Liberté d’expression et de la presse : Rencontre avec Sakher EDRIS

9 juin 2021

Rencontre avec Sakher EDRIS

Dans le classement mondial de la liberté de la presse en 2020, le Syrie figure à la 174ème position (sur 180).
Aujourd’hui au Lycée Fernand Daguin à Mérignac, le journaliste syrien anglophone Sakher EDRIS vient converser avec les élèves de la préparation à Sciences PO Bordeaux JPPJV.
Rencontre.

Avant toute chose, il est primordial de présenter la Syrie. Pays d’Asie de l’Ouest situé sur la côte orientale de la Mer Méditerranée, sa capitale est Damas.

En quelques mots, Sakher EDRIS nous présente son pays…

La Syrie est un pays riche d’histoire. Son sol a été foulé par maintes civilisations : Sumériens, Chaldéens, Assyriens, Cananéens, Babyloniens…

Mais depuis 2011, la guerre civile syrienne cause des ravages. Celle-ci débute dans le contexte du Printemps arabe par des manifestations majoritairement pacifiques en faveur de la démocratie contre le régime baasiste. Ces protestations pacifiques durent 6 à 7 mois, mais elles sont rapidement brutalement réprimées, et le gouvernement libère des extrémistes de prison. Le conflit dégénère alors violemment. Depuis, des milliers de victimes ont été recensées. De nombreux massacres, crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été commis, principalement par le régime syrien et l’État islamique.

Depuis 1970, c’est donc la famille El-Assad qui possède le pouvoir. Le fils de Hafez el-Assad, Bachar el-Assad, lui succède en 2000. Il est encore à ce jour au pouvoir, et a été « réélu » le 26 mai 2021…

Le journaliste rappelle ironiquement en quelque mots l’absurdité de ce vote.

« No one dares put « no » under the eyes of the political police. »

Sakher a vécu de très près la guerre civile. Son père, opposant de Hafez el -Assad, a été emprisonné pendant 18 ans ainsi que son oncle, le père de sa mère.

« Just imagine. How many years you lose just because of your political opinion! »

Comment les journalistes syriens ont fait face à cette situation critique ?

Sakher : « Une association de journalistes syriens a été créée. Ce sont des médias et journalistes libres dont la plupart vivent en exil. C’est ce qu’on appelle la diaspora. En 2017 cette association a intégré la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), dont le siège est a Bruxelles. Ce partenariat a agacé le gouvernement syrien. L’AJS a été exposée à beaucoup de tentatives de corruption pour essayer de contrôler les leaders de cette association, les soudoyer pour avoir le contrôle des médias. »

« The UN stopped counting. Entire families, entire names disappeared. »

Qu’en est-il des journalistes syriens à l’heure actuelle ?

Sakher : « Officiellement, entre 2011 et 2019, 455 professionnels des médias ont été tué, dont 314 par le gouvernement syrien lui-même. Il y a aussi eu 1082 violations contre les journalistes entre 2011 et 2017. Et encore, ce ne sont que les chiffres officiels. En réalité, il y en a encore plus. »

« People are tortured and killed. »
« What we really want ? To enjoy voting, electing. »

Pensez-vous qu’un jour les Syriens pourront bénéficier à nouveau de leur liberté ?

Sakher : « Oui, un jour, ils pourront. Tant qu’il y a des personnes dans la révolution, il y a de l’espoir. Maximilien Robespierre, un des pères de la Révolution Française, est finalement devenu un extrémiste pendant la période de la Terreur. Et que lui est-il arrivé ? Il a été tué. »

Comment peut-on continuer de se battre pour la liberté d’expression depuis l’Europe ?

Sakher : « Par des moyens pacifiques, comme des campagnes de sensibilisation. Le fait d’en parler est déjà une aide conséquente. Avertir les personnes de ce qu’il se passe est primordial. »
Le journaliste Edris est lui-même impliqué dans une campagne de sensibilisation pour la cause des prisonniers politiques syriens.
« We don’t want to fight with weapons. Fight by voices and peace. »

Pouvez-vous nous parler de votre parcours un peu plus en détails ?

Sakher : « Je suis né en Syrie. En 1974, ils ont pris mon père alors que je n’avais que 1 an. Imaginez combien d’années vous perdez jute à cause de votre opinion politique ! Je suis parti juste après mon bac. Partir, ce n’est pas compliqué en soi. C’est le régime qui vous met sous pression et qui rend les choses compliquées. J’ai travaillé à Dubaï, où j’ai écrit contre le régime. Puis j’ai voulu retourner à Damas. Mais un de mes collègues s’est fait emmener à l’aéroport, et on ne l’a jamais revu. Finalement, je me suis rendu en France. »

Pourquoi avoir choisi de venir à Paris ?

Sakher : « J’ai agi vite, en seulement quelques jours. C’était très difficile. Si ce n’était que moi, je serais allé au Royaume-Uni, mais les choix étaient très limités. Je suis donc allé à Paris, la capitale, une ville cosmopolite. C’était plus facile pour moi d’y parler anglais. »

Les fake news est un sujet qui refait souvent surface. Qu’en pensez-vous ?

Sakher : « Il existe plusieurs types de fake news. Il y a l’« appât à clics » des articles avec des titres vendant des informations extraordinaires pour de l’argent. C’est souvent risible, par exemple : « Une vache pleure en se rendant à l’abattoir ». Il y a aussi la propagande : quand on voit une star ou une personnalité qu’on apprécie utiliser un certain produit, on sera tenté de l’acheter. Mais parfois les fake news sont plus sournoises : le journalisme « biaisé » est un danger car les journaux concernés ne s’expriment pas vraiment, ils ne sont pas neutres. Indirectement, ils soutiennent des personnes en concurrence avec d’autres, ce n’est pas objectif. Enfin, certains journaux arborent de gros titres mensongers, et comme les lecteurs ne vont pas forcément plus en profondeur, ils ne retiennent que ça. »

Que conseillez vous pour éviter d’être trompé par les fake news ?

Sakher : « Il faut être attentif aux mails qu’on reçoit, et aux sources. De plus, ce n’est pas parce que des médias ont une certaine renommée qui en principe garantit l’absence de fake news qu’il ne peut pas en avoir. Il existe des sites pour vérifier l’authenticité des informations que l’on consulte, comme factcheck.org. »

How to spot fake news ?

Sakher nous rappelle l’importance de se poser les bonnes questions pour ne pas se laisser piéger et lutter contre la désinformation.

« Fake news cannot be underestimated. They kill, as with Samuel Patty »

Des conseils pour ceux qui envisagent des études de journalisme ?

Sakher : « Lisez beaucoup. Essayez de savoir un peu de tout sur tout, il faut être curieux. »

« People who tell the truth are under attack. »
« In journalism, you have to ask, not to be asked »
« Don’t compromise your values »
« Freedom is a responsibility. You cannot insult people and say : it’s my freedom »

Cette intervention, c’était l’occasion d’ouvrir les yeux sur ce problème majeur et malheureusement croissant dans certains pays : le manque de liberté d’expression, et plus particulièrement le manque de liberté de la presse. Un des grands enjeux contemporains est de sensibiliser les personnes, mais aussi de s’informer sur ce fléau qui est une atteinte à la liberté de milliers de personnes, et pas seulement en Syrie, mais aussi en Iran, en Libye ou au Yémen par exemple. C’était aussi l’occasion de rappeler l’importance de vérifier ses sources pour ne pas croire ou diffuser des informations erronées.

Mais plus que de porter un nouveau regard sur le monde extérieur, Sakher nous a appris à remettre en question notre propre façon de penser, sorte d’écho à l’étude des Essais de Montaigne cette année. En effet, si la Syrie occupe la 174 ème place sur 180 dans classement mondial de la liberté de la presse, la France est en 34 ème position, ce qui peut paraître étrange pour un pays qui a fait de sa devise la liberté. Reporters sans frontières explique cette position dans le classement entre autres par les violences récurrentes contre les journalistes pendant les manifestations. Plusieurs journalistes ont été blessés par des tirs de LBD (lanceurs de balles de défense), de grenades lacrymogènes ou par des coups de matraque. D’autres ont été la cible d’interpellations arbitraires ou ont vu leur matériel de reportage saisi. Une bien mauvaise position pour le soi-disant pays des droits de l’Homme… Voir de tels outrages à la liberté de la presse dans son propre pays nous a donné envie d’agir, de La Liberté de la presse dans le monde en 2018, selon Reporters sans frontières passer à l’action. En libérant la parole et par des actes citoyens réfléchis, nous pouvons
faire avancer les choses.

Un grand merci à Monsieur Sakher EDRIS, mais aussi à Monsieur Panko, à la mairie de Mérignac et plus particulièrement à Monsieur Loïc Farnier, ainsi qu’à La Maison des Journalistes.

Photos : Lican Maëna
Rédaction et mise en page : Moreno Anaëlle

9 juin 2021