L’art de perdre, Alice Zeniter

L’art de perdre d’Alice Zeniter

 

 

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Fiche identité de l’œuvre :

Titre : L’art de perdre
Auteure : Alice Zeniter
Date de parution : 16 août 2017
Editions : Flammarion
Genre : Roman
Distinctions : Prix Goncourt des Lycéens, prix littéraire du Monde, prix Landerneau des lecteurs, prix des libraires de Nancy
Nombre de pages : 606

 

 

Ce roman publié en 2017 a été écrit par Alice Zeniter, dramaturge, metteuse en scène et femme de lettres franco algérienne née le 7 septembre 1986 à Clamart. Elle est également l’auteure de Sombre dimanche, prix des lecteurs de l’Express et prix de la Closerie des Lilas et de Juste avant l’Oubli, prix Renaudot des lycéens. Cependant, c’est bien son cinquième roman L’art de perdre qui se distingue au sein de sa bibliographie. Celui-ci a en effet été récompensé par de nombreux prix littéraires remarquables tels que le prix Goncourt des lycéens de 2017 et le prix littéraire du Monde. Il a de ce fait reçu un accueil de la critique exceptionnel ainsi que du lectorat français. En outre, il constitue pour l’écrivaine elle-même une partie de sa quête identitaire.

Effectivement, cette œuvre décomposée en trois parties a pour point de départ l’insurrection indépendantiste en Algérie française dès les années 1950. Ainsi, ce roman retrace le parcours d’une famille provenant de Kabylie qui a fait le choix de quitter l’Algérie à sa libération en 1962 pour la France.

Dans la première partie intitulée L’Algérie de papa, une famille menée par l’aîné, Ali travaillant avec ses frères dans les terres montagneuses de l’Algérie encore française est introduite. Ali est à l’origine du tournant que prend sa vie et celle de toute sa famille quand il fuit l’Algérie laissant derrière lui l’image d’un traître pour les membres du FNL(Front de libération nationale algérien) s’étant battus pour s’affranchir de la colonisation française.
A travers son histoire, un premier aspect particulièrement important du roman est mis en lumière, celui de la complexité de ce conflit qui, pour longtemps, a été maintenu sous silence. Seulement, une fois arrivés en France, bien qu’ayant fait le choix de suivre ce pays, lui et sa famille ne sont pas jugés comme suffisamment français et, dans les camps de transit, ils se sentent enfermés, délaissés et bien-sûr dépaysés. Une contradiction s’élève alors, il ne sont plus Algériens mais pas vraiment Français pour autant. Comment se reconstruire avec le sentiment d’être désormais apatrides ?

Cela amène la question de l’intégration étudiée dans la deuxième partie, La France froide, durant laquelle on suit l’évolution du fils aîné d’Ali, le brillant Hamid qui fait le choix de se détacher progressivement du passé de sa famille et de se mêler à la population française en intégrant ses moeurs, son langage et ses coutumes. Il se rend rapidement compte qu’en tant qu’immigré il doit sans cesse redoubler d’efforts. Il se bat pour être accepté et vient même jusqu’à intérioriser certains stéréotypes et mythes racistes tel que celui du “bon arabe”. Il cherche à tout prix à renvoyer une image de jeune adulte sérieux et ne causant pas de troubles pour se confondre à ces concitoyens. Mais à quel prix se fait cette intégration ?

Enfin, la troisième partie met en scène la troisième génération de cette famille catégorisée comme harki, celle menée par la fille d’Hamid, Naïma. Celle-ci apparaît comme étant le double littéraire de l’auteure, elle-même descendante de harkis. Naïma souffre du silence qui s’est installé autour de la relation entre l’Algérie et sa famille. Elle se sent perdue et comme incomplète ne connaissant rien de son pays d’origine. Elle réalise que l’essence d’un pays, d’une origine ne se trouve pas dans le sang mais bien dans ses valeurs, dans ses pratiques, dans son héritage. Un pays se doit d’être raconté, il nécessite de cette manière un réel devoir de transmission.
Elle finit par partir pour l’Algérie pour une mission d’abord artistique liée à son travail dans une galerie parisienne mais finit par accomplir ce à quoi elle aspirait sans même le savoir depuis toujours : retourner sur les traces de sa famille. Ce voyage lui permet de ne plus se représenter l’Algérie seulement à travers de vagues témoignages familiaux ou par des recherches arbitraires. Elle peut enfin construire sa propre vision de l’Algérie.

Ce roman passionnant est raconté par une narratrice extérieure à l’histoire, ce qui rend ses lignes universelles. Il soulève de nombreuses problématiques sur le devoir de mémoire, l’identité ainsi que sur le long chemin vers l’intégration. Ces thématiques sont encore aujourd’hui au cœur de nos sociétés et s’y intéresser est une absolue nécessité. L’écriture est touchante et parvient à aborder brillamment l’histoire intergénérationnelle de cette famille de harkis partagée entre ses racines et son nouveau pays. A propos de ce roman, l’auteure dit “je voulais combler les vides de mon silence”. Elle suit alors la trace de Naïma qui cherche à percevoir les multiples aspects de cette Algérie en mouvement.
La lecture de cette œuvre est particulièrement agréable et conduit à l’éveil de la conscience du lecteur.

Julie Colliou, TG07, cheffe de la rubrique “On a lu”