FIFH : L’évènement, Audrey Diwan

Le paradoxe des années 60 : entre soif de liberté et censure

Par Julie Colliou, élève de terminale 7 et membre de l’atelier critique du Festival international du film d’histoire de Pessac

Le destin d’Anne (Anamaria Vartolomei) qui prend un tournant inattendu est mis en parallèle lors d’une visite médicale à celui d’un jeune homme étudiant en lettres tout comme elle, tous deux promis à un grand avenir. La seule différence entre ces deux êtres est que le futur d’Anne semble quant à lui basculer vers un futur incertain. En adaptant le roman autobiographique choc d’Annie Ernaux, Audrey Diwan aborde les injustices des années 60 en France.

La réalisatrice fait le choix d’émouvoir les spectateurs par des scènes crues sans pour autant être violentes visuellement. Au lieu de chercher à présenter les interventions précaires avec des éléments explicites, elle met en scène des plans rapprochés permettant de se plonger pleinement dans la scène et d’en percevoir les plus subtils détails. Aussi, il n’y a pas seulement la proximité avec le corps d’Anne qui est frappante mais également le contexte social du parcours de la jeune fille qui doit traverser seule cette tragédie en raison du tabou de la question.

Tout au long du film, Anne demeure confiante. Elle est convaincue qu’elle parviendra à trouver un moyen de mettre un terme à la grossesse ou du moins cherche à se convaincre de ceci. Ce caractère obstiné dépeint tout d’abord une forme de naïveté de sa part étant persuadée que quelqu’un lui viendra en aide puis, elle se résout à agir seule, livrée à elle-même. Cette détermination sans faille souligne le fait que la souffrance physique ressentie lors de l’avortement apparaît comme infiniment inférieure à celle de la condamnation à vivre avec un être que l’on ne désire pas. Ainsi, Diwan révèle le parcours tumultueux d’Anne mais durant lequel elle ne se détourne jamais de son objectif. Et sachant que cette question s’adresse uniquement aux femmes et que celles-ci soient résolues à avorter, comment se fait-il que l’opinion publique s’y oppose quitte à braver leur santé et ainsi le bien-être de la mère et du fœtus ? Paradoxe d’autant plus élevé que comme le souligne Guy Bedos “Ceux qui sont contre l’avortement sont ceux-là mêmes qui sont pour la peine de mort”.

Au début du récit conté par Diwan, une majorité de personnages s’opposent à l’IVG et nient les possibles transgressions à la loi mais, ce premier constat évolue lorsqu’on aborde la question à l’échelle de l’individu et non d’après un ensemble. Cette image relève de l’influence de la société et de son diktat. Ainsi, certains finissent par s’engager dans cette lutte clandestine en s’émancipant de la censure exercée par la société. C’est notamment le cas d’une femme au visage dur qui à la manière d’Isabelle Huppert dans Une affaire de femmes, vient en aide à ses femmes en pratiquant l’avortement. Ce sujet lourd est pertinemment traité et heurtant par son réalisme. En effet, l’œuvre met en scène un chemin particulièrement long et douloureux. Cela le rend plus crédible puisqu’au-delà de ce qui est souvent présenté comme un dilemme pour la femme, le plus dur dans l’histoire d’Anne est de trouver de l’aide et de réaliser l’intervention dans des dispositions insalubres.

La réalisatrice prend des libertés de réalisation par rapport au roman qu’elle adapte en ne décrivant pas en détail les pensées de la protagoniste. Ce manque d’informations quant aux songes et aux émotions de celle-ci peut ainsi lui être reproché. Contrairement à l’œuvre originale formulée sous la forme d’un dialogue intérieur, le personnage est presque déshumanisé par l’absence de ses états d’âme bien que ce flou pourrait être interprété comme précisément la distance placée entre elle et le fœtus et la volonté de s’en détacher.

Ce film soulève de nombreuses problématiques de la société et résonne comme un appel à la tolérance face à un tel sujet qui constitue toujours un vif débat. Et ce, malgré l’acquisition de ce droit en France avec la loi Veil de 1975. La prise de position de certains acteurs extérieurs à la question apparaît comme hautement problématique.

Ainsi, ce qu’on peut voir comme le meurtre d’un enfant correspond à l’échelle de la femme à sa propre mort puisque cet évènement la conduirait à remettre sa vie en cause et à renoncer à de nombreux aspects de celle-ci. Ne pas avorter apparait finalement comme le “choix” le plus cruel lorsque la vie de la femme et son épanouissement sont compromis. Et corroborant la vision de Simone Veil le film argumente le fait qu’“aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes »

 

L’évènement

France, 2021

Réalisation Audrey Diwan

Scénario Audrey Diwan,  Marcia Romano, Anne Berest

Direction artistique Omid Gharakhanian

Photographie Laurent Tangy

Son Antoine Mercier, Philippe Welsh

Décors Diéné Bérète

Montage Géraldine Mangenot

Musique Evgueni Galperine, Sasha Galperine

Production Edouard Weil et Alice Girard

Distributeur Wild Bunch

Durée 1h40

Sortie France 24 novembre 2021

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