Un parcours semé d’embûches

Source : https://www.livredepoche.com / livre/nickel-boys-9782253935025

Nickel Boys est un roman écrit par Colson Whitehead en 2019, traduit de l’anglais par Charles Recoursé. C’est en 2017 que l’auteur remporte son premier prix Pulitzer pour The Underground Railroad, puis son second en 2020 pour Nickel Boys. Il est important de souligner qu’il est l’un des rares écrivains à détenir deux prix Pulitzer, en plus du National Book Award et du prix Arthur C.Clarke. De plus, The Underground Railroad a bénéficié d’une adaptation télévisuelle par Barry Jenkins, qui a contribué à faire connaître l’auteur. Pour avoir déjà lu Harlem Shuffle, un roman écrit par ce même auteur qui m’avait beaucoup plu, mon choix s’est naturellement porté sur Nickel Boys. Une fois de plus, je n’ai pas été déçue par son écriture qui contribue à faire vivre une histoire basée sur des faits aussi réels que révoltants.

Nous sommes en pleine Amérique ségrégationniste dans les années 1960. Plus précisément dans la communauté afro-américaine de la Floride où le jeune Elwood Curtis vit en compagnie de sa grand-mère, Harriet. Abandonné dès le plus jeune âge par ses parents, notamment son père qui était trop ambitieux à son retour de l’armée et pour qui Tallahassee n’était plus à la hauteur de ses attentes. Elwood est un garçon très intelligent, poussé par Harriet qui pense que le travail est une valeur essentielle. Ainsi, elle espère que l’assiduité ne lui laissera pas le temps de participer à des manifestations qui pourraient le mettre en danger en raison de sa couleur de peau. Cependant, le jeune garçon est totalement absorbé par les discours de Martin Luther King qui lui ont ouvert les yeux. Sa fascination pour les discours de ce dernier en faveur de la lutte des droits civiques le pousse à vouloir partager via l’écriture son combat sur la question raciale. Il fait plusieurs tentatives dans ce sens, mais aucun journal n’accepte de partager ses lettres. Lorsque son professeur d’Histoire lui suggère de rejoindre Melvin Griggs, une université réservée aux élèves méritants, Elwood comprend que son avenir est tout tracé. Jusqu’au jour où ses rêves sont brutalement interrompus. Envoyé, suite à une erreur judiciaire, à la Nickel Academy, un établissement de correction pour mineurs, sa vie prend un tournant brutal. Rien n’est simple à Nickel ! Entre les pires sévices perpétrés dans l’ombre et la terreur qui y règne, tout est une question de survie quand le destin vous joue des tours. Elwood devra surmonter toutes ces épreuves pour espérer, un jour, quitter Nickel et regagner sa liberté…

Un roman puissant de vérité

En s’inspirant d’une histoire vraie de la Dozier School for Boys, Colson Whitehead nous relate la réalité la plus juste de la ségrégation aux États-Unis des années 60. Dès le début nous sommes plongés au cœur du sujet : un cimetière clandestin est découvert au sommet de la grande colline du campus de Nickel. Une enquête est ouverte après la découverte de plusieurs corps d’élèves noirs. La parole se libère et les anciens élèves de Nickel parlent des visites nocturnes dans les dortoirs, des cris camouflés par un ventilateur industriel provenant d’une pièce que les élèves noirs surnomment la Maison-Blanche. Nickel aurait dû offrir une nouvelle chance à ces garçons, dont la plupart n’avaient pas une vie facile avant de rejoindre l’école. Au lieu de cela, si ils en ressortent, ce n’est jamais sans séquelles. Depuis son arrestation, Elwood pleure la nuit quand il pense à ce que lui réserve Nickel. C’est au bout du deuxième jour qu’il fait la connaissance de Turner, l’un de ses semblables. Ces deux-là se lient d’amitié. Cette amitié est ce qui permet à l’adolescent de rester fidèle à ses convictions. La violence est au cœur du roman, reflétant la cruauté de la ségrégation. «Vous êtes des Noirs dans un monde de Blancs », voilà ce que leur apprend Nickel ! Dès lors nous avons très vite ce sentiment de rage qui grandit en nous à mesure que l’on avance dans le roman. On lit avec appréhension, angoissé par une menace grandissante, ce qui maintient le suspense. Mais lorsqu’elle frappe, elle est déchirante. C’est tout le brio de l’écriture de l’auteur, une écriture qui a la capacité de nous saisir au bon moment ! Nous suivons la vie brisée d’Elwood, et celle de beaucoup d’autres noirs avant lui. C’est un rappel d’une face les plus sombres de l’Amérique, d’autant plus lorsque l’on sait que la Dozier School for Boys n’a été fermée qu’en… 2011 ! Oui, vous avez bien lu, 2011. Cela montre le racisme persistant dans certains États, encore aujourd’hui malheureusement. Et que le simple fait d’être noir et d’être au mauvais endroit, au mauvais moment, suffit pour que votre vie bascule du tout au tout.

Colson Whitehead Source : https://buechermenschen.de/ lesenswert/10-fragen-an/colson-whitehead/

Deux façons de voir le monde

L’amitié entre Elwood et Turner oppose deux visions différentes. De l’une, Elwood est conscient qu’il est coincé à Nickel, mais il veut en tirer son parti et tout faire pour que ça dure le moins longtemps possible, motivé par les discours de paix du révérend Martin Luther King. De l’autre, Turner semble s’être résigné à son sort. On ne peut pas s’empêcher d’éprouver de la compassion pour Elwood auquel on s’attache immédiatement. En revanche, j’avais un doute quant aux intentions de Turner, du moins au début. Il m’a donné l’impression d’être absent et à l’écart, un être en marge où qu’il soit. Mais rapidement leur relation se concrétise. Elle est un pilier dans leur reconstruction mais aussi dans le schéma narratif du roman. En effet, tout au long du récit les bonds dans le temps – on passe des années 60 aux années 80 – agissent comme une coupure à la violence. Une situation paisible, qui va à l’encontre de ce que nous venons de lire et atténue l’horreur de Nickel. Cependant une tension semble persister. Ces passages m’ont un peu troublée mais ce n’est qu’une fois le roman terminé que nous nous rendons compte de tout l’intérêt de ces allées et venues dans le temps et du génie de l’auteur ! L’épilogue est un revirement de situation insoupçonnable ! Quel talent ! C’est d’ailleurs cette fin qui m’a beaucoup plu et marquée. J’ai également beaucoup aimé la façon d’écrire de Colson Whitehead qui dépeint tant les jours ordinaires que la violence la plus abjecte, suggérant des scènes trop violentes plutôt que de les décrire dans le menu détail ce qui rend ce roman accessible à un large public mais n’en atténue pas la portée. Un roman toutefois dur à lire pour ses scènes puissantes et marquantes qui vous laisseront le cœur plein d’émotions.

J’attribue cinq étoiles à ce roman qui a été un véritable coup de cœur pour moi !

Je vous souhaite une très bonne lecture !

Whitehead, Colson. Nickel Boys. Librairie Générale Française, 05/2022. 264p. Le Livre de Poche, ISBN-9782226449788

 

 

Lucie LEGAY,  1ERE2