– Les classes populaires ?

Une première réponse pourrait être que l’éducation populaire s’adresse aux classes populaires.

Les classes populaires pouvant être définie selon le sociologue Olivier Schwartz de la manière suivante : « Je propose donc de considérer que la notion de « classes populaires », prise en tant que catégorie sociologique, fait référence à des groupes qui se définissent par la conjonction d’une position sociale dominée et de formes de séparation culturelle » (Peut-on parler de classes populaires ?, 2011). O. Shwartz ajoute : « Elle est généralement couplée et opposée à celle de « classes moyennes » ou de « classes supérieures », et l’on a vu plus haut que certains sociologues ont assez volontiers recouru à une tripartition de l’espace social fondée sur une division de celui-ci entre ces trois types de classes. »

Les classes populaires sont donc des groupes dominés à la fois socialement et culturellement. Ce qui expliquerait qu’il puisse y avoir une éducation populaire. Soit que les classes populaires aient besoin d’être éduquées, soit qu’elles aient leurs propres formes d’éducation.

Néanmoins, la notion de classes populaires, qui est la fois économique, sociale et culturelle, ne permet pas réellement de prendre en compte l’ensemble des rapports sociaux de pouvoir. Par exemple, les oppressions sexistes peuvent-elle être pensées à partir de la catégorie de classes populaires ?

– Le peuple dans son ensemble ?

Dans ce cas, l’éducation populaire pourrait être à reprocher du populisme au sens de la philosophie politique qui fait du peuple le sujet politique de la transformation sociale.

La philosophe Chantal Mouffe affirme ainsi : « Nous vivons aujourd’hui un « moment populiste » (…) La caractéristique principale du populisme est la construction de la frontière politique entre un « nous » et un « eux » en termes de peuple et d’establishment: ceux d’en bas contre ceux d’en haut. Tout dépend de la manière dont on construit cette frontière entre le nous et le eux. C’est là que se trouve la différence entre le populisme de droite et le populisme de gauche. Dans le cas du populisme de gauche, le « nous » est construit au travers de l’articulation et la création d’une chaîne d’équivalences entre une série de demandes démocratiques: des classes populaires et de certains secteurs de la classe moyenne, avec les luttes antiracistes, écologiques et féministes. Le « eux », l’adversaire, ce sont les forces du néolibéralisme » (Entretien, 2018).

Le populisme tel que le défini Chantal Mouffe ne désigne pas en réalité tout le peuple, mais le peuple (ceux d’en bas) opposé à ceux d’en haut (« l’establishment »). Le peuple du populisme englobe donc les classes populaires, mais aussi une partie des classes moyennes, et les nouveaux mouvements sociaux. A la différence des classes populaires, il s’agit moins ici d’une notion sociologique que politique.

On a pu néanmoins reprocher au populisme tel que défini par Chantal Mouffe de tendre à invisibiliser les contradictions qui peuvent se trouver au sein du peuple. Par exemple, des hommes de classes populaires peuvent opprimer des femmes ou des personnes racisées.

– Les opprimé-e-s ?

A la suite de Paulo Freire, il est possible de se demander si l’éducation populaire ne s’adresse pas à tout groupe de personnes qui se considèrent comme opprimé et désire lutter contre son oppression. Dans ce cas, la notion « d’opprimé » fonctionnerait comme un signifiant vide.

Néanmoins, cette idée comporte deux difficultés :

– la première est celle de savoir si un groupe socialement dominant peut se considérer comme opprimé :

A cette objection, l’éducation populaire conscientisante répond par le fait que la conscientisation ne repose pas seulement sur le partage d’expériences sociales vécues, mais également sur une lecture critique du monde appuyées sur des études empiriques en sciences sociales.

– la deuxième difficulté est celle de l’émiettement des luttes des opprimés que supposerait le fait de mettre en lumière les contradictions qui peuvent opposer les opprimé-e-s entre eux/elles.

A cette objection, il est possible de répondre par le fait que l’alliance n’est pas donnée, mais à construire par un processus de reconnaissance mutuelle des oppressions de chaque groupe allié.

Quelle place pour les privilégiés dans l’éducation populaire ?

Il existe des privilégiés soit relativement à une lutte sociale, soit même des personnes qui cumulent tous les privilèges sociaux. Est-ce que l’éducation populaire s’adresse à eux ?

Si l’éducation populaire conscientisante a pour fonction de développer le pouvoir de transformation des opprimé-e-s, elle peut en deuxième intention s’adressée à des personnes socialement privilégiées pour les sensibiliser à la posture d’allié, ce qui suppose que ces personnes conscientisent leurs privilèges sociaux.