PEREIRA, Irène

Article publié dans la revue Unifreire,  n°8, pp. 77-86, 2020 (Edition spéciale du centenaire).

Résumé : L’article présente la manière dont s’est développé en France depuis 2016 une pédagogie critique issue de l’oeuvre de Paulo Freire. Il s’agit en particulier de mettre en valeur la manière dont cette diffusion s’est appuyée sur une pédagogie numérique. L’objectif est plus largement de contribuer à une réflexion sur la pédagogie critique numérique. Il s’agit en particulier de combattre les tendances bancaires à l’oeuvre dans la pédagogie numérique et d’expérimenter en quoi peut consister une pédagogie dialogique critique numérique.

Mots clefs : Pédagogie. Numérique. France. Paulo Freire.

Introduction

Depuis 2016, nous avons entrepris de faire redécouvrir et mieux connaître la pédagogie de Paulo Freire en France. Cela s’est traduit en particulier par la diffusion de son œuvre et de sa réception à travers des présentations en ligne.

Dans cet article, nous souhaitons faire connaître le travail réalisé en France pour diffuser l’œuvre de Paulo Freire depuis ces dernières années, mais surtout également initier une réflexion qui nous semble nécessaire dans le cadre d’une expansion de la pédagogie numérique sous l’effet de la pandémie COVID-19.

La thèse que nous défendrons dans cet article, c’est que plus encore que n’importe quelle autre forme d’approche, la pédagogie numérique est menacée par des tendances bancaires. Celles-ci tiennent à la domination de la rationalité instrumentale tant sous l’effet de la techno-science que sous l’effet du néolibéralisme, au point que l’on peut parler comme certains auteurs de technolibéralisme (SADIN, 2018).

La question est alors de savoir si l’éducation peut résister à cette tendance à la domination du technolibéralisme, qui semble profiter de la pandémie pour obtenir un accroissement inédit, mais également s’il est possible de développer une pédagogie critique numérique et en quoi peut-elle consister ?

Pour ce faire, nous commencerons dans une première partie de cet article par présenter nos premières expérimentations numériques pour faire mieux connaître l’œuvre de Paulo dans l’espace francophone, puis dans une deuxième partie la manière dont ce travail se poursuit dans le contexte de la pandémie.

I- Faire redécouvrir Paulo Freire en ligne

1. Diffuser la connaissance en ligne

Lorsque nous avons commencé à travailler sur l’œuvre de Paulo Freire en 2016, il n’y avait plus de spécialistes en langue française de cet auteur. Nous nous sommes d’abord intéressés à la réception de Paulo Freire dans le monde à partir des années 1980. En effet, cela correspond à la période où il a quitté l’Europe pour retourner au Brésil et où son œuvre perd de son influence dans l’aire francophone. Or par ailleurs, cette perte d’influence n’était pas le cas dans l’aire hispanophone et lusophone, mais surtout dans l’aire anglophone. Nous nous sommes donc attachés à faire connaître cette réception internationale en particulier à partir de multiples publications en ligne sur plusieurs sites Internet : l’IRESMO1 (un site de recherche, d’éducation et de formation sur les mouvements sociaux, Questions de classe2 (un site d’information sur l’éducation), Nonfiction.fr3 (un site internet consacré à l’actualité des livres en sciences sociales) et Le Courrier4 (un quotidien suisse).

Cette première phase de diffusion numérique a été suivie en 2018 de l’organisation d’un colloque scientifique international à Paris qui a abouti à la création de l’Institut bell hooks/Paulo Freire5. C’est aussi à cette époque que nous avons publié plusieurs ouvrages sous format papier autour de l’œuvre de Paulo Freire et des pédagogies critiques.

Après la constitution de l’institut bell hooks/Paulo Freire nous avons décidé de constituer un réseau en ligne autour de la diffusion de l’œuvre de Paulo Freire et des pédagogies critiques dont il est l’inspirateur. Le premier noyau de ce réseau a été l’Institut bell hooks/Paulo Freire, l’IRESMO, bibliofreire6 (site regroupant des textes de Paulo Freire parus en français dans des revues dans les années 1970) et Les cahiers de pédagogies radicales7 (revue en ligne autour de Paulo Freire et les pédagogies critiques).

Assez rapidement, ces premiers organismes sont rejoints au sein du réseau de pédagogies radicales par d’autres structures qui marquent un intérêt pour le renouveau autour de l’œuvre de Paulo Freire : Questions de Classe(s), Aggiornamento histoire-géo ( collectif de professeurs d’histoire géographie)8, SVT égalité9 (site internet de professeurs de biologie), mais aussi des structures d’éducation populaire comme la Scop l’engrenage10 et le site Internet Pour une éducation populaire de transformation sociale11, et le syndicat Sud éducation 9312. Plus récemment, c’est le groupe Queer éducation13 qui a rejoint le réseau de pédagogies radicales.

Pourquoi avoir choisi une structuration en réseaux ? La structuration en réseaux permet à chaque structure participante de garder sa pleine et entière autonomie de décisions (Pereira, 2013). Pour être membre du réseau de pédagogies radicales, il s’agit seulement d’adhérer aux valeurs de la charte du réseau14. Les partenaires du réseau entretiennent des liens en participants aux évènements des uns et des autres, en écrivant avec les uns et les autres dans les publications en ligne des divers membres du réseau.

Par la suite, nous avons également créé un groupe de discussion en ligne sur le logiciel libre, Agora kit, des sympathisants des pédagogies radicales, à cela s’ajoute deux lettres de diffusion : la lettre de l’IRESMO (mensuelle) et la lettre des Cahiers de pédagogies radicales (plus irrégulière).

2. Former en ligne aux pédagogies critiques et radicales dans la continuité de Paulo Freire

Dès cette époque, nous n’avons pas seulement voulu diffuser l’information sur les pédagogies critiques sous formes d’articles, mais également trouver de nouvelles manières de former en ligne. Nous allons donc présenter quelques unes des expériences que nous avons menées avant la pandémie COVID-19 sur la formation en ligne. Le principe de toutes ces formations sont d’être gratuitement accessibles en ligne.

La première formation en ligne15 que nous avons créée visait à mieux faire comprendre et connaître les concepts utilisés dans la pédagogie critique et qui font l’objet d’attaque négative de la part de structures politiques : genre, racisme systémique, intersectionnalité… Cette première formation en ligne compile plusieurs activités et ressources autour de notions telles que le genre ou l’intersectionnalité.

La deuxième formation en ligne que nous avons créée est un site Internet d’auto-formation en ligne appelé Pédagogie anti-discrimination16 (PEREIRA, 2019). Ce site vise à développer une conscientisation et une action-réflexion de la part des enseignants et des enseignantes sur les micro-discriminations à l’école.

La troisième formation que nous avons créée était un MOOC17 utilisant entre autres twitter s’inspirant d’une expérience de formation menée par Hybrid Pedagogy18. Dans le cadre de cette formation, il y avait des documents et des activités qui étaient proposées sur un site Internet. Puis, une fois par semaine, il y avait un tchat en ligne avec un membre du réseau des pédagogies radicales ou proche du réseau des pédagogies radicales.

II- La pédagogie critique numérique au temps du COVID-19

1. Contre la pédagogie bancaire, la pédagogie critique dialogique

Avec la pandémie du COVID-19, notre réflexion sur la mise en œuvre d’une pédagogie critique numérique s’est accentuée. Nous voulons pour commencer présenter les réflexions plus générales qui orientent notre pratique concernant la pédagogie numérique critique. En ce qui nous concerne nous pensons que la pédagogie critique numérique doit être autant que possible une pédagogie critique dialogique sous peine de réduire l’éducation à une pédagogie bancaire.

Certes cela ne nous empêche pas de produire également des dispositifs de formation en ligne qui n’intègrent pas véritablement de principes dialogiques comme c’est le cas dans le site Internet Pédagogie anti-discrimination. Mais nous estimons autant que possible que la pédagogie critique numérique doit viser à développer une pédagogie dialogique pour les raisons suivantes :

– La pédagogie bancaire technolibérale tend à transformer l’éducation en marchandise et à diminuer le coût de l’enseignement en réduisant la main d’œuvre. Cela signifie utiliser des techniques numériques pour ce substituer autant que possible à l’enseignant comme dans les MOOC: vidéo pré-enregistrée, évaluations par quizz automatiques….

– La pédagogie bancaire technolibérale tend à confondre l’éducation d’une personne avec la programmation d’un ordinateur. C’est le paradigme fonctionnaliste en sciences cognitives. Cependant, il faut comprendre qu’une telle réduction de l’enseignement à la programmation ne pose pas seulement des questions relativement à la théorie de l’esprit, mais également à l’éthique. Car c’est considérer que l’enseignement peut se passer totalement d’une dimension éthique. C’est ce que récusait totalement Paulo Freire (Freire, 2013).

– Pour que la pédagogie reste basée sur une relation humaine et ne devienne pas uniquement une relation automatisable et standardisable, elle doit être dialogique. En effet, la relation dialogique est la seule qui ne peut pas être automatisée comme le montre le test de Turing. Ce test imaginé par le mathématicien Alan Turing affirme qu’une machine sera considérée comme une personne consciente lorsqu’elle sera capable de tenir une conversation avec un être humain sans que celui-ci s’aperçoive qu’il s’entretient avec une machine.

De fait, il nous semble indispensable que la pédagogie critique numérique maintienne autant que faire ce peu un principe dialogique même si comme on le verra toutes les expérimentations que nous avons menées depuis le début de la pandémie ne maintiennent pas toujours un tel principe.

2. Former à partir de la vidéo en ligne

La première nouvelle expérience de pédagogie dialogique que nous avons menées depuis le confinement était la publication d’une série de dialogues sous format numérique19. Ces dialogues s’appuient sur l’affirmation de Socrate dans le Théétète : « un discours que l’âme se tient tout au long à elle-même sur les objets qu’elle examine ». Ces dialogues sont donc basés sur l’idée que la pensée, même lorsqu’on est seul, progresse sous une forme dialogique.

Néanmoins, les expériences que nous allons développer ci-dessous s’appuient sur la création d’un corpus de vidéos en ligne20 portant sur Paulo Freire et les pédagogies critiques. Il s’agit de présenter la manière dont elles ont été utilisées comme base pour des formations dialogiques.

Cependant, toutes les formations que nous avons conçues à partir de ce corpus de vidéos n’ont pas été toujours basées sur un principe dialogique. C’est le cas par exemple d’une formation qui vise à présenter les pédagogies critiques sur la base d’une pédagogie de la question en alternant des questions et des vidéos21.

En ce qui concerne l’utilisation de manière dialogique du corpus de vidéos, nous avons fait une première expérimentation à partir de la page facebook de l’IRESMO. Nous avons programmé une série de formations en ligne composées de l’organisation de séances de vidéos accompagnées d’un tchat22. Les personnes qui le voulaient assistaient chaque semaine à une projection d’une série de vidéo autour d’une thématique en lien avec la pédagogie de Paulo Freire : éducation à la lutte contre les discriminations, éducation aux droits humains, éducation à la citoyenneté…

Une autre utilisation dialogique de ce corpus de vidéo a été pendant les webinaires organisés, sur un logiciel libre de visioconférence (Big Blue Button) par l’Institut bell hooks/Paulo Freire. Cela a permis d’alterner les moments de présentation sous la forme de courtes vidéos de 5 à 10 min avec des prises de parole avant et après la vidéo pour répondre à des questions ou poser des questions aux participantes. Pendant la présentation de la vidéo, il est possible d’ajouter en même temps que la vidéo des informations sur le tchat et de répondre à des demandes de précision des participants pour éviter une forme purement transmissive.

En dehors de la mise en œuvre de formations dialogiques avec des vidéos, nous envisageons l’organisation de « groupe de conscientisation » ou « cercles de culture » en ligne limité en nombre de participants et de participantes à 10 personnes pour pouvoir permettre de véritables échanges entre les personnes.

3. Utiliser uniquement des logiciels libres ou avoir recours également à des logiciels commerciaux.

Une question qui s’est posée à nous est celle de savoir si nous ne devions utiliser pour la diffusion de nos informations, mais plus encore pour la réalisation de nos formations, que des logiciels libres ou si nous pouvions aussi recourir à des logiciels commerciaux comme par exemple Facebook. En effet, une des questions qui peut se poser lorsqu’on met en place une pédagogie critique numérique est de savoir si l’on va utiliser des produits provenant des GAFAM ou passer uniquement par les logiciels libres.

Il faut savoir que le fait d’avoir eu recours pour des formations proposées gratuitement sans limites de participantes à facebook nous a été reproché par certaines personnes. Nous citons certains messages reçus avec souvent une formulation ironique :

« C’est ça, rendez-vous tous sur facebook dans un esprit critique et alternatif. » (22 septembre 2020 )

« J’aime beaucoup les pédagogies critiques. Je cherche le chapitre sur la critique de facebook, on en parle où ? » (13 octobre 2020).

Il serait possible a priori que nous ne nous soucions pas de ces remarques. Mais elles posent des problèmes de fond qui doivent être discutés.

Tout d’abord, en discutant avec certaines personnes qui critiquaient nos choix, nous nous sommes aperçues qu’elles n’avaient pas nécessairement conscience des contraintes techniques qui se posaient à nous : comment organiser une formation en ligne gratuitement sans limiter le nombre de personnes contrairement à ce qu’implique l’utilisation d’un système de visioconférence ? Plusieurs personnes semblaient par exemple ignorer que les systèmes de visioconférence ne peuvent pas accueillir un nombre illimité de personnes. Meet Jitsi, le logiciel libre de visioconférence le plus utilisé en France est limité à 50 usagers simultanément.

Par ailleurs, nous avions eu une expérience malheureuse avec les logiciels libres. En effet, pour éviter Facebook, nous avions créée un groupe en ligne sur le logiciel Agorakit. Néanmoins, la dynamique dialogique que nous espérions entre les inscrits et les inscrites ne s’est jamais vraiment produite. Notre usage d’Agorakit est devenu rapidement celui d’une simple liste d’envoi d’information et non pas un groupe de discussion. A l’inverse Queer Education a fondé un groupe Facebook et a pu créer rapidement une dynamique de discussion puisque en moins d’un an le groupe était actif et comprenait plus de 1000 membres échangeant quotidiennement.

Néanmoins, il nous semble qu’une réflexion inspirée de Paulo Freire ne peut se limiter à un constat en termes d’efficacité du résultat, mais doit prendre en compte la cohérence éthique des moyens et des fins sous peine de tomber dans des logiques de type anti-dialogique. De ce fait, la simple recherche d’efficacité ne saurait suffire à justifier un choix pédagogique dans le cadre d’une pédagogie critique inspirée de Paulo Freire, il est nécessaire de réfléchir plus profondément aux implications éthiques d’un choix technique.

Il est pour cela important de rappeler la relation que selon nous la pédagogie critique entretien avec les techniques, en particulier celles produites par le technolobéralisme. La pédagogie critique, à notre sens, ne considère pas que telle ou telle technique est bonne ou mauvaise en soi : le cours magistral c’est mal, au contraire les pédagogies coopératives c’est bien en soi. C’est d’ailleurs ce que rappelle Paulo Freire dans Pédagogie de l’espoir (Freire, 2014) au sujet de l’exposé de cours. Il ne nous semble pas que la position de Paulo Freire ait été de critiquer l’usage d’une technique en soi.

Cela ne veut pas dire que la pédagogie critique considère les techniques comme neutres, elles les considèrent à notre avis comme ambivalentes. C’est la thèse que soutient Jacques Ellul (Ellul, 1965). Il ne s’agit pas d’être pour ou contre la technique. La technique est un fait. Il ne s’agit pas non plus de considérer que la technique est bonne ou mauvaise. Une technique est toujours ambivalente : elle apporte des effets positifs comme négatifs.

Lorsqu’on regarde le cas de Facebook, cette ambivalence est nette concernant l’organisation des mouvements sociaux. C’est ce que souligne Nikos Smyrnaios (2019) dans un article « Les réseaux sociaux, outils de révolte à double tranchant » ou encore Daniel Bonvoisin (2017) , « Facebook : ami ou ennemi des mobilisations sociales ? ».

En effet, les discours simplistes sur la technique la divinisant ou la diabolisant ne résiste pas à l’étude empirique. On le voit des mobilisations sociales ont pu naître sur les réseaux sociaux y compris sur des réseaux comme Facebook : mouvement des Gilets Jaunes, mouvement féministe « Balance ton Porc »…

C’est d’ailleurs ce que souligne Paulo Freire qui se méfie des discours univoques sur la technique :

«C ’est pour cela que transformer l’expérience éducative en un simple entraînement technique revient à déprécier ce qu’il y a de fondamentalement humain dans l’exercice éducatif : son caractère formateur. Si on respecte la nature de l’être humain, l’enseignement des contenus ne peut se faire étranger à la formation morale de l’éduqué. Éduquer est substantivement former. Diviniser ou diaboliser la technologie ou la science est une forme hautement négative et dangereuse du penser faux » (Freire Pédagogie de l’autonomie, p.50).

Le problème n’est pas dans l’usage d’un moyen technique – qui de toutes façons comporte toujours des dimensions négatives plus ou moins marquées -, le vrai problème c’est celui de la domination de la rationalité technicienne. Cette domination est un usage de la technique ou des techniques qui conduit à réifier l’être humain. Ce qui veut dire un usage de la technique qui réduise l’éducation à un « simple entraînement technique ».

Ce qui nous semble important dans la pédagogie critique n’est pas de critiquer telle ou telle technique en soi, mais de critiquer la contrainte qu’exerce une technique à une relation uniquement instrumentale. Le problème, c’est avant l’usage uniquement technicien qui peut être fait d’une technique. On peut en effet avoir un usage technicien des pratiques pédagogique actives : il ne s’agit plus alors que de mettre en place des techniques. En soit, l’utilisation d’une technique ne garantie pas l’usage éthique de cette technique. Car dans ce cas, il faudrait admettre qu’une personne qui n’a aucune éthique, une personne avec des intentions malfaisantes, pourrait être rendue bonne simplement parce qu’elle utilise un type particulier de techniques. Par exemple, le fait d’utiliser des logiciels libres feraient que l’on ne pourrait avoir qu’un usage éthique de ces outils. Ce qui est étonnant, à vrai dire, ce sont ceux qui placent leur éthique dans la relation aux objets et non pas avant tout dans leur relation aux êtres humains.

A l’inverse, l’utilisation d’outils qui ne sont pas éthiques posent effectivement des problèmes. Mais comme on l’a vu, les mouvements sociaux peuvent parvenir à subvertir l’usage d’une technique non-éthique pour l’utiliser à des fins qui sont éthiques. Et cela commence par Internet qui au début avait été développé entres autres par des financements de l’armée américaine (CERUZZI, 2012) et dont l’usage initial a été subverti.

La question qui se pose est plutôt de savoir dans quelle mesure il est possible ou non de développer une pédagogie dialogique critique sur les réseaux sociaux ? Ou au contraire si une interface technique comme facebook ne conduit pas à produire nécessairement une pédagogie bancaire ?

Nous avons donc expérimenté l’usage de facebook, mais en expérimentant à côté l’usage d’un logiciel libre, à savoir Big Blue Button. L’objectif de l’usage de facebook n’était pas d’importer de nouveaux utilisateurs sur facebook, mais de toucher les personnes qui étaient déjà sur cette plateforme et qui comme l’on sait sont très nombreuses.

Néanmoins, si nous voulions touché un nombre de personnes importantes, cette modalité n’a pas mobilisé beaucoup de personnes. Certes les personnes qui ne sont pas sur facebook peuvent se sentir exclu de cette modalité, mais alors même que la page facebook de l’IRESMO comprenait plus de 500 followers, les nombre de participants aux séances vidéos était loin d’atteindre un tel nombre. Nous n’avons jamais eu durant les séances plus de 7 à 8 participantes.

Ce qui veut dire qu’outre les discussions éthiques que peuvent poser l’usage des logiciels commerciaux dans notre cas, cet usage s’est avéré moins efficace en réalité que l’usage d’un logiciel libre dans le cadre des webinaires de l’institut bell hooks/Paulo Freire qui a réuni lors du premier webinaire environ 40 personnes (alors cependant que 110 personnes s’étaient inscrites, nous contraignant à limiter le nombre d’inscriptions).

De fait, si nous n’avons à nos webinaires que 50 participants et participantes dans ce cas, nous n’avons pas besoin de limiter le nombre de personnes et nous pouvons donc utiliser un logiciel libre sans tenir compte des problèmes liés à la contrainte du nombre de personnes.

Conclusion :

Nous espérons que ces éléments de présentation de l’activité de l’Institut bell hooks /Paulo Freire et du réseau des pédagogies radicales, soient utiles à d’autres personnes s’inscrivant dans la continuité de la pédagogie de Paulo Freire pour diffuser l’œuvre de Paulo Freire en ligne, mais également pour nourrir une réflexion sur une pédagogie critique numérique.

Nous avons essayé de montrer qu’à notre sens une pédagogie critique numérique doit être une pédagogie qui essaie de créer une dynamique dialogique pour éviter une réduction de l’enseignement à une pratique bancaire.

Nous avons essayé de montrer comment à notre avis le refus d’une pédagogie bancaire ne tient pas avant tout dans le type de techniques ou d’outils que l’on utilise, mais dans le refus d’une réduction de la relation d’enseignement à une relation purement technicienne.

Bibliographie :

BONVOISIN Daniel . « Facebook : ami ou ennemi des mobilisations sociales ? ». Beep n°2, 2017 [En ligne].

CERUZZI, Paul E. « Aux origines américaines de l’Internet : projets militaires, intérêts commerciaux, désirs de communauté », Le Temps des médias, vol. 18, no. 1, 2012, pp. 15-28.

ELLUL, Jacques. “Réflexions Sur L’ambivalence Du Progrès Technique.” La Revue Administrative, vol. 18, no. 106, 1965, pp. 380–391.

FREIRE, Paulo. Pédagogie de l’autonomie. ERES, 2013

FREIRE, Paulo. Pedagogia da esperança: um reencontro com a pedagogia do oprimido. Editora Paz e Terra, 2014.

PEREIRA, Irène. « La fédération libertaire contre le réseau. Des pratiques organisationnelles anarchistes dans le renouveau de la contestation », Réseaux, vol. 181, no. 5, 2013, pp. 147-176.

PEREIRA, Irène, « Construire une théorie critique en éducation, inspirée de Paulo Freire, en France – Un exemple : un site Internet de lutte contre les discriminations à l’école -« , Revista Serie-Estudos, 2019. [En ligne]

SADIN Éric, « Le technolibéralisme nous conduit à un “avenir régressif” », Hermès, La Revue, 2018/1 (n° 80), p. 255-258.

SMYRNAIOS Nikos . « Les réseaux sociaux, outils de révolte à double tranchant ». La Revue des médias, 2019. [En ligne]

Mini-CV :

Irène Pereira est professeur de philosophie à l’INSPE (Université Paris-Est Creteil). Elle est co-fondatrice de l’institut bell hooks/Paulo Freire. Elle anime les Cahiers de pédagogie radicale et initiatrice du réseau des pédagogies radicales.

5Institut bell hooks/Paulo Freire – https://emancipaeda.hypotheses.org/

7Les cahiers de pédagogies radicales – https://pedaradicale.hypotheses.org/

8Aggiornamento hist-géo – https://aggiornamento.hypotheses.org/3182

9SVT égalité – http://svt-egalite.fr/

10Scop L’engrenage : http://lengrenage.blogspot.com/

11Pour une éducation populaire de transformation sociale – http://www.education-populaire.fr/

12Sud Education 93 – https://www.sudeducation93.org/

14Charte du réseau de pédagogies radicales – https://pedaradicale.hypotheses.org/170

16Site Internet Pédagogie anti-discrimination – http://pedagogie-antidiscrimination.fr/

18Hybrid Pedagogy – https://hybridpedagogy.org/

19Les dialogues de pédagogies radicales (5 volumes) – https://pedaradicale.hypotheses.org/category/livres

20Chaîne video de l’Institut bell hooks/Paulo Freire : https://www.youtube.com/channel/UCQy2dRUUj8HOChEsKGrSJlA

21Module d’auto-formation en ligne sur les pédagogies critiques (5 modules de formation) – https://iresmo.jimdofree.com/2020/10/30/auto-formation-p%C3%A9dagogie-critique-en-ligne/