De « Game of thrones » à « Hunger games »: La liberté est-elle un pouvoir de refuser ?

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1/ La série Game of thrones  met en scène de nombreux personnages passionnés par le pouvoir, symbolisé par « le trône de fer » (titre de la série en français). Parmi ces personnages, il y a ceux qui revendiquent comme un droit légitime ce trône (Stannis Barathéon), ceux qui sont prêts sans état d’âme à tous les actes immoraux pour l’obtenir ou le conserver (Stannis encore mais aussi Viserys thargarien, Tywin Lannister), ceux encore qui prédisent le don gracieux de ce pouvoir à un(e) heureux et légitime élu(e) et se mettent à leur service (Melisandre, Jorah Mormont), ceux qui intriguent dans l’ombre ou séduisent outrageusement pour arriver à leurs fins (Baelish, Cersei), ceux enfin qui souffrent de et nient en même temps leur impuissance à assurer l’exercice de l’autorité (Joffrey , Théon Greyjoy).

2/ A côté de ces personnages livrés aux tourments de la passion et dont le rapport à la liberté est largement fantasmatique et illusoire, il en est d’autres dont le rapport au pouvoir est plus complexe, et l’expérience de la liberté plus authentique. On peut ainsi faire l’hypothèse que cette deuxième série de personnages permet d’amorcer une définition de la liberté, en tant que  l’expérience de la liberté commence pour eux à faire l’objet d’un questionnement, donc d’un retour sur soi-même. Ces personnages comprennent que la liberté n’est pas une expérience qui se confond avec le désir de pouvoir, mais qu’elle implique d’abord la crainte de l’impuissance.

– ainsi, Eddard Stark, découvre son incapacité à concilier le soin de conserver son honneur, et celui de préserver sa famille.Il connait ainsi les affres de l’indécision (comment bien juger ?) et en ce sens fait l’expérience originaire de la liberté. Cependant, son noble refus des compromissions peut aussi s’interpréter comme une faiblesse politique qui lui coutera la vie. Refusant la décision, il périt de son impuissance à se décider, cad à renoncer à certains de ses désirs.

– Arya Stark qui refuse sa condition féminine (elle apprend secrètement le maniement des armes) et s’initie au sein de la secte des « sans-visage » de Braavos à une religion qui exige d’elle le renoncement à son identité personnelle. Arya n’est pas seulement le jouet de ses passions, elle se comprend comme un sujet qui interroge son pouvoir de refuser ou de céder à leurs emprise. Elle médite ainsi à travers la formule « Valar morgulis » (« Tous les hommes doivent mourir ») sur la vanité et les illusions du désir humain (pour elle en particulier le désir de vengeance).

– Jon Snow ne cesse de s’interroger sur son devoir de gardien, et la façon de le concilier avec ses propres désirs : il est membre de la garde de nuit mais tombe amoureux d’une « sauvageonne » ; il doit défendre le mur mais désire sauver et s’allier avec ces peuples d’au-delà du mur. Il se considère illégitime (car « bâtard ») mais aspire à la reconnaissance de sa bravoure. Jon questionne lui aussi le sens de sa liberté, et n’appréhende pas sans inquiétude  chacun des choix qu’il est amené à faire. En ce sens, il est libre parce qu’il ne refuse pas l’expérience existentielle de l’angoisse qui accompagne tout choix fondamental. Il n’est pas seulement comme le héros grec confronté à l’alternative radicale du risque de la mort ou de la perte de la liberté. Il est comme le saint chrétien, interrogeant le bien-fondé de sa décision, et la faiblesse de sa volonté (cf : le reniement de Saint Pierre).

Pour tous ces personnages, le pouvoir de refuser est initialement une expérience lucide de la liberté : il s’agit d’entrer dans un questionnement sur le sens et la valeur de ses désirs, donc de suspendre son jugement. La liberté réelle passe par le doute, l’inquiétude, voire l’angoisse, et non la fiévreuse impétuosité du désir de pouvoir qui ne charrie que fantasmes et illusions. On peut penser que ces personnages sont plus profonds donc  plus humains que les premiers, en tant qu’ils font l’expérience consciente de leur fragilité. Permettent-ils pour autant de donner une définition bien formée de la liberté ?

3/ Il semble que la définition de la liberté, si elle s’éclaire par l’expérience du pouvoir de refuser (ne pas céder passionnément à tous ses désirs, douter, s’interroger sur le bien-fondé de ses jugements), ne puisse cependant s’y limiter. Le défaut des personnages de Game of thrones est ainsi de ne pouvoir représenter le processus naturel et historique de la nécessité du réel. Penser celle-ci implique en effet d’entrer dans une compréhension raisonnée, au plus loin de sa représentation fantastique. Penser vraiment la liberté, c’est alors dépasser la fiction d’un pouvoir de refuser total et absolu que seuls donne à imaginer les mythes et les légendes, fictions qui expriment plus nos affects que notre pouvoir réel sur le monde et sur nous-mêmes.

Penser la liberté, ce pourrait être alors retourner la fiction contre les illusions de notre désir de liberté : se servir de la fiction pour montrer à quel point nous sommes naturellement et historiquement déterminés à suivre les lois de la nécessité ; ce serait penser les causes qui nous déterminent et pas seulement les fins que nous poursuivons en croyant que nous le faisons librement ; l’autre nom de cette liberté est en effet l’ignorance des raisons profondes de nos actions. Spinoza nous enseigne ainsi que penser la liberté et penser l’illusion pourrait bien être la même chose.
Un tel raisonnement ne conduit pas pour autant à revenir à l’éloge de la vie des homme passionnés et aveuglés par leurs désirs, mais à relativiser ce que nous apprend l’expérience du pouvoir de refuser, qui reste une expérience confuse et imparfaite de liberté, car on ne refuse quelque chose que parce qu’on en accepte une autre plus désirable. Ce n’est pas notre pouvoir de refuser qui est en effet à l’honneur quand nous refusons, c’est notre nature qui s’accomplit selon une logique désirante qui nous échappe le plus souvent, et que la fiction peut exprimer en allant à contre-courant de la pente naturelle de notre imagination: telle est la pensée philosophique que Spinoza propose de la liberté.

Prendre conscience permet-il de devenir soi-même ? (1)

 

odyssée          ( Alastair Magnaldo   – Yellow Korner)

La prise de conscience est, à l’image de l’éveil d’un profond sommeil, la marque à la fois d’une décision pratique et  indissociablement d’une reconnaissance théorique. Prendre « conscience » (de cum (lat) – avec –  et scire (lat) science – ), c’est décider d’être désormais accompagné par la connaissance , de ne plus être sans savoir. Il y a là une décision  qui n’est pas sans conséquence sur la façon dont je peux me comprendre moi-même. Je m’intéresse en effet à la compréhension de moi-même dans les moments de l’existence où vacillent les certitudes et les convictions ayant jusque ici tenues lieu de marqueurs de mon identité, ce sont des des moments de « crise » ou de remise en question qui se caractérisent par des exercices de discernement centrés sur la question: « Qui suis-je ? ».

On peut considérer dans un premier temps que ce processus d’élucidation de Soi dans lequel la conscience joue un rôle décisif est bien le chemin d’un devenir de soi-même. Devenir soi-même signifierait alors prendre conscience de son identité de sujet, cad de cet être qui, d’une part, sous les différents changements qui l’affectent reste en permanence le même, et d’autre part, est fondamentalement  original, unique en son genre cad singulièrement lui-même, sans qu’aucun autre ne puisse jamais être parfaitement comme lui. Cette thèse du sujet fait de la conscience la voie principale du processus que constitue le devenir soi-même, ce devenir constituant alors tant une opération de reconnaissance du sujet par lui-même que d’accomplissement pratique de son identité, par exemple sous la figure de la personne que je deviens consciemment. Devenir soi pour un sujet signifie ici se reconnaître pour ce qu’on est et devenir ce qu’on doit être.  Une telle opération de reconnaissance n’est pas aisée: elle demande de choisir le bon moment pour agir sur soi, elle exige une attention à la façon dont se tisse en son « for intérieur » le sentiment de l’identité personnelle, au fur et à mesure du développement des facultés physiques, intellectuelles et morales, elle suggère aussi un certain usage du langage témoignant d’un accès à la pensée et non seulement au sentiment de soi qui permet d’exercer un pouvoir sur ses représentations.

Pourtant cela suffit-il pour établir de façon irréfutable la thèse de l’existence du sujet ? On peut dans un deuxième temps émettre une critique de la théorie du sujet : 1/ d’abord, envers la réalité même d’un tel être plus (sur)estimé à travers les mots permettant prétendument de le symboliser: « je », « Moi », « Ego », qu’à travers une véritable démonstration de son existence. Le sujet comme Dieu ou le monde est un de ces êtres dont la réalité semble rigoureusement indémontrable, d’une part, et dont l’expérience, d’autre part, pour peu qu’on soit attentif aux leçons que celle-ci nous délivre s’avère problématique. 2/ Ensuite, la critique peut porter sur la conscience elle-même: n’est-elle pas inévitablement en proie aux illusions ? Confère-t-elle un véritable pouvoir de décision ou de connaissance ? et si oui au prix de quels renoncements ? Devenir soi-même dans cette perspective semble ne pouvoir être qu’un projet incertain, tant l’esprit humain se révèle incapable de ramener à la seule conscience l’essentiel de son activité mentale. La division d’avec soi-même, l’étrangeté à soi, caractérisent autant l’esprit humain que la prétendue conscience de soi, comme le montre bien l’étude de l’activité inconsciente de l’esprit humain, que manifestent par exemple les rêves et les actes manqués.

Cependant, on peut faire un pas de plus: n’est-ce pas en prenant pour objet cette part nocturne de lui-même que l’esprit humain peut prendre conscience de ce qu’il est ? La critique du sujet peut préparer une libération tant de la connaissance que de la décision spirituelle. Elle servirait à une sorte de conversion tant de la connaissance que de l’action. Elle rendrait capable de devenir soi-même en se libérant de tous les obstacles qui rendent la conscience étrangère à elle-même. La libération spirituelle sera ici nécessairement une mise à l’épreuve de ce que la conscience n’aura pas pu dans un premier temps décider et reconnaître: les limites de sa finitude cad  l’ignorance de ce qui la dépasse, et l’impuissance qui la met  en échec dans sa volonté. L’étude de la conscience névrosée pourrait ainsi montrer comment c’est  en déniant l’existence de sa maladie  que cette conscience l’aggrave et que la guérison doit passer par la reconnaissance préalable de cette maladie . Il n’y a de libération spirituelle que là où il y a  reconnaissance théorique par  la conscience de ses limites cad mise à l’épreuve pratique de l’inconscient.

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