allant d’éloges pour lécriture exceptionnelle de l’auteur à un profond dégoût en raison de son contenu explicite. La description des relations sexuelles entre un homme adulte et une jeune fille a choqué de nombreux lecteurs, parmi lesquels certains ont crié à une sorte de pornographie. Par conséquent, l’œuvre de Nabokov a été interdite et censurée dans certains pays tels que le Royaume-Uni, la France, l’Argentine, l’Australie ou encore la Nouvelle-Zélande. Alors que le livre provoque toujours le débat, il bénéficie d’une renommée internationale. Lolita est aujourd’hui considérée comme une œuvre majeure de la littérature du 20ème siècle !

Lolita n’est pas une histoire d’amour, mais une histoire de crime

Le roman confronte le lecteur aux arrogantes confessions d’Humbert Humbert, un professeur de littérature française de 40 ans qui cache indéniablement quelque chose sous son apparence de gentleman serein et cultivé… En effet, l’Amérique du 20ème siècle décrite par Nabokov sert de décor à un homme profondément troublé. Rapidement, on découvre son obsession malsaine pour les filles prépubères et « attrayantes », qu’il qualifie notamment de nymphettes. Alors qu’il déménage aux États-Unis et loge chez Charlotte Haze, il rencontre Dolorès Haze, sa fille de 12 ans, qu’il surnomme Lolita. Humbert Humbert tombe follement « amoureux » de celle qui deviendra bientôt sa belle-fille, tandis qu’il prend Charlotte pour épouse. Effectivement, son obsession pour la jeune fille est telle qu’elle le pousse à commettre d’atroces crimes, et à officialiser son union avec sa mère, dans l’objectif de prendre possession de Lolita. Celle-ci lui rappelle son premier amour, Annabel Leigh, qui décède prématurément à cause du typhus. Aux yeux d’Humbert Humbert, cette tragédie pourrait justifier son comportement à l’égard de la petite, ainsi que son obsession maladive pour les filles âgées de 9 à 14 ans. Le furieusement dérangé Humbert Humbert fait de Lolita, Lo, Dolly, ou Loleeta, le centre de son monde !

« Je la regardais et la regardais encore, et je savais, aussi clairement que je sais que je dois mourir, que je l’aimais plus que tout ce que j’avais vu ou imaginé en ce monde, ou espéré dans l’autre. Vous pouvez me couvrir d’injures, menacer de faire évacuer la salle – tant que je ne serai pas étranglé par vos baillons, je crierai ma pauvre vérité. L’univers saura combien j’aimais Lolita, cette Lolita. »

Affiche du film Lolita, 1962
« Comment a-t-on osé faire un film de Lolita ? »
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki  /Lolita_%28film,_1962%29

Les adaptations cinématographiques ont également été au cœur de débats, précisément sur la manière dont l’histoire d’Humbert Humbert et de Lolita peut être représentée au cinéma. L’œuvre de Nabokov a été adaptée à l’écran pour la première fois en 1962 par le célèbre réalisateur Stanley Kubrick, puis une seconde fois en 1997 par Adrian Lyne. Cette deuxième adaptation se veut plus explicite que la première, ce qui a provoqué davantage de controverses à sa sortie. Les deux films restent fidèles au roman, mais Stanley Kubrick a tout de même apporté quelques modifications afin de s’adapter aux mœurs de l’époque.

Une dimension de complexité unique !

Le protagoniste et narrateur du roman, Humbert Humbert, raconte Lolita à la première personne. En tant que lectrice, j’ai remis constamment en question la fiabilité du récit, puisque l’immoralité dont fait preuve le quadragénaire ne permet pas d’affirmer qu’il est un narrateur digne de confiance. Ainsi, lors de notre lecture, nous devons éviter à tout prix le piège que Nabokov a installé, qui est d’adopter uniquement le point de vue du monstre. J’ai apprécié cet élément de l’œuvre car l’écriture à la première personne la rend davantage complexe et permet à l’auteur, mais aussi au lecteur, d’explorer la psychologie du personnage de fond en comble. Nabokov nous présente les justifications tordues d’un pédophile qui tente malgré tout de rationaliser son comportement répréhensible. Il est conscient qu’il est coupable mais attribue une part de responsabilité à Lolita, sous prétexte que la petite serait aguicheuse et provocante. Le talentueux auteur a pris l’énorme risque d’écrire Lolita sous l’angle du coupable, puisqu’il aurait été confronté à moins de difficultés en l’écrivant du point de vue de la victime, de toute évidence ! A mon sens cela rend l’œuvre de Nabokov davantage remarquable et mémorable.

« Je t’aimais. J’étais un pentapode monstrueux, mais je t’aimais. J’étais haïssable et brutal et abject – j’étais tout cela, mais je t’aimais, je t’aimais ! Et parfois, je devinais ce que tu éprouvais, et c’était pour moi un supplice infernal, mon enfant. Petite Lolita. Dolly Schiller. »

L’un des aspects les plus remarquables de Lolita est, à mon sens, la prose de Vladimir Nabokov. Une des caractéristiques les plus précieuses de son écriture est l’intimité qu’elle parvient à instaurer entre sa beauté et une histoire véritablement perturbante. Ce contraste permet d’attirer le lecteur vers le roman, puisque sa prose est splendide, alors qu’il est tout autant repoussé par les thèmes qu’il aborde. Ainsi, Lolita prouve parfaitement qu’une œuvre peut être artistique et tout à fait provocante et troublante à la fois lorsque l’auteur parvient à manipuler la langue.

Ce roman est tellement réaliste qu’il en devient fascinant

Bien qu’il puisse être choquant et dérangeant, j’attribue quatre étoiles à ce roman. Lolita m’a poussée à me remettre en question et à me confronter à des idées inconfortables, un aspect qui m’a particulièrement plu. Il relate une histoire marquante, qui laisse définitivement une trace dans le cœur, puis dans l’esprit. Je ne vous cache pas que ma lecture fut compliquée au début, car je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer Nabokov en lisant le récit d’Humbert, mais l’auteur n’est pas son personnage. Il est important de faire ce parallèle tout au long de votre lecture. Il convient de lire ce roman avec une certaine compréhension des sujets abordés, et en gardant en tête que l’auteur ne cautionne en aucun cas cette relation incestueuse.

Lisez-le, et ne cédez pas dès les premières pages à l’appel du dégoût !

Pour visionner une interview où Nabokov nous parle de son roman Lolita et nous fait quelques révélations, cliquez-ici.

Nabokov, Vladimir. Lolita. Gallimard, 06/2022. 531 p. Folio. ISBN 2-07-041208-3

Laurine CORNET-MAGNIEZ, 1ère2