Comment animer un groupe de discussion ou un atelier sur les sciences sociales en éducation populaire ?

Introduction :

J’ai eu l’occasion d’animer des ateliers avec des publics très variés. C’est sur la base de cette expérience et de mes recherches sur les pédagogies critiques et radicales, issues de l’oeuvre de Paulo Freire, que je rédige ce petit vade mecum.

Mon texte s’adresse plutôt à des personnes qui ont une formation scientifique et qui veulent la partager auprès d’un plus large public. Mais il peut également apporter des éléments à des personnes qui sont des animateurs/trices d’éducation populaire et qui souhaiteraient animer des ateliers sur des thématiques en lien avec les sciences sociales.

Mon approche s’appuie sur la pédagogie de Paulo Freire. Il est possible en effet de considérer qu’il existe deux conceptions en éducation populaire auxquels s’oppose Paulo Freire. La première conception considère que l’éducation populaire, ce sont des universitaires ou autres chercheurs qui dispensent des conférences au « peuple ». La seconde conception opposée, elle consiste à voir dans la transmission de savoirs, par un ou une intervenante, un obstacle à l’émancipation. Dans sa forme, la plus radiale cette thèse s’inspire du Maître ignorant, tel qu’il a été présenté par Jacques Rancière.

L’approche freirienne se situe à distance de ces deux conceptions en mettant en avant que l’émancipation passe par une dialectique entre des savoirs de nature différentes. C’est ce que Paulo Freire appelle la « synthèse culturelle ». Ces savoirs peuvent être, en particulier, ceux issus de l’expérience sociale et les savoirs issus de la recherche scientifique.

Deux exemples peuvent illustrer ces approches : celle des « croisement des savoirs » menée par ATD Quart monde et l’ « Université Populaire des mouvements sociaux » initée par Boaventura de Sousa Santos (voir références en bibliographie).

Quelques grands principes de la pédagogie freirienne :

a) L’importance accordée à l’enquête comme vecteur de conscientisation (i.e développement de la conscience sociale critique)

b) Le respect des savoirs sociaux des personnes : « personne n’est totalement ignorant »

c) Le dialogue critique (qui s’effectue souvent dans une disposition en cercle : car en cercle chacun est à la même distance du centre, chacun voit les autres).

Je vais présenter ici quelques dispositifs didactiques pour mettre en œuvre des ateliers en présentant l’intérêt et les limites de chaque approche :

– Les cercles de discussion en groupe de moyenne taille

– Les analyses de cas

– Les cercles de discussion avec un important effectif

– L’expérimentation d’une méthode de sciences sociales

On imagine à chaque fois que le public a été convié pour participer à un atelier avec une thématique précise.

Les démarches proposées ci-dessous présentent des limites. Il faut se rappeler avant de lire ce texte qu’il s’agit de savoir quelle place peut avoir une personne possédant un savoir théorique dans une démarche d’éducation populaire. La seconde dimension tient au fait que les démarches proposées ci-dessous implique une contrainte de temps (moins de 3h). De fait, elles restent sans doute insuffisantes pour faire état de ce qu’est co-construire un savoir qui ferait appel à la fois à des savoirs d’expérience et des savoirs théoriques.

1- Les « cercles de discussions»

L’utilisation du cercle, comme je l’ai souligné plus haut, est courante dans la pédagogie freirienne car il favorise la discussion et la participation de tous et toutes. L’avantage du cercle de discussion, c’est qu’il ne suppose pas de matériel particulier et peut fonctionner sur un temps qui peut aller d’1h30 à 3h.

Mais le cercle présente quelques limites. Un cercle est adapté de préférence pour un public de 15 à 20 personnes. Même avec ce nombre relativement réduit, certaines personnes n’oseront pas prendre la parole. Le cercle suppose une salle qui permette de mettre en œuvre cette disposition. Si par exemple, on attend 60 personnes : il est nécessaire de prévoir trois salles ou une salle assez grande pour mettre en place trois cercles. Il faut alors trois intervenant-e-s.

Début de la discussion :

– Le premier point est de s’assurer d’une personne qui aide l’intervenant-e a organiser la prise de parole. Il vaut mieux choisir quelqu’un qui a l’habitude de tenir ce rôle. Les règles qui peuvent être établies par exemple sont les suivantes : a) tours de parole b) priorité aux personnes qui n’ont pas encore parlé c) limitation de temps de parole.

– Proposer un tour de cercle : cela permet à chaque personne de prendre une première fois la parole. On peut leur demander leur prénom, leur lien avec la thématique, leurs attentes. (Il arrive cependant souvent que les personnes n’osent pas dire leurs attentes : il est possible de souligner ce point avant et d’encourager les personnes à dire ce qu’elles attendent de l’intervention).

– Il est possible de laisser un temps de réflexion personnelle de cinq minutes aux personnes pour qu’elles réfléchissent individuellement ou en binômes aux points qu’elles souhaitent aborder.

– Il vaut mieux pour l’intervenant-e qu’il ou elle note au fur et à mesure les attentes des personnes sur un carnet en se demandant comment il/elle peut structurer une intervention à partir de ces demandes.

– Apport de connaissances théoriques :

L’objectif est de se servir du tour de cercle pour structurer rapidement une intervention qui corresponde aux attentes en termes de connaissance des personnes présentes. Le tour de cercle doit de ce fait permettre d’identifier rapidement les différences de niveau des participant-e-s/participants sur la thématique abordée.

L’intervention ne doit pas être trop longue : elle doit durer 10 à 20 minutes. Si certaines personnes ont un bon niveau de connaissance sur le sujet, il est possible d’avancer en leur posant des questions et de compléter les points où il y a des besoins de connaissances supplémentaires. Cela permet de faire en sorte que toutes les personnes aient le même niveau de connaissance de base sur le sujet avant la discussion.

Ce type de manière de faire n’est pas adaptée, cependant, si vous avez du mal à structurer vos idées et à garder un fil d’intervention en tête.

– Les expériences personnelles et les questions :

Une fois ce premier moment d’intervention, un temps important est laissé aux remarques et aux questions des participantes. Il est pertinent d’encourager les personnes dont on sait qu’elles ont plus de mal à prendre la parole à le faire par exemple en rappelant que les femmes prennent moins la parole (ne pas hésiter à encourager des prises de paroles pour éviter que ce soit les mêmes personnes souvent des hommes qui monopolisent l’espace de parole).

– Susciter le débat :

Il ne faut pas hésiter également à susciter des échanges entre les personnes du cercle. Pour cela, l’intervenant-e peut également poser des questions, surtout des questions qui visent à susciter la discussion. Par exemple, l’objectif peut être de faire apparaître des positions de controverses sur le sujet entre les participant-e-s sur le sujet pour ensuite les objectiver.

 2- Le cas pratique

Si on veut pouvoir davantage intégrer l’expérience sociale des personnes, il est également possible de leur demander de choisir une situation qu’elles ont vécues en lien avec la thématique de l’atelier et qui fasse consensus pour son intérêt pour le groupe.

L’intervenant-e va alors montrer comment les connaissances les connaissances en sciences sociales peuvent s’appliquer pour analyser ce cas et aider les personnes à mieux comprendre les situations qu’elles vivent.

Il est possible que l’intervenant-e aie réfléchi à l’avance à une « méthode d’analyse de cas » et de cette manière elle peut également avancer en posant des questions aux participants pour mettre en œuvre une sorte d’analyse de cas guidée.

L’avantage de partir d’« un » ou de plusieurs cas pratiques auquel on réfléchit avec le groupe c’est que cela permet d’adopter une démarche inductive qui pour des personnes qui ne sont pas habituées à une approche théorique peut permettre de mieux faire le lien entre leur expérience sociale vécue et les connaissances issues des recherches en sciences sociales.

3- Les cercles de discussion avec un grand effectif

Lorsque le nombre de personnes est plus important, au dessus de 50 personnes en général, on a tendance à avoir recours à la conférence. Néanmoins, il est possible là encore de procéder autrement.

Il faut dans ce cas, une salle de grande capacité, mais où il est possible de disposer les chaises comme on le souhaite. Dans ce cas, il est possible de disposer le public en sous-groupes en cercles ou tables par exemple de 6 à 12 personnes.

L’intervenant-e va peut alors alterner entre des moment de questions où les groupes discutent entre eux et des moments d’apports de connaissance. La difficulté réside là encore dans la capacité de l’intervenant-e a être capable de structurer rapidement une intervention de 10 à 20 minutes sur un sujet.

Par exemple, on peut demander à chaque groupe de discuter entre eux pour dégager les questions et les points qu’ils aimeraient voir aborder. Il faut ensuite nommer deux rapporteur-trices par groupes pour formuler les attentes du groupe.

L’intervenant-e note le tout sur un paper board et structure une intervention de 15 à 20 minutes à partir de cela.

Ensuite, on redonne au groupe la possibilité de discuter de ce qui a été dit et de formuler des remarques et des questions selon le même protocole que précédemment.

L’intervenant-e peut répondre ensuite par exemple à chaque groupe successivement.

4- Les ateliers de travail de groupe sur une méthodologie en sciences sociales.

Sur un atelier de 3h, il est possible d’initier également les participantes à une réflexion à partir de l’expérimentation d’une méthode de sciences sociales. Cela peut être entre autres le dessin de cartes en mentales (en géographie) ou encore l’entretien (sociologique).

Par exemple, on peut créer des trinômes et mettre en œuvre un « entretien mutuel ». On demande alors aux personnes de procéder à un entretien mutuel (10 minutes chacun et chacune) à partir d’une grille d’entretien sur une thématique donnée.

Dans un deuxième temps, l’intervenant-e propose des éléments d’analyse sociologique qui peuvent se retrouver possiblement dans les entretiens. (30 min)

Ensuite, on propose à chaque groupe d’analyser et de mettre en lumière les éléments sociologiques qui peuvent apparaître dans les entretiens. (30 min)

Enfin, on effectue une restitution commune de ce qui a été mis en valeur par les entretiens entre les participantes pour essayer de dégager des éléments communs au différentes expériences.

Bibliographie :

ATD Quart Monde, Charte du croisement des savoirs – https://www.atd-quartmonde.org/wp-content/uploads/2015/07/Charte-du-Croisement-des-savoirs-ATD-Quart-Monde.pdf

De Sousa Santos Boaventura, Université Populaire des mouvements sociaux – http://www.universidadepopular.org/site/media/Metodologia/Orientations_Methodologiques_UPMS_-_FR_-_30-04-15.pdf

Freire Paulo, Pédagogie des opprimés, Paris, Maspero, 1974.

Freire Paulo, « Sur les exposés magistraux » (Extrait de pédagogie de l’espoir). URL: https://iresmo.jimdo.com/2019/01/26/que-pensait-r%C3%A9ellement-paulo-freire-des-expos%C3%A9s-magistraux/

Pereira Irène, Paulo Freire – Pédagogue des opprimé-e, Montreuil, Libertalia.