La COP21, la transition énergétique et la décroissance : attention aux faux débats !

L’entretien que le journal le Monde a passé dans son édition du 14 novembre 2015 avec Laurence Tubiana et H. De Castries (PDG de la firme Axa assurances) autour de la COP21 me semble très intéressant (« Faut-il renoncer à la croissance immédiate ? » Le Monde, 14 novembre 2015). L. Tubiana est une économiste spécialiste des questions climatiques et environnementales (directrice de la chaire « développement durable » à l’IEP de Paris). Elle a été nommée l’an dernier par le Gouvernement français sur le poste d’Ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique ce qui fait d’elle une personne stratégique de premier plan pour la COP21 (l’acronyme COP signifie en anglais « conference of the parties »). La position défendue par H. De Castries dans l’entretien illustre ce que l’analyse économique appelle la Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) : stratégiquement, les firmes sont incitées à communiquer sur leur engagement écologique (ce que fait très bien le PDG d’Axa dans l’entretien !) mais pour que cette communication se traduise en réorganisation industrielle dans les actes et ne se limite pas à un simple discours, il est nécessaire que le système politique national et international mette en place un dispositif coordonné de sanctions et d’incitations en interaction avec les firmes. Ce dispositif est aujourd’hui embryonnaire ce qui permet d’expliquer que l’objectif de seulement +2° C ne sera pas atteint. Souvent, dans l’opinion publique, l’explication avancée est celle de l’insuffisante « volonté politique ». Mais cette explication est très limitée et fait même paradoxalement obstacle à la compréhension (sauf à supposer que la cupidité des dirigeants du monde les conduit volontairement au suicide collectif !). L. Tubiana rappelle une idée simple et forte dans l’entretien qui explique pourquoi la gouvernance mondiale en matière environnementale manque cruellement d’efficacité. A la question posée par le journaliste : Cette lutte contre le changement climatique est-elle compatible avec la croissance ? Elle répond : « Nous connaissons le coût de l’action, mais pas celui de l’inaction. Forcément, cela fait peur. La Chine paye aujourd’hui la sous-évaluation des coûts environnementaux. Nous avons des difficultés dans la prévision. La plupart du temps, les scénarios reposent sur des hypothèses technologiques complètement dépassées ». En d’autres termes, l’explication de l’inefficacité d’action de la « communauté internationale » en matière environnementale me semble reposer sur deux arguments essentiels :

1) l’Histoire longue nous enseigne que tout changement de modèle – a fortiori civilisationnel ! – présente un coût important (économique, social, politique) qui fonctionne comme un frein puissant au changement. C’est finalement la thèse défendue en son temps par K. Marx lorsqu’il montre que le mode de production féodal (qui a précédé le capitalisme) a mis en œuvre toutes ses ressources disponibles pour résister à sa destruction. Dans sa vision du matérialisme historique, Marx considérait que les contradictions internes du mode de production féodal généraient malgré tout de telles forces que la crise politique majeure était inéluctable (c’est ainsi qu’il explique l’avènement du mode de production capitaliste qui, avant la Révolution française et de surcroit avant la Révolution industrielle a progressivement construit les bases de son développement). En d’autres termes, les systèmes politiques sont par nature tout d’abord conservateurs, ce sont les dispositifs que les hommes conçoivent et mettent en oeuvre qui permettent par la suite de les transformer. Aujourd’hui, ce que nous « coûte » la transition énergétique est incontestablement considérable (en fait c’est ce que coûte l’abandon d’un système productif fondé sur les énergies fossiles). Pour sortir par le haut du problème, il faut donc progresser sur l’évaluation des gains potentiels consécutifs à la transition énergétique c’est à dire fournir une incitation au changement et ne pas simplement se cantonner à une incantation sur la « fin programmée de l’espèce humaine ». La réponse complémentaire à la question posée par le journaliste (« la lutte contre le changement climatique est-elle compatible avec la croissance ? ») est ainsi : elle ne l’est pas à court terme (les coûts l’emportent sur les gains) mais elle l’est puissamment à moyen terme (les gains, en incluant la mesure de l’amélioration de la qualité de la vie pour des populations humaines massives, l’emportent sur les coûts).

2) Dans le débat politique actuel, les discours de « gauche radicale » mettent pour leur part l’accent sur une réponse en terme de « décroissance » sur le mode : renoncer à la croissance productiviste sur laquelle s’est fondé le système capitaliste est la réponse pour sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Or, un examen un peu rationnel de la situation conduit au contraire à montrer que c’est de davantage de croissance dont le monde à besoin (ce que dit « indirectement » sans doute pour des raisons de communication stratégique L. Tubiana). Le discours de la décroissance est l’exemple type de l’argument « frappé au coin du bon sens » mais qui repose sur une base logique erronée (l’enfer est pavé de bonnes intentions comme nous le savons !) : car en vérité pour que les gains potentiels d’un système économique qui repose sur les énergies renouvelables plutôt que fossiles soient croissants et significatifs, il est impératif que des innovations majeures comme disait l’économiste J. Schumpeter apparaissent. Or, ces innovations impliquent un monde qui produit davantage de richesses et qui oriente de manière stratégique ces richesses nouvelles vers la transition énergétique, c’est à dire un monde en croissance ! L. Tubiana rappelle aussi que, faute d’innovations suffisantes ce qui provoque notamment une obsolescence technologique plus rapide et donc faute de croissance économique, les gains potentiels de la transition énergétique sont sous évalués de sorte que cela incite encore davantage à l’inertie plutôt qu’au changement !

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