Collaboration

Grand Théâtre Massenet de Saint Etienne, samedi 27 octobre 2012

En cette froide soirée où l’automne avait donné rendez-vous à l’hiver, nous avons affronté le vent froid de la colline de la maison de la culture pour venir applaudir Michel Aumont et Didier Sandre dans la pièce de théâtre Collaboration de Ronald Harwood.

Cet auteur est également connu pour avoir signé le scénario du film Le Pianiste ou encore Le Scaphandre et le Papillon, pour lesquels il fut récompensé. Ce dramaturge sud-africain participa à de nombreuses grandes productions et signe ici avec Collaboration une pièce au sommet de son art.

Il nous raconte l’histoire de l’amitié forte unissant deux géants de l’art du XXe siècle : le compositeur Richard Strauss (Michel Aumont) et l’écrivain Stefan Zweig (Didier Sandre). Tous deux construisent avant la seconde guerre mondiale une  »collaboration » fructueuse pour la création de l’opéra Une femme silencieuse. Mais ils se font vite rattraper par la montée du nazisme. L’un est un musicien courtisé par le régime ; l’autre, est un autrichien juif mis à l’index et craignant la violence du parti nazi. Leur amitié va évoluer en même temps que l’Histoire.

La pièce débute dans une ambiance bourgeoise, policée et une certaine insouciance : une époque que Strauss ne veut pas quitter en se réfugiant dans le déni face à la menace qui plane. Mais le spectateur sent peu à peu monter la tension du conflit mondial, qui nous est rappelé à la manière très visuelle du format cinématographique des informations de l’époque. Le rythme des années qui s’affichent s’accélère, dans un format de plus en plus grand, comme hypnotisant, sur le rideau.

Les conséquences de la guerre se ressentent sur les relations entre les deux artistes, ramenés à la réalité par l’intrusion de la violence dans leur environnement. Ils essaierons le plus longtemps possible de garder leur amitié en vie, mais Strauss est sous le chantage du régime et Zweig, quant à lui, doit se réfugier au Brésil où il prend la décision de se suicider.

La fin de la pièce est alors un véritable coup de poing pour les spectateurs avec la réplique forte de Strauss qui cloture la pièce par la réflexion suivante : lequel des deux artistes a le plus  »collaboré » avec les nazis ? Strauss, qui suit le mouvement sans réellement y adhérer ? Ou bien Zweig, qui, par son suicide, démissionne, laissant le nazisme triompher ?

Cette chronique de  »collaborations » est une véritable réussite. Les acteurs, vraiment dans leurs rôles, si complémentaires par leurs contrastes autant que par leurs ressemblances ; arrivent à transmettre aux spectateurs, pour l’un sa puissante énergie créatrice et son addiction à la musique à travers la composition ; et pour l’autre une sensibilité discrète et toute en nuance, marquée par une émotion tourmentée. Ces deux personnalités sont de grands artistes pris dans la tourmente de l’Histoire.

La mise en scène de Georges Werler est à la fois très réaliste dans les décors en style art déco des demeures respectives des deux personnages principaux ainsi que dans les costumes, le tout fonctionnant en un style assez cinématographique. Mais elle prend également toute sa puissance évocatrice dans la scène de la préparation du suicide de Zweig, dans laquelle l’enfermement psychologique de l’écrivain en exil n’est que suggéré par des barreaux de lumière projetés au sol en un véritable tableau où la perspective resserrée dans laquelle sont positionnés les deux personnages, évoque le style de Magritte. L’abstraction se fait de plus en plus présente jusqu’à la dernière scène du procès où seul Strauss et sa femme sont visibles dans l’obscurité d’un décor balayé.

L’ensemble nous fait vivre un moment exceptionnel de communion entre amour de la musique et de la littérature, entre amitié et Histoire, entre survivants et détruits.

 

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