Travaux en cours

Contes, dessins et pédagogie. Ou l'inverse.

Un grain de café dans un massif de rhododendrons.

Cinq heures du matin. Il fait encore très chaud dans la grande ville du Sud-Ouest. Le docteur se demande si les grilles du Jardin Public sont ouvertes, ça lui ferait gagner du temps pour rentrer chez lui. Ses mains tremblent encore un peu de la dernière opération qu’il a dû réaliser. Ce gosse est passé à rien de l’amputation …

Ah, les grilles sont ouvertes. Il s’engage dans l’allée sous les marronniers centenaires. Il passe le pont de bois en sentant la sueur lui couler lentement dans le dos. Il s’efforce de ne penser à rien, rien qu’à marcher pour rentrer chez lui. Tout à coup, un bruit criard le fait sursauter : deux corneilles se chamaillent un peu plus loin. Il s’apprête à passer son chemin lorsqu’il se dit que vraiment, ces oiseaux font un drôle de boucan. Curieux malgré sa fatigue, il s’approche du massif de rhododendrons en fleurs. Dans les lueurs de l’aube, il ne voit pas grand-chose.

Prêt à reprendre son chemin, il se dit qu’elles doivent se battre pour un morceau de pain oublié par un gamin, au pire, le cadavre d’un hérisson. Il contourne le massif de fleurs rouges quand il se raidit soudain : une chaussure marron sous les basses branches. Et dans le prolongement de cette chaussure, il voit maintenant nettement une jambe. Pliée au genou, elle fait un drôle d’angle, pas ce qu’un docteur considère comme normal. Ni personne d’ailleurs. Soulevant le feuillage, il n’en croit pas ses yeux. Ce n’est pas un hérisson qui git là mais un homme, mort s’il en croit les yeux grands ouverts sur les fleurs rouges qui l’entourent. Les corneilles n’ont pas encore fait de ravages.

Reculant prestement, le docteur saisit son téléphone portable. Le 15 ? le 17 ? Le docteur inspire un grand coup pour retrouver son calme. Il doit donner correctement les indications à la police.

Ce n’est pas maintenant qu’il pourra rentrer dormir. Il s’assoit sur un banc, la tête dans les mains. Cette dernière journée a ressemblé à l’enfer. Dès ce matin, la voiture qui a refusé de démarrer. Le monde dans le tram, les odeurs de transpiration mêlées aux parfums bon marché des midinettes. La meilleure infirmière s’est cassé la jambe et ne l’a pas assisté sur les différentes opérations de la journée. Il a dû supporter cette idiote qui ne comprend rien et qui l’a déconcentré quand il s’occupait du gamin. Elle a failli lui faire perdre son sang-froid juste au moment où le bistouri s’approchait de l’artère fémorale. Le tremblement le reprend, comme à la sortie du bloc.

C’est déjà le lendemain et l’enfer continue. Des policiers arrivent. Ils lui posent les questions d’usage, enfin, celles que les policiers posent dans les films. Pendant ce temps, d’autres agents prennent des mesures et des photos. Sur la promesse de passer au commissariat, il se lève pesamment du banc et titubant de fatigue, se dirige enfin vers son appartement et son lit.

Il remonte le cours de Verdun et tourne vers son immeuble. Un détail le tracasse cependant. Mais il n’arrive pas à savoir quoi. Dormir ! Arrivé enfin, il fait quelques pas en semant ses fringues autour de lui et se jette sur son lit, sombrant dans un sommeil profond. Un sentiment d’aveuglement le réveille. Le store n’est pas baissé et un rayon de soleil le fusille inexorablement. En grognant, il se lève difficilement et se fait un café serré sur sa nouvelle machine expresso. Un cadeau qu’il s’est offert pour fêter sa nouvelle vie. Vite, s’éclaircir les idées. Le bruit du tram, au loin, lui rappelle qu’il doit s’occuper de sa voiture. Pas question de refaire le trajet d’hier. La première tasse lui fait du bien, il s’en refait une autre. Et il doit aller voir les flics. Mais pourquoi s’est-il arrêté voir ce que faisaient ces fichues corneilles ?

De fil en aiguille, il remonte jusqu’à la découverte du corps sans vie. Quelque chose ne va pas, mais quoi ? Il revoit le massif de rhododendrons, les magnifiques fleurs rouges, la chaussure marron qui attire l’œil … là, c’est là que se situe le problème : sous la chaussure, un grain de café, pris dans les rainures de la semelle épaisse. C’est quand même étrange ce grain de café, là sous la chaussure.

La douche fraiche finit de lui éclaircir les idées. Il enfile des vêtements propres et sort affronter la chaleur de midi. Sa voiture ne démarre toujours pas. Un coup de fil au garagiste le rassure, ils vont s’en occuper dans la journée. Le bureau de police, rue Ducau, n’est pas si loin qu’il doive s’y rendre en tram. Les fenêtres à barreaux du rez-de-chaussée lui indiquent qu’il est au bon endroit. Un officier de police judiciaire le reçoit et prend sa déposition.

Il redit les corneilles, la chaussure, le corps. Le policier tape consciencieusement sur son ordi, imprime et le fait signer. Au moment où ils se lèvent, le policier lance : « Au fait, vous connaissez peut-être la victime, c’est un de vos collègues à l’hôpital Pellegrin. Laurent Beauvoisin, vous le connaissiez ? ». Le docteur, ébahi, ouvre grand les yeux et répond : « Non, c’est pas possible, pas Laurent ! ». Il se rassoit. « Que s’est-il passé ? » reprend-il. Le policier lui répond que l’enquête le déterminera. « D’ailleurs, quand avez-vous vu la victime la dernière fois ? » Le docteur cherche dans sa mémoire, il l’a vu hier midi, oui, c’est cela, hier midi à la cafétéria de l’hôpital. Ils se sont salués de loin. Secouant la tête, il répète : « Pas Laurent, non, pas Laurent. »

« Pour ne pas vous faire revenir, pouvez-vous me donner votre emploi du temps d’hier, s’il vous plait Docteur. » lui demande l’OPJ. La journée de l’enfer défile dans la tête du médecin et il revit ses déboires en les racontant. Enfin, il sort du bâtiment et retrouve la touffeur de la rue. Marchant à l’ombre autant que possible, il retourne chez lui.

L’hôpital ne l’attend qu’en fin de journée, il a le temps de faire un peu de ménage. Il commence par brancher le ventilateur. Il passe l’aspirateur, nettoie tous les meubles avec une lingette désinfectante. Malgré l’air plus frais brassé par les pâles qui tournent, il a trop chaud. Après une deuxième douche, il se vautre sur son canapé face au ventilateur.

Le carillon de sa porte d’entrée le sort de son demi-sommeil. Il va ouvrir et se trouve devant la carte professionnelle d’un policier. Le capitaine, après s’être assuré de son identité, lui demande de le suivre au commissariat. Sans protestation, le docteur demande juste le temps de se rendre présentable.

Embarqué dans la voiture tricolore, il réfléchit à ce qui lui vaut d’être convoquer ainsi. Ne pas en dire trop ! Ne pas paraitre coupable, ni trop détendu ! Les journaux sont remplis d’erreurs judiciaires, le pseudo-coupable ayant craqué en interrogatoire. D’ailleurs, coupable de quoi ? Il s’efforce de respirer calmement en se disant que sa transpiration est naturelle vu la chaleur.

Celle-ci est encore pire dans le bureau où on l’emmène. Il prend place là où on lui dit et le capitaine, affable, lui demande de raconter à nouveau sa journée de la veille. Ce qu’il fait sans problème. Il commence à se sentir mieux quand le policier attaque : « Alors comment expliquez-vous que l’on vous a vu partir avec lui vers 17 heures ? »

–          Mais qui vous a dit ça ?

–          Peu importe, répondez !

–          Non, je veux savoir qui raconte n’importe quoi sur moi ! Je vous ai déjà dit ce que j’ai fait hier toute la journée ; à 17 heures,  j’étais en pause et je me concentrais avant une intervention qui promettait de durer une partie de la nuit. On nous avait annoncé l’arrivée de polytraumatisés d’un accident de voiture sur l’A660 vers Arcachon.

Le docteur sent qu’il donne trop de détails qu’en face on ne lui demande d’ailleurs pas. Signe de nervosité qui pourrait laisser penser qu’il ne se maitrise pas bien. Il cesse de parler et attend. Le capitaine sourit légèrement et attend également. Le docteur commence à regarder ostensiblement dans la pièce. Son regard erre lentement. Il s’arrête un instant sur un gobelet de café. Il se rappelle maintenant le grain de café dans la chaussure de ce pauvre Laurent. Maintenant franchement mal à l’aise, il se tortille sur la chaise inconfortable. Contrairement à ce qu’il avait décidé, il reprend la parole : « Alors, je peux partir ? Mon service recommence dans une heure. »

–          Pas tout de suite, Docteur, nous avons encore besoin de quelques précisions. Vous nous avez dit que la victime était juste un collègue de travail pour vous. N’avez-vous pas omis quelque chose au sujet de votre compagne ?

–          Ex-compagne !

–          Oui, votre ex-compagne n’était-elle pas devenue l’amante de la victime ?

–          Elle fait ce qu’elle veut, couche avec qui elle veut depuis que je l’ai virée de chez moi !

–          Virée de chez vous, … c’est élégant !

L’agaçant petit sourire revient sur les lèvres du capitaine qui se tait à nouveau. Le docteur sent une sorte de rage s’emparer de lui, mêlée à la touffeur de la pièce. Il repense à cette fille, une sale garce qui profitait de ses horaires à rallonge pour se taper tout ce qui bougeait.

La sueur coule maintenant sur son dos mais aussi sur son visage. Il s’essuie du revers de sa manche. Le capitaine fait comme s’il ne voyait rien et lui dit :

–          Alors, vous partez avec le docteur Bonvoisin vers 17 heures et vous allez où ?

–          Je veux voir mon avocat. Vous m’accusez ! Je veux voir mon avocat, je ne dirais vous plus rien.

–          Je vois que Monsieur regarde les séries américaines. Ça ne se passe pas comme ça ici. Nous ne vous accusons de rien, je vous demande juste ce que vous avez fait avec le docteur Bonvoisin une fois sortis de l’hôpital. Nous avons d’autres témoins qui vous ont vu avec lui vers chez vous vers 17 heures trente puis il est ressorti seul un quart d’heure plus tard. La caméra du cours de Verdun le montre entrant dans le Jardin Public.

–          Alors, vous voyez bien que je n’y suis pour rien ! Quand il est parti de chez moi, je me suis dépêché d’attraper un tram pour retourner à Pellegrin.

–          Effectivement, vous n’étiez plus avec lui au moment de sa mort.

–          Ah ! Vous voyez bien. Je m’en vais maintenant !

–          Asseyez-vous ! Vous venez de reconnaitre que la victime était chez vous, avec vous juste avant sa mort, n’est-ce pas docteur ?

–          Certes, mais cela ne vous permet pas de m’accuser de l’avoir tué.

–          Vous allez signer votre témoignage. Vous n’êtes accusé de rien mais nous aurons peut-être besoin de vous recontacter. Ne sortez pas des limites de la ville.

Le docteur, soulagé, repart du commissariat. Il n’a pas le temps de retourner chez lui, il se douchera à l’hôpital. L’infirmière idiote l’accueille, l’air apeuré, en lui tendant les fiches des urgences. Agacé, il la rembarre : « Vous voyez bien que je dégouline de partout ! »

Après sa douche, il se sent mieux. La même infirmière lui indique les opérations qui pourront se succéder dans la nuit. Il se dit qu’il faudrait mieux qu’il se calme vis-à-vis de l’idiote. Ce n’est pas le moment de faire une boulette en salle d’opération. Il va prendre  sur lui. La nuit est moins bousculée et il se retrouve chez lui à une heure correcte grâce au taxi qu’il s’est offert.

Quelques jours passent. Pas de nouvelles du commissariat. Ils ont enfin reconnu son innocence. Il fait moins chaud et la vie reprend tranquillement. Il a récupéré sa voiture et se dit qu’il est sans doute sorti de ces journées d’enfer. Il sirote son café en écoutant son morceau préféré de Wagner quand la sonnette de l’entrée se fait entendre. Grognant contre ce dérangeant intrus, il ouvre, prêt à rembarrer l’importun. Il ne voit que la carte de police du capitaine qui l’a déjà interrogé.

Cette fois-ci, ils sont plusieurs avec une commission rogatoire pour fouiller son appartement. Ils prélèvent différents objets dont son ordinateur et son téléphone portable. Ils tournent autour de sa machine à expresso et ramassent un paquet de café en grains entamé. « Veuillez nous suivre au commissariat, Docteur. » lui dit le capitaine. L’enfer recommence ! Arrivés dans la salle d’interrogatoire, ils lui demandent de répéter encore une fois sa version. Ce qu’il fait sans variante. Ils ressortent, le laissant seul. Le temps passe et il se demande ce qui se passe.

La porte s’ouvre enfin. « Vous êtes en état d’arrestation pour le meurtre de Monsieur Bonvoisin » lui annonce le capitaine. Ses dénégations ne changent rien, ils le laissent s’enferrer dans ses explications oiseuses. Que s’était-il passé ? Le policier raconte à son commissaire que les deux médecins s’étaient retrouvés chez le docteur et avaient bu un café, fraichement moulu. Seulement, dans la tasse du docteur Bonvoisin, il y avait de la digitaline, ce qui avait causé son décès dans le Jardin Public. Se sentant mal, il s’était assis sur un banc et s’était endormi doucement pour ne plus se réveiller. Personne n’avait dérangé de dormeur qui avait fini par glisser à bas du banc pendant la nuit. Quelque animal rodeur l’avait tiré sous le massif de rhododendrons, lui tordant la jambe. Il avait dû être dérangé par les cris perçants des corneilles et par l’arrivée du docteur qui ne s’attendait sûrement pas à retrouver ici sa victime.

Le contenu de l’estomac montrait l’empoisonnement à la digitaline en présence de café. Or le docteur avait facilement accès à la pharmacie de l’hôpital. De plus, une charmante infirmière, qui avait l’air d’avoir peur de ce médecin, leur avait confirmé qu’il était sorti de la pharmacie avec un paquet qu’il avait l’air de cacher sous sa blouse. C’était elle aussi qui avait vu les deux médecins partir ensemble à 17 heures le jour de la mort de Bonvoisin.

L’accusé entend ce récit et se maudit d’avoir sous-estimé cette pauvre fille ! Le capitaine poursuit ainsi son rapport. « Ce qui les avait mis sur la voie ? Le grain de café retrouvé sous une chaussure du mort. En allant chercher le docteur la première fois, il avait remarqué la magnifique machine à café neuve, un percolateur dans lequel le connaisseur ne met que du café fraichement moulu. Il en aurait bien pris une tasse ! C’est à cause du café qu’il a fait le lien. D’ailleurs, ce grain de café provient bien du paquet entamé prélevé chez le docteur. L’accusé n’a jamais pardonné à son confrère de lui avoir piqué sa compagne. Il s’agit bien d’un meurtre avec préméditation ! »

De l’autre côté de la cloison, l’accusé, atterré, se lamente : « Un grain de café ! Mais comment n’ai-je pas pensé à l’enlever de la chaussure, sous le massif de rhododendrons, dans le Jardin Public de Bordeaux, ce matin-là ? »

 

Anne-Marie, 11 juin 2017

Bordeaux

(A partir de 4 mots donnés par Juliane et Xavier : lesquels ?)

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Blog 31

Ceci est un complément à la page 123 de Anne-Marie Sanchez & Annie Di Martino, « Faire progresser tous les élèves », publié chez L’Harmattan.

Dans un projet, le plus important, ce n’est pas la production finale mais ce que les élèves en retirent pour leurs apprentissages : « un projet raté est un projet réussi » (Marie Ros-Guézet[1]).

L’auteure avec sa collègue de technologie[2] a consacré la dernière heure du LABO[3] « Communiquer, toute une Histoire » au bilan collectif de tout ce qui a été appris au cours du semestre, en technologie, en histoire, en recherche documentaire et dans le travail d’équipes. Les professeures ne sont pas intervenues, l’une a réparti la parole, l’autre a saisi en direct les dires des élèves. Le tableau ci-après reprend la liste de tout ce que les élèves ont estimé avoir appris.

Dans un deuxième temps, après impression et photocopie de la liste, chacun s’auto-évalue avec des plus et des moins pour repérer les apprentissages individuels.

Enfin, chacun réfléchit à ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas été réussi. Afin que ce dernier moment soit utile, il devra être repris au début du prochain travail de groupe soit en Histoire, soit en Technologie soit dans une autre discipline avec un autre enseignant de l’équipe Neo Alta.

Bon, évidemment, ce n’est pas une note … mais cela donne des informations aux élèves et aux professeures.

Voici l’évaluation collective de ce qui a été appris dans le LABO « Communiquer, toute une Histoire », 4e Neo Alta, Juin 2017

[1] Ingénieure pour l’école du 91, Académie de Versailles

[2] Sophie Le Vilain

[3] EPI de Neo Alta, en co-animation systématique

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Blog 27

Ceci est un complément à la page 100 de Anne-Marie Sanchez & Annie Di Martino, « Faire progresser tous les élèves », publié chez L’Harmattan.

Un exemple : tâches complexe et arts plastiques

Ou comment la résolution d’une tâche complexe mène à une infinité de solutions, toutes valables.

Tâche complexe

Commençons par rappeler ce que l’on nomme tâche complexe. Il s’agit d’une production (la tâche) appartenant à une famille de situations (par exemple faire un croquis géographique). Il est conseillé de la placer après l’enseignement de plusieurs unités du programme. L’élève est alors en capacité de « mobiliser ses ressources » pour résoudre ce qui lui est demandé. C’est-à-dire choisir parmi tout ce qu’il a appris et expérimenté et sélectionner dans sa « boîte à outils » ce dont il pense qu’il aura besoin pour mener à bien cette tâche. C’est dans le choix et surtout dans la combinaison de plusieurs ressources que réside la complexité et non dans le degré de difficulté. Gérer une seule ressource définit une tâche simple –qui n’est pas nécessairement facile-, en « tricoter » plusieurs, est la caractéristique d’une tâche complexe. Il serait peut-être d’ailleurs temps d’abandonner ces termes de simple et complexe pour d’autres prêtant moins à confusion, par exemple tâche unique et tâche multiple. Ou encore tâche mono-ressource et tâche multi-ressources. La complexité évoquée ici est celle chère à Edgar Morin mais l’acception du langage courant nous trouble.

Tâche simple Tâche complexe
Gérer une seule ressource Gérer plusieurs ressources
Tâche unique Tâche multiple
Tâche mono-ressource Tâche multi-ressources

Continuons en rappelant à nos souvenirs qu’une ressource est ce dont dispose l’élève. Les ressources internes sont ce qu’il a appris, ce dont il dispose « les mains dans les poches », comme souvent en situation d’examen : ses savoirs, ses connaissances (14 Juillet 1789, prise de la Bastille ; la règle de l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir), ses habiletés (analyser un énoncé, réaliser une eurécarte (appellation maison pour une carte heuristique) pour faire l’inventaire de tout ce qu’il sait, faire un plan au brouillon pour organiser ses idées, les couleurs et les figurés du langage cartographique…), ses attitudes (la volonté d’aller au bout d’une tâche sans se décourager, rechercher une certaine élégance de rédaction, soigner son travail…). Tout le nécessaire est dans la tête.

Ressources internes Ressources externes
Ses savoirs, ses connaissances

14 Juillet 1789, prise de la Bastille

La règle de l’accord du participe passé employé avec l’auxiliaire avoir

Ses outils

Feutre fin noir et crayons de couleur pour le croquis

Fiche méthode « Présenter un document »

Tutoriel « Images actives »

Recette « Pour faire les tartelettes amandine »

Son T.N.R. –tableau de réussites et progrès dit aussi N.R.P. –niveaux de réussite et progrès-

Ses habiletés

Analyser un énoncé

Réaliser une eurécarte pour faire l’inventaire de tout ce qu’il sait

Faire un plan au brouillon pour organiser ses idées

Les couleurs et les figurés du langage cartographique

Ses pairs

Son voisin de table

Ses camarades de classe

Ses coéquipiers

Ses attitudes

La volonté d’aller au bout d’une tâche sans se décourager

Rechercher une certaine élégance de rédaction

Soigner son travail

Les adultes autour de lui

Son professeur tout disposé à répondre à ses questions

Un autre de ses professeurs en cas de co-animation

Le professeur-documentaliste en particulier

Un assistant d’éducation

  Le monde !

Et ses outils numériques interactifs

Smartphone

Tweetlist et les réseaux sociaux

Internet

Les ressources externes sont, par conséquent, tout le reste, ce dont il peut disposer à sa convenance : ses outils (feutre fin noir et crayons de couleur pour le croquis ; fiche méthode « Présenter un document », tutoriel « Images actives », recette « Pour faire les tartelettes amandine », son T.N.R. –tableau de réussites et progrès[1]– dit aussi N.R.P. niveaux de réussite et progrès,  ses pairs comme son voisin de table sur le travail duquel il pourra jeter un œil pour se rassurer, ses camarades de classe auxquels il pourra demander des éclaircissements, ses coéquipiers, mais aussi les adultes autour de lui par exemple son professeur tout disposé à répondre à ses questions, un autre de ses professeurs en cas de co-animation, le professeur-documentaliste en particulier, un assistant d’éducation : le monde ! et ses outils numériques interactifs comme les Smartphone, tweetlist et les réseaux sociaux, Internet et sa merveilleuse encyclopédie en ligne à laquelle les élèves ne comprennent pas toujours grand-chose….

 

Nature morte à dessiner

Ces rappels faits, passons à l’objet éponyme de cette partie, tâche complexe et Arts Plastiques.

Il était une fois trois amies qui allaient au cours de dessin ensemble, Céline, Sophie et Annie. Un jour, le professeur installe une nature morte et leur propose de la dessiner. Voilà une belle tâche complexe, non ?

Chacune des trois va s’atteler à la tâche à sa manière, Sophie en fouillant dans ses affaires, Céline en attendant un café et Annie en tournant en rond. Ce sont trois élèves bien différentes : Sophie ne voit pas en 3D, Annie ne voit pas les couleurs et Céline est d’une créativité sans borne. Quelles sont leurs ressources internes ? Annie dessine depuis dix ans (merci la prof d’arts plastiques qui l’a traînée à Florence et obligée à dessiner les monuments comme les 50 élèves embarqués dans l’aventure : « on ne regarde bien une œuvre qu’en la dessinant, tu verras ». Vu.) et aime travailler sur du petit format pendant des heures. Sophie vient à l’atelier depuis quelques années, adore les couleurs et rend une des auteures malade de jalousie par sa maîtrise des proportions. Céline les a rejointes depuis l’année dernière, travaille très vite, sur du très grand format et sait détourner les compositions pour créer des fresques multicolores. Toutes les trois gèrent leurs ressources externes très différemment.

Sophie avant de commencer explore sa mallette et sort ses pastels tous neufs avec la ferme intention de les étrenner. La prof lui donne un papier tramé du plus bel effet. Sophie aime interpeler ses petites camarades pour leur demander ce qu’elles pensent de ceci ou de cela. Elle accepte voire recherche les remarques sur le rendu des couleurs, les volumes. Elle appelle régulièrement la professeure pour avoir un avis ou une aide. En quatre séances, de deux heures trente chacune, elle obtient ce qu’elle voulait, son premier pastel : ressemblant à la composition ET interprété.

Céline dessine une première fois la composition puis la réinterprète comme elle le fait à chaque fois. Il lui faut bien s’occuper étant donné que ses copines n’avancent pas et ont besoin que la composition reste exposée pendant de nombreuses séances. La professeure lui a donc proposé dès la première activité de septembre de reprendre le travail avec des lignes, des figures géométriques et des couleurs, beaucoup de couleurs. Au fil de l’année, Céline a donc développé un univers artistique bien à elle. En quatre séances, elle a produit une première production, grand format, au crayon puis cette seconde aux crayons de couleurs.

Annie, à force de tourner-virer une tasse à la main, s’est mise au travail, au crayon à papier, son outil de prédilection. Avantage puisqu’elle l’aime et inconvénient puisqu’elle peut gommer le moindre trait jusqu’à ce qu’elle obtienne l‘effet le plus proche de ce qu’elle cherche. Ce qui n’accélère pas sa vitesse d’exécution. Elle pose peu de questions à la prof, a du mal avec les proportions, puisqu’elle ne prend des mesures qu’une fois sur trois, et avec les perspectives qu’elle interprète à la chinoise quasiment tout le temps c’est-à-dire avec des lignes de fuite inversées. Elle reste une heure puis une heure et encore deux heures entières sur le sac en papier déformé sans être satisfaite. Ensuite, 1 h pour une pomme de terre, celle qui touche la bouilloire. Elle voudrait bien continuer mais la professeure n’en peut plus de manger des artichauts, des choux-fleurs de semaine en semaine. Au bout de quatre séances, ce n’est toujours pas terminé mais on siffle la fin de la partie.

Evaluation des trois productions

Si on était à l’école, le moment serait venu d’évaluer ces trois productions, de leur donner une valeur, pas une note. Ces dessins sont-ils réussis ? La tâche complexe a-t-elle été résolue ? Les dessinatrices ont-elles bien géré leurs ressources pour obtenir un résultat dont elles sont satisfaites ?

Pour répondre à cela, on pourrait utiliser les critères indiqués par François-Marie Gérard[2] : la pertinence, la correction, la cohérence et la complétude. Concernant la pertinence, c’est oui dans les trois cas malgré des différences flagrantes. On a bien un dessin et/ou une interprétation de la composition. Quant à la correction, c’est positif également. Pastels, crayons, gommes ont suivi les règles du genre, couleurs complémentaires pour placer les volumes, ombres. Ce qui ne signifie pas que ce soit parfait. On n’est pas aux Beaux-arts, non plus. La démarche des trois élèves est logique à chaque fois, suivant pourtant des itinéraires divergents selon l’expérience, le « métier », la sensibilité et les envies de chacune. Enfin la complétude. Une seule des trois a terminé son projet. Sophie a mené à bien sa première utilisation des pastels. Céline a terminé elle aussi son dessin mais s’est lancé dans une interprétation géométrique et colorée qu’elle n’a pas eu le temps de finir. Annie est la seule qui n’a pas accompli la mission fixée par la professeure, le dessin n’est pas terminé. Même s’il est fréquent en atelier de ne pas traiter l’ensemble de la composition et de laisser des « silences », des blancs, que l’œil se chargera de compléter. Dans ce dernier cas, trois des quatre critères sont évalués positivement. Le professeur peut donc estimer que c’est bon et qu’on peut passer à autre chose.

Tâche à accomplir : dessiner et interpréter la composition
  Sophie Céline Annie
Gestion des ressources internes Patience

Concentration

Rapidité

Créativité

Acharnement graphique

Démarrage façon diesel…

Gestion des ressources externes Aucune expérience du pastel

Nombreuses demandes à ses amies et à la prof

Crayons de couleurs Crayons à papier, gommes

Interactions avec ses pairs (peu..)

Peu de questions à la professeure

Qui a dit qu’évaluer les productions des élèves était long et difficile ? Dans la plupart des cas, évaluer une tâche complexe consiste à porter son regard sur quelques aspects de la production et de déterminer si « oui ou non ça passe ». Après, il n’y a plus qu’à renseigner son « carnet de bord de l’enseignant ».

La pertinence Est-ce que l’élève fait bien ce qu’il doit faire (et pas autre chose) ? Bref, a-t-il évité le hors-sujet ? Oui / non
 La correction Est-ce que l’élève fait BIEN ce qu’il doit faire, le fait-il correctement ? Utilise-t-il les outils comme on lui a montré ?  

Oui / non

La cohérence Est-ce que la démarche est logique ? Oui / non
La complétude Est-ce que la production est complète ? Oui / non

 

Métacognition

Toujours si on était à l’école, et si on suivait le processus « compétences- EPS » (voir partie 2, chapitre 2, p 73), on devrait arriver à la phase 4, les étirements c’est-à-dire celle du débriefing, de la métacognition/contrôle exécutif, de la régulation et de l’auto-évaluation.  « Evaluer, c’est s’évaluer » dit André de Peretti[3], il faudrait donc que chacune des trois élèves se livre à un petit temps de retour sur production. Par exemple à l’aide de ces trois questions simples :

Estimes-tu que ta production soit réussie ? Qu’est-ce qui te le fait penser ?

Ta production correspond-t-elle à ce que tu voulais faire ? Qu’est-ce qui ne te satisfait pas ? Comment l’expliques-tu ?

La prochaine fois, …

 

Apprendre, c’est semble-t-il prendre conscience de ce que l’on a fait, de ce que l’on sait, de la manière dont on s’y est pris en repérant les démarches efficaces et efficientes et les travers à améliorer[4]. En prendre conscience et les garder en mémoire ou du moins d’en avoir une trace afin de relire puis repartir du bon pied lors de la prochaine résolution de tâche complexe.

Céline s’est livrée gracieusement livrée à cette petite introspection :

Ma production est réussie, c’est joli. Je n’avais pas de projet à la base. J’ai recherché une harmonie de formes et de couleurs. Je suis satisfaite du résultat. La prochaine fois, j’essaierai de faire un effet de matière.

Sophie a également accepté l’exercice d’autoévaluation :

J’aime assez ma production car c’est la première fois que je travaillais sur un support granuleux. Je pense avoir réussi à reproduire ce que je voulais. Je suis assez satisfaite même si la pose de matière ne correspond pas à ce que je voulais. Ma production n’est pas suffisamment réaliste. La prochaine fois, je voudrais mieux travailler les effets de matière sur des supports différents.

Au tour d’Annie :

J’estime que ma production est réussie bien qu’inachevée. Les objets de la composition sont tous placés, relativement bien proportionnés les uns par rapport aux autres. Plusieurs sont en volume. La texture des oranges est rendue, celle des pommes de terre aussi.

Je voulais tout dessiner et surtout montrer les volumes de tous ces fruits et légumes. Je voulais travailler la surface du chou-fleur et essayer de rendre le côté floconneux des fleurettes. Je n’ai pas eu le temps). Je n’ai pas eu le temps -nonobstant le peu de temps dont je disposais ce mois-là- car je démarre trop lentement et je passe trop de temps sur un seul objet.

La prochaine fois, je pourrais démarrer plus vite (sauf que non, c’est une activité de loisirs, je ne passe pas un concours). Il faudrait que je ne passe pas plusieurs séances sur un même objet car la prof m’a fait remarquer que les lumières changent et marquent les ombres autrement, cela m’égare ensuite. Je pourrais aussi admettre que la perfection n’est pas de ce monde, que le dessin n’est pas une « photo d’identité » de la composition. Il va aussi falloir quand même que je me mette à prendre des mesures, c’est facile, je sais le faire en théorie… Il suffit de tendre le bras en tenant son crayon.

Et c’est exactement ce qu‘elle a fait la séance suivante sur un autre sujet !

Ainsi, face à une même tâche complexe, avec la même consigne, les trois élèves ont produit trois productions qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Que l’on peut considérer toutes comme évaluables positivement. La démarche a permis la mise en œuvre des ressources internes et externes de chacune des trois puis à la mise en projet sur un axe choisi par chacune d’elle pour une production future. Quoi de meilleur pour les apprentissages et l’implication que l’auto-détermination d’un futur objectif de travail ?

[1] Voir Partie 3, chapitre 2 : Utilisation des CED : niveaux de réussite et de progrès

[2] François-Marie GERARD, Evaluer des compétences, guide pratique, de Boeck, 2008, 1ère édition

[3] Cf. la vidéo tournée par Thierry Foulkes sur une idée de François Müller « Dix mots pour le changement en éducation … évaluer » https://www.youtube.com/watch?v=EujlJTT8kHQ&list=PL98D64821BE92DE36

[4] Nous n’écrivons pas « corriger ». Nous essayons de rester dans une démarche positive et d’envisager la suite des apprentissages comme une longue liste de progrès faisables. En classe, nous ne faisons pas de « remédiation », nous essayons de faire en sorte que les élèves fassent des progrès.

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